L’homme, un matériau ?
En cette période où l’on évoque largement le stress au travail, les risques psychosociaux, la souffrance au travail, les suicides en lien au travail, probablement serait-il utile de réfléchir aussi en revenant à des considérations très terre à terre : la résistance des matériaux. L’homme n’est pas différent d’un animal, d’une branche, d’une barre de fer, d’un immeuble, d’un caillou, … : sous les pressions qu’il subit, il peut casser.
Un tsunami récent en mémoire.
L’actualité récente au Japon nous a montré que même les constructions, les édifices et les dispositifs assurés comme étant indestructibles ne le sont pas face à n’importe quelle situation accidentelle.
Certaines, telles que les centrales nucléaires le sont présentées comme telles, dans les discours. Mais quand l’accident survient, on apprend alors que bien entendu ce n’est pas le cas, que les concepteurs le savaient pertinemment. Les lois de la physique sont là pour le rappeler et en support des architectes lors de la conception. On apprend donc que ces constructions sont conçues pour être capables de résister à un certain niveau d’accident (tremblement de terre, tsunami, attentat, guerre, …). Par ailleurs, comme tous les événements accidentels ne se valent pas en intensité, une échelle de gravité permet de hiérarchiser et de définir le niveau d’impact. Des modes dégradés de fonctionnement sont aussi réfléchis et mis en œuvre.
Et l’homme dans tout ça ?
Par cette question, je ne fais pas allusion aux conséquences pour l’homme des accidents nucléaires, sur les salariés des centrales, sur les équipes de secours et sur les riverains à x kms à la ronde (x étant une inconnue encore sacrément inconnue en fonction de nombreux facteurs dont le vent).
Non, la question est l’homme est-il aussi conçu indestructible ? Bien sûr, la réponse sera évidente pour tout le monde. Mais à y regarder plus près dans le monde du travail, il est légitime de se poser la question en la reformulant : le travail et le monde du travail sont-ils toujours conçus avec dans l’esprit que l’homme n’est pas indestructible ?
Ma réponse va dévier un peu de la question : l’homme au travail est bien souvent considéré comme capable de s’adapter aux situations. C’est le fameux principe de “l’homme qui s’adapte au travail”, principe opposé de celui du “travail qui s’adapte à l’homme”.
Depuis de nombreuses années, dans les pays développés, les risques à la santé physique des individus suscitent de nombreux efforts de prévention des organisations. Cette prévention est largement rentrée dans les pratiques de gestion.
Et les risques à la santé psychologique ?
A la lecture du rapport remis récemment par la Direction Générale du Travail (DGT) à Xavier Bertrand, le Ministre du Travail, sur l’état des accords sur le stress au travail dans les entreprises de plus de 1 000 salariés, on comprend bien en quoi c’est un sujet à la fois sensible et complexe.
Voici donc une petite contribution à une meilleure compréhension de la problématique. J’en reviens donc à la résistance des matériaux.
Considérons l’être humain comme un matériau, un peu comme une barre souple. Si on la tord un peu, elle va se déformer le temps de la pression puis revenir à sa position initiale. C’est cette souplesse qui en fera toute son efficacité. Si on la tord trop fort, elle va carrément se déformer et va rester déformée. La rendant de ce fait plus fragile. Et si on la tord trop violemment ou si on la tord trop fort trop souvent son seuil ultime de résistance sera franchi et elle va casser.
Pour comprendre les risques psychosociaux et leur prévention, pourquoi ne pas avoir en tête cette image de la barre pour l’individu au travail.
La stratégie et les pratiques de gestion de l’organisation doivent assurer que la barre ne subisse pas de pressions qui dépassent le seuil de résistance de déformation qui laisse des traces.
C’est bien évidemment compliqué puisque chaque individu a son propre seuil de résistance, qui par ailleurs peut varier dans le temps en fonction des circonstances de vie.
Mais ce n’est pas parce que chacun est unique qu’on ne peut rien faire.
Si l’idée que toutes les actions stratégiques et les pratiques de gestion du quotidien peuvent intégrer un questionnement sur l’impact de l’action sur l’individu, sur sa résistance, c’est un pas considérable qui sera franchi en terme de prévention des risques psychosociaux.
“Ne sommes-nous pas en train de leur en demander trop ?”, “Ne suis-je pas en train de lui en demander trop ?”.
C’est une responsabilité collective et individuelle vis-à-vis des autres individus qui travaillent dans l’organisation. C’est aussi une responsabilité vis-à-vis des individus qui travaillent chez les fournisseurs. Et en cela, la norme ISO 26000 sur la Responsabilité Sociétale des Organisations développe l’idée d’une coresponsabilité entre toutes les parties prenantes.
Et moi, et vous dans tout ça ?
Nous avons aussi notre responsabilité pour nous-mêmes : notre santé physique et psychologique nous appartient. Il est de notre responsabilité de la gérer.
Il est entendu que certains ont une marge de manœuvre extrêmement étroite dans leur travail. Mais aussi étroite qu’elle puisse être, il est aussi de la responsabilité individuelle de s’interroger sur ses propres marges de manœuvre qui sont souvent extensibles et d’œuvrer dans cette marge sa propre santé.
Notre approche chez Novéquilibres, c’est d’aborder cette question sous l’angle de la qualité de vie au travail qui interroge, entre autres, la préservation de la santé physique et psychologique au travail. La qualité de vie au travail, un sujet donc individuel et aussi un sujet à porter collectivement en lien avec une performance individuelle et collective durable.
Œuvrons ensemble pour ne pas être des matériaux jetables mais durables. En mettant bien entendu la réserve que l’individu ne peut se résumer à un matériau manipulable à merci et qui n’aurait pas de capacité à influer sur son destin.
photo sous licence creative commons – auteur : bottled_void