Vidéo : Le toubib, la clope et les pompes
Je vous présente aujourd’hui, une nouvelle série vidéo intitulée « Tirons avec Phil le fil de la métaphore ». Phil est le petit personnage filaire sympathique que vous voyez régulièrement dans nos diaporamas. Il a été dessiné par Michaël Courmont.
Le sujet évoqué ce jour est celui de l’Ajustement QVT, une initiative que nous avons lancée début octobre 2018 et que les lectrices et lecteurs fidèles de laqvt.fr doivent maintenant bien connaître puisque nous avons publié plusieurs contributions à ce sujet. Nous considérons que l’Ajustement QVT est une condition indispensable à un véritable déploiement de la Qualité de Vie au Travail (QVT) en France. Le titre de cette vidéo pourrait faire penser à une fable : le toubib, la clope et les pompes.
Voici ci-dessous cette vidéo. Une transcription est donnée dans la suite de l’article.
Question de congruence à un syndicaliste
Commençons par une discussion que j’ai eue avec un syndicaliste sur le sujet de l’ajustement QVT. Lui-même a tiré le fil d’une métaphore dans un sens qui ne va pas du tout dans le bon sens selon moi. Vous allez comprendre pourquoi.
La scène se déroule il y a 3, 4 ans, à l’époque où l’initiative n’était pas encore lancée, mais le sujet lui, déjà tout à fait pertinent. C’était à l’occasion d’un événement public sur la QVT.
En tête-à-tête, j’interroge un syndicaliste sur la façon dont son syndicat investissait – ou pas – le sujet de la QVT à l’intérieur même du syndicat.
Généralement, quand je pose cette question, la première réaction relève de l’incompréhension voire même peut-être de son aspect saugrenu selon l’interlocuteur. C’est effectivement ce qui s’est passé. Après avoir reformulé ma question, je finis par obtenir la réponse suivante, que je paraphrase, agrémentée d’une franche rigolade de mon interlocuteur :
« C’est un peu comme si vous demandiez à un médecin fumeur d’arrêter de fumer, tout ça simplement parce qu’il est médecin. Ce serait ridicule ! »
Et là, j’ai noté qu’il avait fort bien compris ma question mais qu’on n’était pas du tout d’accord sur le sujet de l’ajustement. Une façon en quelque sorte de m’enfumer, voire de s’enfumer lui-même. En effet, un des enjeux majeurs de l’Ajustement QVT interpelle la capacité à sortir du déni.
J’ajoute le petit côté piquant de cette histoire : mon interlocuteur était … médecin du travail, donc à la base médecin … et probablement fumeur, mais ça, je ne l’ai pas vérifié.
Puisque je vous parle de cigarette, je vais évoquer une 2ème anecdote tout aussi véridique, qui ne m’est pas arrivé personnellement mais qui a concerné une personne proche.
Où une mère tombe des nues
Cette mère de famille se rend avec sa fille adolescente chez un pneumologue. Je vous dresse un tableau rapide : sa fille toussait, fumait du tabac mais pas seulement du tabac.
L’espoir de cette maman était, qu’avec sa blouse blanche, le pneumologue et son autorité saurait peut-être faire entendre raison à son adolescente sur sa consommation de tabac et sur le reste.
Pendant un moment durant la consultation, elle a été fort satisfaite de la tournure des événements. Cela a duré le temps que le pneumologue parle des enjeux de la consommation de tabac.
Seulement quand il a abordé le reste, alors cette maman est tombée des nues : le pneumologue a minimisé l’impact du reste et a conseillé tout simplement à sa fille de fumer le reste … pur, sans tabac.
Vous imaginez bien le discours que la fille hilare a pu tenir à sa mère une fois qu’elles se sont retrouvées dans la rue.
On peut assez facilement imaginer que le pneumologue, lui-même consommateur de substances plus ou moins illicites a banalisé la consommation de ces substances auprès de l’adolescente du fait que lui-même en consommait.
Les risques de la dissonance
Ce qui m’amène à dire que la question de la congruence, n’est pas seulement une question de santé pour le praticien; je parle de sa propre santé.
Ce n’est pas non plus seulement une question d’exemplarité, d’exigence de cohérence, voire de morale.
C’est aussi une question de biais cognitif, de piège cognitif : le fait d’être lui-même pas au clair avec son hygiène de vie fait prendre trois risques :
- celui de banaliser l’enjeu,
- de fausser le diagnostic de situation
- et de tomber dans la complaisance vis-à-vis du patient.
Donc en 3 mots : « c’est très grave », et pour en revenir à l’histoire de mon syndicaliste, il n’y a pas de quoi rire du tout. Et pourtant celles et ceux qui me connaissent et les fidèles de laqvt.fr savent que j’ai d’autres casquettes avec lesquelles je manie l’humour, par exemple en tant qu’auteur des chroniques du professeur Bossondur. Mais, franchement, face à mon syndicaliste et quand cette maman m’a raconté son expérience, cela ne m’a pas faire rire du tout. Et à distance, toujours pas.
Un grand trou dans la métaphore du cordonnier
Cela me donne l’opportunité de revenir sur une autre métaphore que l’on utilise fréquemment pour poser le sujet de la congruence, y compris sur laqvt.fr : celle du cordonnier mal ou bien chaussé.
Pour vous dire, qu’en réalité, cette métaphore, si elle a une qualité indéniable, celle d’être largement connue, en revanche, elle passe à côté de l’énorme enjeu évoqué précédemment.
Je m’explique : si le cordonnier est mal chaussé, on ne voit pas très bien en quoi cela pourrait affecter la qualité de son travail.
En revanche, et en reprenant le cas précédent du pneumologue, un médecin mal chaussé dans ses pompes de médecin, c’est à dire, avec une mauvaise hygiène de vie, cela peut affecter la qualité de son travail.
Et peut-être que dorénavant, je n’utiliserai plus la métaphore du cordonnier, mais celle du médecin avec une bonne ou une mauvaise hygiène de vie ou même pour faire un pied de nez à mon syndicaliste : évoquer la situation d’un médecin fumeur face à un patient fumeur.
Dis doc, t’as ton doc ?
J’ouvre une parenthèse à propos des médecins sur un sujet proche : savez-vous combien de médecins ont leur propre médecin traitant ? Seulement, 20 %. Donc, 80% des médecins font dans l’auto-diagnostic, l’auto-médication, voire rien du tout parce qu’ils sont dans le déni d’éventuels problèmes de santé qui les touchent ou dans un décalage certain entre l’intention et l’action de prendre soin d’eux-mêmes.
Un sujet qui a d’ailleurs interpellé le collège français d’anesthésistes – réanimateurs qui a lancé une campagne de sensibilisation à l’attention des médecins, soutenue par le Ministère de la santé : « Dis Doc, t’as ton doc ? »
Ce qui constitue en soi, une forme d’appel à un Ajustement Qualité de Vie des soignants.
Droit, devoir et bon sens
L’ajustement QVT, qui invite les actrices et acteurs de la QVT, de la santé au travail, … à s’intéresser à leur propre QVT, c’est pour leur bien-être, en particulier psychique, mais c’est aussi pour la qualité de leur travail.
Une façon de considérer l’Ajustement QVT …
- à la fois comme un droit, le droit à sa QVT,
- à la fois comme un devoir, une exigence
- et à la fois tout simplement comme … du bon sens.
Participez à l’initiative Ajustement QVT, exprimez votre intérêt pour cette initiative. Vous trouverez plusieurs ressources dans notre dossier sur laqvt.
A bientôt, pour tirer d’autres fils … avec Phil, évidemment !