Un état des lieux de l’Assurance Maladie sur les affections psychiques au travail
La branche Risques Professionnels de l’Assurance Maladie a publié récemment un état des lieux des risques psychosociaux reposant sur les affections psychiques déclarées en 2016. Nous vous en présentons les points qui nous semblent clé et notre analyse. C’est aussi une façon d’aborder la Qualité de Vie au Travail (QVT).
Un préambule où laqvt.fr met les points sur les I
Il est quelques fois reproché au concept de QVT et aux actrices et acteurs qui promeuvent ce concept ou qui interviennent sous cette étiquette de déserter les questions de la souffrance au travail. Pour les actrices et acteurs, ce serait aussi d’être instrumentalisé pour noyer le poisson des RPS (risques psychosociaux) et de substituer la question de la performance à celle de la santé psychique.
En réalité, la QVT ne se place pas sur le même plan que les RPS et ne fait pas intervenir les mêmes acteurs. Les RPS se focalisent sur la prévention des risques professionnels pour la santé psychique, à l’instar de la prévention des risques physiques. Ce sont d’ailleurs les mêmes acteurs en première ligne que pour les risques physiques : l’employeur qui, rappelons-le a une obligation de résultats en matière de préservation de la sécurité et de la santé des salariés, la fonction Ressources Humaines (dont les préventeurs quand ils existent) selon la taille de l’entreprise, le Comité d’Hygiène de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT), plus globalement les Instances Représentatives du Personnel (IRP) et la médecine du travail. Est aussi impliqué dans une moindre mesure (dans les faits) l’encadrement.
Pour clarifier cette distinction, je fais appel à la définition de la santé par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui date de 1946 :
La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité.
Deux éléments indispensables à une bonne compréhension de ces sujets apparaissent dans cette définition.
Dans les propos, y compris au plus haut niveau politique, on assimile souvent la santé à la santé physique; la santé psychique étant déconnectée. Or, la santé est à considérer de manière intégrative et holistique dans les 3 dimensions : physique, psychique et sociale.
Si la responsabilité de l’employeur est bien de préserver la santé de l’individu, en réalité ce que promeut l’OMS c’est que la société, y compris dans le monde du travail, investisse le sujet de la santé non seulement sur la partie gauche du continuum du schéma précédent, mais aussi la partie droite, à savoir comment aider à sentir bien ou encore mieux.
La Qualité de Vie au Travail s’intéresse à l’ensemble de ce continuum avec une ambition différente, plus large, et en quelque sorte plus ambitieuse que pour les RPS :
- Faire participer très largement les salarié·e·s pour que les conditions de travail soient réfléchies à partir de la réalité du travail. C’est aussi un sujet de co responsabilité : la QVT n’est pas de la seule responsabilité des actrices et acteurs évoqués pour les RPS. “La QVT, c’est pour toutes et pour tous, et par toutes et par tous. » Tel est notre leitmotiv.
- Inclure la question de la santé et donc du bien-être (cf la définition ci-dessus) dans la construction des décisions stratégiques et opérationnelles. Et c’est en ce sens que sur laqvt.fr nous voulons raccrocher la QVT avec la performance : dans beaucoup d’organisations les décisions étant dictées par la performance, il s’agit pour le moins de combiner deux exigences qui ne doivent pas être opposées en première intention : le bien-être de l’individu et la performance. Et de ce point de vue, le risque d’opposition ou d’injonction paradoxale entre ces deux exigences apparaît quand la performance est entendue comme performance court terme. En revanche, performance durable et globale et bien-être des individus se combinent beaucoup plus aisément. Encore faut-il inscrire le bien-être des individus dans la conscience et dans les processus des prises de décisions. Sur laqvt.fr, nous voulons porter une vision encore plus ambitieuse : celle de faire du bien-être des individus une intention première qui crée comme bénéfice collatéral la performance globale et durable. Dans les prises de décisions, cela se concrétise par poser la question du bien-être en premier et la question de la performance en deuxième. Exemple : “Je vois où tu en es en ce moment par rapport à ta santé, tes aspirations (parce que je intéresse à toi) et à partir de cela, ensemble, définissons les objectifs compatibles »; c’est, entre autres, ce que nous aimerions voir plus souvent dans l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) au vu des valeurs affichées.
Question de terminologie
Le rapport de l’Assurance Maladie démarre par un utile éclairage terminologique, en particulier pour distinguer RPS et TPS :
- Les risques psychosociaux (RPS) : probabilité de survenue de troubles psychosociaux, relative à une exposition à des facteurs de risques psychosociaux ;
- Les troubles psychosociaux (TPS) ou affections psychiques liées au travail : troubles psychiques avérés chez un travailleur, dont l’origine est directement liée à son milieu professionnel.
Ajoutons maintenant les distinctions en Accident du Travail (AT), Accident de Trajet, et Maladie Professionnelle (MP) :
“Un accident survenu au salarié par le fait ou à l’occasion de son travail, quelle qu’en soit la cause, est considéré comme Accident du Travail.
Pour que l’accident du travail soit reconnu, le salarié doit justifier des deux conditions suivantes :
- il a été victime d’un fait accidentel dans le cadre de son activité professionnelle,
- le fait accidentel a entraîné l’apparition soudaine d’une lésion (1).
Un accident est considéré comme un accident de trajet s’il survient à un salarié pendant le trajet effectué entre les points suivants :
- sa résidence et son lieu de travail,
- son lieu de travail et le lieu de restauration où le salarié se rend pendant la pause repas.
Une maladie contractée par un salarié peut être considérée comme d’origine professionnelle lorsqu’elle est contractée en lien avec son activité professionnelle.
La maladie peut être d’origine professionnelle si elle figure ou non au tableau des maladies professionnelles. »
Source : Service-Public.fr
Les thèmes traités dans ce rapport
Le rapport traite principalement de deux sujets évoqués précédemment : il donne un état des lieux des TPS pour l’année 2016 et explique la façon dont l’Assurance Maladie, avec d’autres acteurs (INRS, DIRECCTE, réseau Anact/Aract, …, soutiennent les démarches de prévention des RPS dans les organisations. Sur ce point, elle exprime une priorité “la prévention des risques psychosociaux doit être prioritairement engagée dans les secteurs les plus à risque » Nous reviendrons dans le diaporama qui suit, sur quels sont ces secteurs les plus à risque.
Le rapport s’intéresse aussi à l’accompagnement des victimes des TPS et en particulier à la déclaration des sinistres. Selon ce rapport, “il existe encore probablement une sous-déclaration de ces sinistres. »
Si le rapport donne des chiffres sur les TPS déclarés et reconnus, en revanche l’exercice est certainement beaucoup compliqué pour évaluer cette sous-déclaration et donc aucun chiffre n’est donné dans ce rapport. De notre point de vue, réaliser une telle évaluation, même sous forme d’intervalle large (entre telle et telle valeur) pourrait mettre en évidence de manière criante le montant des TPS non déclarés pris en charge par le régime général de l’Assurance Maladie et le niveau de sous-déclaration des AT et (probablement encore plus) des MP.
Les chiffres clés du rapport
Je vous propose le diaporama ci-dessous que nous avons élaboré à partir des informations que nous avons sélectionnées dans ce rapport.
Accident au Travail et Maladie Professionnelle : pas même combat !
Le ratio de 20 entre nombre de déclarations d’AT par rapport aux MP indique bien la difficulté à faire reconnaître une affection psychique en maladie professionnelle.
Notons toutefois que le nombre de déclarations et de reconnaissances pour MP croit d’année en année. Le nombre de dossiers a été multiplié par 7 entre 2010 et 2016, mais reste faible (586 reconnaissances en 2016) au regard du phénomène des RPS, de la souffrance au travail et des affections psychiques constatées par la médecine de ville et pour lesquels les patient·e·s déclarent un lien avec leur travail.
Nous voyons quatre raisons principales à cette difficulté à reconnaître une maladie professionnelle alors que paradoxalement, dans notre quotidien au travail, nous sommes toutes et tous confrontés à beaucoup plus de personnes qui vont mal psychiquement et qui relèveraient plus de la maladie professionnelle que d’accident du travail pour cause psychique. On peut expliquer ce paradoxe par le fait d’une prise de conscience plus forte par toutes les parties prenantes que le processus de reconnaissance d’un AT étant plus facile à mettre en oeuvre que celui d’une MP, les cas où se poseraient éventuellement un choix entre les deux possibilités de déclaration conduisent plus dans le sens d’une action de déclaration d’un AT.
- La première raison de la difficulté à reconnaître une maladie professionnelle, et contrairement à un certain nombre de maladies physiques, est qu’il n’y a pas de possibilité de faire reconnaître une maladie psychique par rapport au tableau répertorié des maladies professionnelles. Aucune maladie psychique n’apparaît dans ce tableau. Il faut donc passer par la case Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP). Par ailleurs, les critères à remplir pour obtenir la reconnaissance en MP, et notamment le taux d’incapacité exigé, sont souvent inatteignables. Le magazine Santé et Travail dans son article sur son site internet 20 000 accidents du travail dus à la souffrance psychique cite Michel Lallier, président de l’Association d’aide aux victimes et aux organisations confrontées aux suicides et dépressions professionnelles (ASD-Pro) qui explique en substance que les seuls dossiers dans le secteur privé où ils ont pu faire valoir un taux supérieur à 25% et obtenir une reconnaissance en MP sont ceux correspondant à des suicides.
- La deuxième raison nous semble assez simple mais peu souvent évoquée : un·e salarié·e souffrant d’une dépression sévère ou autre pathologie psychique est rarement en état de santé compatible avec un processus de demande de reconnaissance de sa maladie, d’autant plus s’il s’agit d’un parcours du combattant à mener. Cet argument est aussi valable pour les AT, en particulier dans le cas suivant indiqué dans le rapport “l’élément déclencheur est d’autant plus discuté quand le déclarant (l’employeur) et la victime (le salarié) sont les protagonistes de la situation de travail en cause ». J’ai moi-même pu le constater récemment avec une personne proche en situation d’AT pour une affection psychique. Son employeur conteste l’AT avec des éléments mensongers dans sa déclaration. Ce qui constitue un déni de reconnaissance reçu en réponse à une demande de reconnaissance, élément évidemment aggravant pour la santé de la victime de l’AT. Ce n’est pas le cas général, mais j’ai été témoin à plusieurs reprises de dossiers de reconnaissance d’AT qui ont été très éprouvants pour la victime et aussi pour les proches (sachant que le mauvais état de santé de la victime fait que dans certains cas, c’est l’entourage qui soutient voire porte les démarches).
- Troisièmement, bon nombre de salarié·e·s (combien sont-ils·elles ?) vont aller voir leur médecin périodiquement pour se faire arrêter quelques jours car ils ne se sentent plus de retourner affronter les conditions de travail, ou leur encadrement, ou les objectifs à tenir, ou les tensions avec un·e collègue, ou les agressions ou la mauvaise humeur des usagers, ou les comportements déloyaux vis-à-vis des clients/usagers/consommateurs auxquels ils sont astreints, … avec un état de santé psychique qui peut se dégrader au fur et à mesure. Ils·elles ne peuvent pas justifier un accident du travail. Les critères pour la reconnaissance en maladie ne pouvant pas être atteints, l’information auprès des salariés sur ses droits étant encore très embryonnaires, celle des médecins de ville également, nous sommes confrontés à un scénario où le régime général de l’Assurance Maladie en fait aussi les frais.
- Et quatrièmement, et ce n’est pas la moindre : certaines personnes à bout démissionnent ou négocient une rupture conventionnelle et basculent chez Pôle Emploi avec une énergie pas forcément au rdv pour faire face à un processus de recherche dont on sait qu’il peut être très perturbant au niveau psychique sur le marché de l’emploi défavorable. D’autant plus quand pèse la menace grandissante de suspension des indemnités en cas de recherche insuffisante. D’autres essayent de rebondir, dégoûtées par le monde du travail à la mode salariat classique, en tentant de monter une activité entrepreneuriale (en auto-entrepreneur, en portage salarial, au sein d’une coopérative d’activité et d’emploi (CAE), …) avec une réussite aléatoire pour certaines du fait de leur niveau de santé mental défaillant et d’un choix en réalité plutôt motivé par une fuite qu’un véritable élan d’entreprendre.
En lien avec le dernier item, nous avons conçu un questionnaire pour étudier la prévalence des situations où des salariés en souffrance dans leur entreprise ont décidé de la quitter et de démarrer une activité entrepreneuriale; avec une des motivations de cette activité entrepreneuriale qui serait de sortir du modèle salarial classique pour ne pas retrouver les facteurs qui ont causé cette souffrance au travail.
Il s’agit aussi de voir en quoi la fuite de la souffrance au travail a pesé dans la décision de devenir entrepreneur·e.
On s’intéresse aussi dans ce questionnaire au constat que peuvent faire les personnes concernées en matière d’évolution de leur Qualité de Vie au Travail (QVT).
Lien d’accès à ce questionnaire qui s’adresse spécifiquement aux personnes qui vivent ou ont vécu un parcours professionnel où elles se sont dirigées vers une activité entrepreneuriale après une expérience douloureuse en tant que salarié·e.
Conclusion
Ce rapport très riche de l’Assurance Maladie peut nourrir les réflexions individuelles et collectives sur la reconnaissance des pathologies psychiques, sur la reconnaissance du burnout, sur l’importance de disposer d’autres éléments quantitatifs et qualitatifs qui donnent la vraie mesure de la santé au travail et sur la priorité que nous devrions donner à l’investissement à tous les niveaux de la société sur les sujets de la QVT, d’une innovation managériale allant dans le sens de l’amélioration de la QVT, de la Responsabilité Sociale des Entreprises, de la qualité de vie, du bonheur, …
(1) La lésion peut être corporelle ou psychologique, comme par exemple : une coupure ou une brûlure, une douleur musculaire apparue soudainement à la suite du port d’une charge, un malaise cardiaque, un choc émotionnel consécutif à une agression commise dans l’entreprise.
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