Lundi 23 septembre 2019, mettons la QVT en perspective
A l’initiative d’António Guterres, Secrétaire général de l’ONU, est organisé à New-York lundi 23 septembre 2019 le sommet action climat 2019 . Vous allez peut-être penser “Fort bien, mais quel rapport avec la Qualité de Vie au Travail (QVT) ?” Comme l’annonce le titre de l’article, il m’a semblé essentiel de mettre le sujet de la QVT en perspective d’un enjeu à la fois plus global et en lien : l’urgence climatique, l’avenir de la planète, de ses écosystèmes naturels et économiques, et des êtres humains et autres qu’humains qui en font partie et y contribuent par leurs activités, dont le travail.
L’heure est grave selon le secrétaire de l’ONU
“Ce sommet constituera une étape déterminante dans la coopération politique internationale et incitera de vastes mouvements de soutien au cœur de l’économie réelle. Ensemble, ces évolutions enverront des signaux politiques et commerciaux puissants et donneront un nouvel élan … nécessaire pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris et les Objectifs de développement durable …
Si nous ne changeons pas de cap d’ici 2020, nous risquons de passer à côté de l’essentiel qui fait que nous pouvons éviter un changement climatique galopant, avec des conséquences désastreuses pour les populations et tous les systèmes naturels qui nous font vivre. »
Et si on considérait qu’António Guterres est le représentant de l’espèce humaine vivant actuellement sur la planète ? Un représentant qui rapporte à l’ensemble des humains les informations “stabilisées” des scientifiques et des enjeux. Il invite tous les citoyens, et notamment les jeunes et les femmes à peser sur les décideurs :
“Il est impératif que la société civile – les jeunes, les groupes de femmes, le secteur privé, les communautés de foi, les scientifiques et les mouvements populaires du monde entier – appellent leurs dirigeants à rendre des comptes“.
Une semaine pour faire masse et peser sur les responsables politiques
La semaine internationale sur le climat du 20 au 27 septembre 2019 est une occasion de mobiliser les citoyens, notamment autour de manifestations les vendredi 20 et samedi 21 septembre 2019.
Le vendredi 20 septembre 2019 les jeunes sont appelés à manifester dans le monde entier. Je cite l’initiative responsable et inhabituelle de Bill De Blasio, maire démocrate de New-York, et de l’administration scolaire de la ville qui fait écho à l’appel du Secrétaire de l’ONU : il donne leur feu vert pour que les élèves des écoles s’absentent de leur classe pour aller participer à la grande manifestation qui aura lieu le vendredi 20 septembre 2019 ; manifestation emmenée par la jeune Suédoise Greta Thunberg. Un potentiel de plus d’un million d’élèves. Une attitude qui tranche avec celle de Donald Trump.
Alors, élus français, si vous emboîtiez le pas du maire de New-York et si vous faisiez votre propre pas pour embarquer/animer votre territoire et la France vers le changement appelé par le Secrétaire de l’ONU ? Vous pourriez considérer que vous êtes des ambassadeurs de l’ONU sur votre territoire du programme mondial de développement durable. Probablement une façon d’ouvrir les yeux sur ce qui pourrait faire sens avec la perspective des élections municipales qui approchent.
Des ONG (notamment Greenpeace) et des syndicats (notamment Solidaires, SNES FSU, CGT Services publics ) invitent les salariés à faire grève et à rejoindre les jeunes le vendredi 20 et à manifester le samedi 21 septembre 2019 (dates et lieux des rassemblements).
Une semaine pour aborder la question de l’empreinte écologique dans les organisations
Cette semaine peut être aussi l’occasion pour les entreprises privées et publiques, les associations, … leurs salariés, travailleurs indépendants, leurs bénévoles, … de mettre en conscience les enjeux et d’entreprendre des réflexions individuelles, collectives et inter-collectives pour s’attaquer avec détermination à une baisse de l’empreinte écologique pour éviter notamment un emballement climatique.
Pour ce faire, il faut aller au-delà des signes que l’on peut voir autour de nous et qui pour certains sont anodins. Des “bombes à retardement climatiques” sont pointés par les scientifiques et il s’agirait d’être le plus nombreux possible au diapason de ces informations. Le secrétaire de l’ONU pouvant largement être considéré comme une source crédible pas facilement taxable de pessimisme ou de catastrophisme.
Du plus facile au plus complexe et radical
Je vous propose de considérer les actions de contribution à la diminution de l’empreinte écologique des activités économiques au travers de 5 aspects :
- Le déplacement du travailleur sur son lieu de travail
- L’empreinte écologique de l’activité elle-même
- L’empreinte écologique des matières premières utilisées
- L’empreinte écologique induite par l’utilisation du produit/service vendu
- L’utilité de l’activité économique
J’ai choisi cet ordre parce qu’il me semble qu’il va du plus facile au plus complexe à mettre en place et au plus radical. “radical” dans le sens qu’il s’agit d’appréhender les activités économiques selon un nouveau paradigme qui s’impose à la planète sous peine de mettre en péril la biosphère (dont la vie des humains). Un paradigme qui remonte aux racines et qui peut s’inspirer d’époques lointaines où l’homme n’instrumentalisait et ne dominait pas la nature (et ne dominait pas la femme non plus). Les périodes qui ont précédé la naissance du patriarcat, de l’agriculture et de la propriété.
“Tu pollues combien quand tu vas au travail ?”
Le titre de cette section est plutôt provocateur et carrément culpabilisant. C’est très exactement le contraire à faire pour interroger cet aspect qui semble en premier lieu s’adresser à la responsabilité individuelle.
Si en effet elle s’adresse bien à ce niveau de responsabilité, en réalité, et à l’instar de beaucoup de sujets liés à la QVT, il s’agit de trouver la bonne articulation entre la responsabilité individuelle et collectives. Une responsabilité collective consistant par exemple à développer le télétravail à domicile ou dans des centres proches du domicile.
Chacun peut voir en quoi il peut améliorer son impact en terme d’émission de gaz à effet de sphère (GES) et accepter peut-être d’abandonner ou de réduire des solutions de facilité ; par exemple prendre sa voiture pour un très court trajet alors qu’il pourrait être effectué à pied ou en vélo. Comme pour cet exemple, de nouvelles habitudes peuvent avoir d’autres impacts positifs : l’entretien de la santé.
“On pollue combien avec notre activité économique ?”
Je continue avec un titre provocateur. Comme pour le trajet, il s’agit en réalité d’analyser objectivement l’empreinte écologique de l’activité économique elle-même : combien d’énergie utilise-t-on pour la production, pour les autres fonctions de l’entreprise, pour la distribution des produits, … Quel impact a-t-on sur l’environnement immédiat par l’émission de résidus, de déchets, … ?
Des questions qui peuvent amener à faire évoluer la façon de produire. La Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) invite à recenser les parties prenantes, à dialoguer avec elles, à co-construire (ce qui nécessite une certaine maturité). Evoquer les parties prenantes m’offre une transition pour parler des fournisseurs.
“On achète quoi, à qui et pour quel prix ?”
Dans tous les types d’activités (privé, public, …), on connait bien cette tendance forte à prendre en compte le prix de manière très importante voire exclusive dans le choix des fournisseurs. Seulement, ne nous le cachons pas : le moins disant en matière de prix va aussi très souvent avec le moins disant en matière de conditions de travail chez les fournisseurs et le plus impactant sur la planète.
Il en est de même pour le consommateur quand il se précipite dans les magasins discount et les sites internet à prix cassés. En une formule : quand on casse les prix, c’est sur le dos des salariés qui ont contribué au produit ou au service, sur le dos de la planète en acte d’autodestruction puisque l’être humain fait partie intégrante de la planète.
Il y a une véritable culture du juste prix et du partenariat à (re)constituer un peu partout sur la planète et chacun peut y contribuer. Notamment en utilisant la voix de la représentation du personnel puisque la piètre qualité de la matière première a souvent des conséquences négatives sur les conditions de travail. C’est bien entendu aussi (en première intention) la responsabilité des personnes qui participent à la gouvernance et on peut constater en France qu’elle est tenue par un nombre très limité de personnes dans les organisations (à l’exception des coopératives, sachant qu’il faut cependant y regarder au cas par cas pour voir qui détient réellement le pouvoir).
Le partenariat permet aussi de passer d’une culture du quantitatif à une culture du qualitatif ; cela conduit plus facilement l’ensemble de la filière mobilisée dans la construction d’un produit ou d’un service de se valoriser et de valoriser chaque maillon de la chaîne. Pour donner un exemple, un restaurateur qualitatif aura envie de parler à ses clients à leur table des produits de qualité et des producteurs qu’il a sélectionné avec soin et à qui il achète et avec qui il a une relation suivie de confiance. Partenariat, qualitatif fleurent bon avec QVT, fierté et reconnaissance.
“Ca pollue combien quand nos clients utilisent nos produits/services ?”
Se poser une telle question peut conduire à revoir la conception des produits ou des services afin que leur utilisation engendre une empreinte écologique moindre. Cela peut aussi passer par une meilleure information/formation des utilisateurs à un usage plus propre des produits ou services tels qu’ils sont, si le niveau d’empreinte écologique devait dépendre de bons gestes, de compétences à leur bonne utilisation. Je prends pour exemple l’utilisation d’engins thermiques :
- le changement le plus profond serait de concevoir des engins électriques moins émetteurs de gaz à effet de serre
- le changement moindre serait de prodiguer des conseils sur la bonne utilisation et l’entretien et de ne pas limiter la notice d’emploi à un strict minimum quelques fois incompréhensible car résultant d’une traduction automatique.
Mais encore faut-il qu’on ait vraiment besoin du produit/service au regard de l’urgence climatique. C’est le dernier point que je vais évoquer ; le point le plus sensible.
“C’est quoi le sens et l’utilité de notre activité au regard de l’urgence climatique ?”
Si demain la planète devait faire des choix drastiques pour réduire l’empreinte écologique des activités économiques, je ne vois pas comment nous pourrions faire “l’économie” de poser la question à toutes les strates de l’économie “Est-ce qu’on en a vraiment besoin ?”.
Vu du côté du consommateur, la question est finalement assez simple en terme de conséquence si on considère qu’on n’a pas besoin du produit que l’on s’apprête à acheter dans le magasin discount sous prétexte … que ce n’est pas cher, que ça ne mange pas de pain, que ça peut toujours être utile, que c’est plutôt astucieux, qu’on va pouvoir étonner ces amis-voisins-collègues, qu’on va pouvoir se vanter de l’avoir payer moins cher que les autres, … On n’a pas acheté le produit, ça nous manquera pas et on peut passer au produit suivant pour lequel on se posera ou pas la question.
Maintenant, si on mesure les conséquences vues de celui qui vend, livre, fabrique, … c’est tout autre chose et on va vite se heurter à un argument récurent d’un poids considérable, argument massue que les politiques reçoivent en pleine figure sans pouvoir l’esquiver : le maintien des emplois.
Prenons un exemple : si je vous dis que les énormes bateaux usines de croisière polluent de manière considérable, et que, vu les enjeux cruciaux tels qu’exposés en début d’article, on pourrait envisager que les êtres humains abandonnent l’idée de passer leurs vacances de cette façon (au moins tant que ces bateaux ne sont pas devenus largement moins polluants, si c’est possible d’opérer de telles transformations). Il va y avoir une levée de boucliers des chantiers navals, de leurs salariés, des sous-traitants, …
Un changement de paradigme
C’est ce qui me fait dire que seul un changement de paradigme nous permettra de répondre en actes à la double question qui deviendra selon moi de plus en plus pressante : “De quoi a-t-on vraiment besoin et que pouvons-nous nous permettre au regard de l’état de la planète et des risques d’emballement climatique ?“. Ce faisant, on met fin à l’idée de société de consommation. On abandonne la folie selon laquelle la vie n’est pas possible sans la croissance, on abandonne l’illusion que d’autres peuvent avoir qu’il serait possible de continuer à croître tout en réduisant l’impact écologique (cf les brillantes explications d’Arthur Keller dans la vidéo (1) Effondrement : seul scénario réaliste ?) pour un mode à la fois plus sobre et plus respectueux du vivant (dont les humains) et des ressources de la planète. Un paradigme où l’idée d’exploitation des humains, des animaux et des ressources de la planète fera place à la coopération, aux communs, au partage, au droit de vivre décemment., au droit de vivre tout court au vu des risques d’un emballement climatique.
Un nouveau paradigme où bien entendu la QVT pourrait trouver tout le sens que nous lui donnons sur laqvt.fr, où le travail aurait un sens, où il serait choisi, considéré au même titre que l’individu par ses pairs et par le collectif ; avec un rapport plus harmonieux avec les autres sphères de vie, et une très grand transparence des activités, où chaque individu et chaque collectif participant à une filière se sent contributeur d’une oeuvre respectueuse de la planète et utile. Avec une juste conscience de l’impératif de réduction drastique de l’empreinte écologique dont il est illusoire de penser qu’elle puisse se réaliser sans réduction des activités économiques comme l’explique Arthur Keller.
QVT et urgence climatique par olivier hoeffel
(1) Je signale que cette vidéo fait partie de la série NEXT initiée par Clément Montfort
Ping : Episode #30 - La bienveillance dans le monde du travail avec Olivier Hoeffel - Julie Artis