À l’eau ? Au travail !
Forte de ma dernière expérience (lire l’article précédent : Allô ? À l’eau !), j’ai passé mes coups de fils, fixe et portable sont silencieux, wifi et 3G déconnectés. En condition atelier d’écriture, je suis prête pour plonger à nouveau en brasse coulée sur mon ouvrage. Pourquoi en brasse coulée ? Je me suis aperçue que c’était mon mode de fonctionnement le plus vertueux : une longue concentration soulagée par des moments de respiration qui m’aident à garder mon rythme sur la longueur. Lisez plutôt.
Entrer dans le travail
Certains entrent dans le bain directement. Selon leur tempérament ils plongent ou ils sautent, plus ou moins élégamment, bruyamment, joyeusement. D’autres choisissent une immersion plus progressive ou plus discrète.
Certains investissent le terrain et enchaînent sans tarder sur leur objectif individuel. D’autres ont besoin d’une introduction en douceur : des exercices d’échauffement, de petits ajustements vestimentaires, de la convivialité, des regards, des bonjours, des sourires aux têtes connues, voire une petite discussion pour faire la transition avant de “s’y mettre”.
Certains savent où ils en étaient, où ils souhaitent se rendre et de quelle façon. D’autres peuvent, voire doivent cheminer pour innover.
Toutes les combinaisons sont possibles.
Un environnement singulier et pluriel
La piscine est un excellent terrain d’entraînement aux conciliations en tous genre. Filons la métaphore piscine/environnement de travail. Nager est un plaisir pour certains, un pensum pour d’autres. Si les façons de nager sont diverses, les connaissances, capacités, objectifs, temps et rythmes des nageurs sont multiples. Néanmoins, tout le monde est dans le même bassin. Certaines règles sont émises par l’organisation : des lignes sont réservées pour les nageurs, un autre espace pouvant être investi plus librement pour aller à son rythme ou “joyeux-luronner” dans un espace réservé à l’apprentissage ou à la convivialité.
Même sans travailler en équipe (peu d’opportunités en piscine publique), accorder les humeurs et les rythmes est indispensable si l’on ne veut pas se retrouver dans un panier de crabe ! Heureusement, même si parfois il nage de travers, l’être humain est généralement capable d’adaptation. Encore faut-il qu’il soit prêt à composer.
Expérience d’ajustements du singulier au pluriel
Le regard, l’observation de l’environnement : au fil des semaines, je me rends compte que sur le dos… je ne nage pas droit. Afin d’éviter de déplaisantes collisions, j’élabore une stratégie d’adaptation. Trouver des repères au plafond… insuffisant. Forcer sur l’épaule ou le muscle éventuellement défaillant… parfois douloureux. Me repérer sur la ligne ou le bord du bassin… c’est mieux, mais ce n’est pas encore satisfaisant. Je décide finalement de tester une autre posture : la brasse sur le dos. La nuque un peu trop étirée à mon goût, d’un point de vue individuel mon confort est incomplet, mais d’un point de vie collectif, c’est compatible. En attendant mieux, ce sera ma posture pendant les semaines suivantes.
Un événement quelque peu douloureux déclencha ce mieux : une collision inter-cranienne avec un Astérix dopé à la potion magique, crawlant à l’endroit mais en aveugle. Conséquence : je me résous alors à adopter la brasse coulée. Mes petites lunettes collées aux orbites, je découvre une posture finalement très confortable en serrant les abdominaux. Je gère également mieux mon souffle, et la couleur bleue du fond de la piscine m’apaise.
Néanmoins, il m’arrive parfois de ne trouver ma place dans aucun espace de la piscine. Ainsi, un jour, je suis découragée à la vue des lignes : les bolides sont très nombreux. Je préfère investir l’autre espace, où une grande diversité d’électrons libres – ou en grappe – évoluent à des rythmes très disparates. Certains chahutent, d’autres nagent. Certains sont très lents, d’autres très rapides. Certains sont malhabiles, d’autres slaloment aisément pour se frayer un chemin. De temps en temps des nageurs “allers” contournent des nageurs “retours”. Certains communiquent par le regard ou la parole (plus ou moins aimablement). Pendant mes premières longueurs, je laisse passer les bolides, contourne les lambins, évite les chauffards, souris aux heureux caractères, ignore les esprits chagrins. Je fais mon chemin.
Mais au bout de quelques minutes, je me lasse. Le stress me gagne. Je dois changer de stratégie. Je décide alors de faire l’expérience de la lenteur pour retrouver mon calme, et je me mets à suivre le rythme du premier lambin venu. Je me laisse guider par son rythme, très lent par rapport au mien, pour parfaire ma position, mes gestes, mon souffle, ma régularité. Très vite, je me sens apaisée. Je suis sereine et heureuse de peaufiner ma technique, d’en ressentir les bienfaits.
Généralement, je suis essoufflée au bout de ma longueur. Pour la première fois je ne marque pas de pause avant de repartir. Au même rythme. Lent. Au passage, mon guide m’adresse en souriant un bref salut de la tête. Il semble reconnaissant de ne pas se sentir de trop dans cet environnement presque hostile pour lui. En suivant son rythme, je me rends compte que je ne suis agitée ni physiquement ni mentalement. Ni intérieurement, ni par l’environnement. Je nage. En pleine conscience. C’est très efficace et je me sens bien.
La diversité au travail
Chaque personne qui entre et évolue dans son travail est différente de l’autre. Nul besoin de distinguer les couleurs de peau, les sexes, de compter les années ou définir des handicaps pour parler de diversité. Au sens propre, la diversité c’est l’ensemble des personnes singulières, composant une entité plurielle. Considérer avec bienveillance la singularité au pluriel évite les discriminations, et favorise les adaptations entre les individus. Ainsi, contourner, piloter, sécuriser, adopter la posture de l’autre sont autant d’actions possibles à combiner pour favoriser l’harmonie dans un collectif, parfait terreau pour la construction d’une oeuvre commune.
Le lien entre qualité de vie au travail et qualité du travail est très clair : avoir ou prendre le temps de bien faire son travail renforce l’estime de soi, la reconnaissance de ses propres capacités. La cerise sur le gâteau, c’est que globalement c’est efficace et que cela induit de la reconnaissance.
La communication, l’échange, le regard vers l’autre marquent la volonté d’accorder ses besoins à ceux des autres, ou vice versa. L’apaisement induit dans les relations joue en faveur d’un climat convivial, créant du lien entre les personnes.
Enfin, il est intéressant de comparer les comportements individuels de nageurs en piscine, et ceux des personnes travaillant dans une organisation où la finalité commune n’est pas clairement lisible par les salariés : parfois, les hauts potentiels travaillent en ligne et en performance, pour eux-mêmes, sans pour autant croiser leurs compétences. Les autres subissent ou tentent de concilier les différences pour une promiscuité plus harmonieuse, mais toujours mus par un objectif individuel.
Votre entreprise vous évoque-t-elle une piscine ? un stade de football ? un orchestre de jazz ?
photo sous licence creative commons – auteur : Cartese