Urgences et police, 2 actualités parlantes sur les façons d’aborder la QVT
Je vous propose de nous intéresser à deux événements de l’actualité de ces deux dernières semaines : une circulaire dans la police nationale et la grève aux urgences. Deux professions dans lesquelles on voit bien des difficultés pour toucher réellement la Qualité de Vie au Travail (QVT) des individus.
Une note dans la police nationale qui suscite des remous
Informations sur la note
La semaine dernière, de nombreux médias ont relayé une information recueillie par France Info qui a pu consulter une note de quatre pages signée d’Eric Morvan, le directeur de la police nationale, à l’attention de tous les directeurs de service.
Cette note datée du 27 mai 2019 est intitulée “Promotion de la convivialité dans les services de police”. Elle s’inscrit dans le programme de mobilisation contre le suicide, au niveau de l’axe “Cohésion” constituant “un facteur de protection important contre l’isolement et les idées noires” (extrait de la première page de la note dont une photo a été publiée sur plusieurs médias). Cette recherche d’une plus forte cohésion passant notamment par la promotion de la convivialité.
Eric Morvan appelle selon France Info à l’organisation par les cadres :
- de temps collectifs de loisirs (barbecue, pique-nique, sortie sportive), avec les familles de policiers
- de célébrations dans un cadre convivial et aussi cérémoniel pour la reconnaissance du travail accompli et des étapes de la vie professionnelle (belle affaire conclue, promotion, départ à la retraite)
Cette note rappelle aussi l’existence d’un réseau social mis en place pour faciliter les échanges entre fonctionnaires : R@dio police
Le DGPN précise par ailleurs qu’une enveloppe budgétaire est déjà allouée à cette fin et qu’elle est exclusivement réservée au financement des actions de convivialité.
Quelques réactions à cette note
Voici une compilation de quelques réactions recueillies par les médias auprès de représentants de syndicats de la police nationale :
- En tant que note portant sur la prévention des suicides, elle a été jugée comme maladroite ; elle aurait aussi “agacé”.
- C’est un sparadrap.
- Si l’idée est là, cela ne réglera pas la question du temps de travail.
- Le problème se situe d’abord au niveau des conditions de travail.
- Il y a des sujets bien plus importants à développer comme la réforme des cycles horaires qui permettrait aux policiers d’obtenir 1 week-end sur 2.
- Certains responsables de service refusent les moments de convivialité au nom de l’efficacité.
Des éléments de contexte recueillis dans les réactions
Commençons par un chiffre : 28 ; c’est le nombre de suicides de policiers depuis le début d’année 2019 (à comparer avec 35 suicides pour la totalité de l’année 2018 et 51 en 2017).
Selon les propos (rapportés par europe1.fr) de Frédéric Galéa, délégué national à la qualité de vie et de travail pour le syndicat Alliance, “cette note reprend une partie du plan présenté il y a pile un an par l’ancien ministre Gérard Collomb, lequel s’inspirait déjà de mesures proposées par Bernard Cazeneuve avant lui ».
Par ailleurs, plusieurs syndicats de police se félicitent que les demandes du directeur de la police nationale reprennent leurs propositions.
Les enseignements que l’on peut tirer sur la façon d’aborder la QVT dans une organisation
Je ne tirerai pas d’enseignements directement pour la situation de la QVT dans la police, manquant d’éléments pour le faire.
Par contre, voici deux enseignements plus généraux qui peuvent s’appliquer dans d’autres contextes et secteurs :
- On oppose souvent le cœur du travail et la périphérie du travail ; dès lors qu’une direction agit sur la périphérie du travail (notamment sur la convivialité), il peut lui être reproché de “taper” à côté des vrais enjeux (les conditions de travail), voire de vouloir noyer le poisson. Ce reproche me semble justifié si les actions sur la QVT se cantonnent à la périphérie. Par contre, il me parait important de ne pas opposer les actions au cœur du travail et celle à la périphérie à partir du moment où les deux sont investies, et en première intention, celles au cœur du travail. Je laisse ceux qui connaissent le mieux le contexte de la police nationale pour considérer dans quel cas de figure on se trouve.
- La perte (baisse) de convivialité est souvent causée par l’accélération des rythmes et la course effrénée à la rentabilité. C’est aussi le signe d’une culture de la défiance : ménager des espaces de convivialité, c’est prendre le risque d’abus par certains (et il y en a toujours). Dans une culture de la défiance, on fait de l’exception de l’abus une généralité. Le travail, c’est aussi la vie au travail, c’est le bien vivre ensemble au travail, c’est apprendre à se connaître puis à se reconnaître. Dans mon esprit, il s’agit du B.A.-BA de la coopération et donc de la QVT : la convivialité, ça n’est pas la cerise sur le gâteau, mais fait partie du gâteau lui-même avec les ingrédients incontournables de confiance, de bienveillance, de transparence, de coopération, de participation aux décisions (contribuant au réalisme des objectifs), de reconnaissance.
Grève aux urgences
Informations relayées par les médias
Mardi dernier 4 juin 2019, dans ma voiture, j’entend sur France Info quelques mots prononcés qui me percutent : “On n’a pas les moyens d’être humain aujourd’hui à l’hôpital“. Tels sont les propos tenus par Maxime Gautier, médecin urgentiste à à l’AP-GP Lariboisière (Paris).
Retrouvez ci-dessous un reportage vidéo dont sont extraits ses propos.
Maxime Gautier s’exprimait alors que son service des urgences, comme 74 autres en France, sont en grève. Alors, pas n’importe quelle grève puisqu’un peu à la façon japonaise, les personnels de santé continuent à travailler avec un brassard et des banderoles de-ci de-là. Autrement dit, les personnels des urgences se trouvent à l’extrême d’un échiquier de la grève dont l’autre extrême serait une grève des routiers.
Et c’est peut-être la raison pour laquelle quelques personnes de cette belle profession si utile et si vitale ont décidé de passer à des actions moins “symboliques” en décidant de se faire porter pâle – dans le contexte d’une profession particulièrement menacée de burnout. Actions qui ont été prestement dénoncées par la ministre de la santé, pour illégalité et manque de solidarité vis-à-vis de leurs collègues. J’ajoute que les médias ont relayé le cas de soignants réquisitionnés à leur domicile par la gendarmerie.
Des éléments de contexte
Dans cette situation particulièrement critique pour les personnels des urgences, difficile pour les malades, le secteur de la santé est pourtant un des premiers à avoir investi le sujet de la QVT (pour certains, c’est un paradoxe). C’est la Haute Autorité de Santé (HAS) qui s’en est saisi depuis plusieurs années (cf le dossier QVT sur leur site internet).
Nous avons relayé à plusieurs reprises les travaux entrepris par la HAS depuis la première brève en 2012 que nous avons consacrée à cette institution.
Les enseignement que l’on peut tirer sur la façon d’aborder la QVT dans une organisation
Je me garderai bien de tirer des enseignements pour le secteur de la santé en général et pour les urgences en particulier. Par contre, je me joins aux citoyens qui appellent les autorités de santé à prendre très au sérieux les signaux forts et tellement récurrents envoyés par les personnels même (surtout) s’ils continuent à être sur le terrain malgré leur grève. C’est aussi à la responsabilité du citoyen de ne pas surajouter de la tension par des comportements inappropriés voire délictueux quand il se trouve aux urgences.
Ressortent deux enseignements plus généraux :
- le lien très fort qui a été mis en évidence dès 2012 par la HAS entre la qualité (ici des soins) et la QVT du personnel. A noter le cercle vertueux entre qualité et QVT : plus la qualité pourra être assurée (engendrant ainsi la fierté du travail bien fait), meilleure sera la QVT et meilleure sera la QVT, meilleures seront les conditions d’assurer la qualité. Dans 10 jours, arrive la 16ème semaine de la QVT, et nous verrons dans mon prochain article en quoi un 3ème larron mérite d’avoir une place bien précise au risque de casser ce beau cercle vertueux : la performance (globale et durable). La performance étant le thème de cette SQVT.
- Il y a une vraie difficulté à envisager de saisir le sujet de la QVT dans des contextes de RPS. Dès lors, la QVT peut être vue comme une tentative par la direction de l’organisation de ne pas parler de la souffrance au travail avérée. Il s’agit dans ce cas de bien comprendre le positionnement entre démarche QVT et démarche RPS. Je vous propose ci-dessous un extrait de la brochure élaborée par le PRST Nouvelle Aquitaine que je trouve particulièrement explicite :
Investir la QVT n’a rien d’antinomique avec un contexte qui pourrait sembler peu propice. Cela n’exonère pas de l’obligation de prendre en charge et de prévenir les risques, notamment les RPS.
Image en tête d’article retravaillée à partir de l’image de Gerd Altmann de Pixabay