La transparence, avec persévérance
Après avoir traité des méfaits de l’opacité dans le monde du travail et des effets délétères sur la société toute entière dans l’article Pour que l’opacité n’ait plus droit de cité, mon propos est maintenant plus positif et optimiste : mettre en évidence les bienfaits de la transparence pour la Qualité de Vie au Travail (QVT) et plus globalement pour la qualité de vie.
Le cercle vertueux de l’écologie, du bien commun, de la coopération et de la transparence
L’entraide, l’autre loi de la jungle
Dans un livre publié récemment intitulé “L’entraide, l’autre loi de la jungle”, Pablo Servigne et Gauthier Chapelle démontent de manière convaincante l’idée selon laquelle la vie sur terre serait dictée par la compétition et la sélection. Ils promeuvent la coexistence de deux lois : celle de la compétition et celle de la coopération. La coopération étant particulièrement prégnante dans les situations de crise ou de difficulté.
Leur propos de biologiste n’est pas de remettre en cause l’existence de la compétition dans la nature. Selon eux il serait “inutile et dangereux de le nier ». Il est de mettre en conscience que la nature possède une deuxième loi aussi vivante et réelle que la première : l’entraide.
Deux lois qui s’entrelacent “Une vision du monde beaucoup plus réaliste serait de considérer le vivant comme le résultat d’un équilibre entre compétition et coopération, deux forces contraires intimement liées et qui n’ont pas de sens l’une sans l’autre. … Mais pour cela, il faut d’abord comprendre l’autre côté du miroir » Je signale la vidéo Et tout le monde s’en fout #19 – La bienveillance – qui évoque de manière humoristique et pertinente le duo compétition/coopération
Où il est question de CRP
Le mot “bienveillance” me donne une transition toute trouvée : Juliette Tournant dans son livre “La stratégie de la bienveillance” évoque la théorie des jeux. La stratégie la plus gagnante est celle dont le sigle est CRP : Coopérer, Réciprocité, Pardon (“Tit-For-Tat” en anglais).
- Dans un premier temps, l’attitude est à la coopération
- Dans un deuxième temps, et en fonction des interactions, c’est le principe de réciprocité qui prévaut : tant que l’autre coopère, je coopère. Si l’autre trahit, j’arrête de coopérer
- Dans un troisième temps et s’il y a eu arrêt de la coopération du fait d’un comportement non coopératif, c’est l’attitude de pardon qui va redonner une chance à la coopération avec celui qui viendra demander le pardon
Cette stratégie est-elle gagnante à tous les coups ? Non et clairement non. Et c’est là le point clé dont tout notre société devrait avoir conscience : cette stratégie n’est pas la meilleure à court terme. C’est donc la première idée : c’est une stratégie qui s’inscrit dans la durée.
La deuxième idée très importante concerne l’emploi du mot “meilleur” : cette stratégie n’est pas la meilleure à court terme car d’autres stratégies plus agressives, plus égoïstes, voire plus déloyales permettent d’obtenir plus (et dans certains cas aussi de faire perdre les autres). Mais ce n’est pas parce qu’elle n’est pas la meilleure à court terme qu’elle est mauvaise : à court terme, elle est “simplement” bonne sans être la meilleure. Et en faisant référence à la page La métamorphose de Monsieur Plus en Sam’Vabien que j’ai écrite pour le wiki de l’Université Ephémère sur la QVT, l’Innovation Managériale et la Coopération des 11 et 12 octobre 2017 : la stratégie CRP, que ce soit pour le court, moyen et le long terme”, elle lui va très bien à Sam’Vabien ! Parce qu’il a compris que “gagnant” ne veut pas dire “gagner le plus possible tout en dépensant le moins possible”.
La coopération s’entend aussi en mode spontané
Mais ce n’est pas que question de stratégie. Pablo Servigne et Gauthier Chapelle démontent par ailleurs l’idée selon laquelle l’être humain serait spontanément méfiant et que c’est la rationalité qui pourrait le rendre coopératif. En fait, cela dépend des automatismes que chaque individu s’est construit au fil du temps. Un individu qui a baigné dans un environnement coopératif va développer des réactions spontanées d’entraide. Ils font référence aux travaux de Daniel Kahneman qui a mis en évidence l’existence d’un double système cognitif : le système 1 pour la pensée rapide et intuitive et le système 2 pour la pensée posée et rationnelle. Coopération et entraide se manifestent aussi via le système 1.
Les comportements coopératifs engendrent des émotions positives, c’est ce qui permet la constitution et l’entretien d’un cercle vertueux.
La transparence en ingrédient de la coopération
Comment crée-t-on et facilite-t-on de la coopération entre individus dans un groupe et entre groupes ?
La conviction profonde que je me suis construite après plusieurs années dans des collectifs de travail dits coopératifs, dans des coopératives et plus globalement dans l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) est double : il ne suffit pas de coller le mot “coopératif” sur un groupe pour qu’il le soit automatiquement. Deuxièmement, c’est l’importance de deux attitudes : l’approche gagnant-gagnant et ce que j’ai appelé et conceptualisé depuis fin 2016 : l’Attention Réciproque. Ces deux attitudes nécessitent un niveau suffisant de transparence sur :
- la situation objective vécue,
- la perception qu’on en a,
- ses aspirations.
Cela étant valable aussi bien au niveau individuel que collectif.
Pour coopérer, il faut que chaque partie prenante puisse s’exposer avec confiance dans la bienveillance (je consacrerai prochainement un article sur la bienveillance levier central de la QVT). Toute opacité, flou, mensonge ne peut que biaiser, fausser la coopération.
- Si j’essaye de coopérer avec toi mais que tu ne me dis pas quelle est ta situation réelle, nous prenons des risques pour la coopération.
- Si tu ne me dis pas ce que tu ressens, nous prenons des risques pour la coopération car je risque de mal interpréter certaines de tes réactions.
- Si tu ne me dis pas quelles sont tes aspirations et tes attentes, nous prenons des risques pour la coopération car elle risque de nous mener dans une direction qui ne t’ira pas et je n’en aurai pas conscience. Elle risque aussi de ne pas être gagnant-gagnant. Elle sera peut-être bonne pour le collectif mais mauvaise pour toi sans même qu’on en est conscience.
C’est donc la transparence (ou au moins un bon niveau de transparence) qui va permette de se connaître, de construire et de faire vivre une coopération, dans l’Attention Réciproque puisque chaque partie prenante doit être à la fois porteur d’attention et objet d’attention. Une transparence qui ne peut exister efficacement qu’avec la bienveillance et l’empathie.
Parler de la transparence au sein d’un collectif qui coopère n’est pas suffisant. Et c’est ce qui peut faire la distinction entre une coopération fermée (coopération entre les membres qui constituent le collectif, mais en compétition avec d’autres collectifs) et la coopération ouverte.
Il y a aussi un deuxième niveau de distinction : celle entre une coopération qui joue la transparence entre ses membres en interne et celle qui joue la transparence avec ses acteurs·trices internes et avec ses parties prenantes externes.
Résumons-nous sur opacité et transparence
Ego-Argent-Compétition-Opacité | Ecologie-Bien commun-Coopération-Transparence |
---|---|
Focalisation sur son propre intérêt (au niveau individuel, au niveau collectif) | Approche gagnant-gagnant |
Ma liberté avant tout | La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres |
Risques de déresponsabilisation sur les impacts collatéraux | Co responsabilité, Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) |
Focalisation sur l’argent | Bien commun |
Compétition | Coopération |
Secret | Ouverture et partage |
Entretien de l’opacité | Recherche de transparence |
Défiance | Confiance |
Risques de malveillance (action, voire intention) | Bienveillance (intention, action) |
Indifférence | Attention Réciproque |
Risques de malfaisance, de comportements déloyaux | Altruisme |
Fierté focalisée sur l’argent, la réussite, le pouvoir Risques de culpabilisation |
Fierté focalisée sur le travail bien fait, la qualité relationnelle, la coopération et les fruits de la gestion du bien commun |
Risques de déconnexion avec soi, autrui et la planète | Connexion étroite avec soi, autrui et la planète |
Cercle vicieux Sentiment de puissance pour certains et d’impuissance pour le plus grand nombre |
Cercle vertueux Sentiment d’alignement |
Vive la transparence !
Ma conviction est que pour bon nombre de professions la transparence avec les clients, consommateurs et usagers bénéficierait à tout le monde si on adopte et si on s’adapte à une vision moyen long terme et une attitude Sam’Vabien. Je donne quelques exemples :
- Nous sommes fiers de la soupe que nous fabriquons et notre usine est d’ailleurs ouverte au public (comme le font certaines fabricants d’objets artisanaux); nous n’avons rien à cacher et nous n’avons pas besoin de secret industriel car ce qui fait la différence, ce sont les personnes qui sont là.
- Nous cuisinons cuisine ouverte dans notre restaurant. N’hésitez pas à vous approcher et à poser des questions.
- Nous affichons le prix de revient de nos lunettes et nous les expliquons.
- Nous expliquons le prix de revient de nos produits laitiers, nos marges, ce que perçoivent les agriculteurs.
- Venez voir comment nous fabriquons nos pâtisseries dans nos boulangeries.
- Nous expliquons ce que nous utilisons pour produire nos fruits, légumes, ce que nous consommons en eau, en électricité, …
- Venez participez à l’évolution de nos logiciels, les logiciels libres pouvant constituer une base de réflexion pour un certain nombre de secteurs de l’économie; une façon de raisonner “bien commun” et développement collaboratif.
(Beaucoup) plus de transparence dans le monde du travail est un levier important de la Qualité de Vie au Travail; en particulier pour développer la fierté du travail et le sentiment de pratiquer pleinement son métier. C’est aussi un levier de la qualité de vie, et c’est ce que j’ai voulu argumenter dans cet article à travers mon approche systémique.
Dans un environnement où, ne nous le cachons-pas, l’opacité s’étend largement, remettre de la transparence nécessite conviction, intention, mobilisation, action, appréciation, reconnaissance, valorisation et persévérance. Ce n’est pas un mince programme. Mais il est à notre portée car celui qui décide de tout en fin de compte : c’est le consommateur, c’est vous, c’est nous. En étant exigeant sur nos choix de consommation et sur les conditions d’exercice de nos métiers, nous pouvons réamorcer les cercles vertueux.
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