Bien vivre en pleine conscience
Dans la série le corps et le travail, découvrez la méditation, pratique (laïque) capitale pour faire bon usage de son corps comme de son esprit. De nombreuses études scientifiques ont démontré ses bienfaits. Une piste à suivre pour améliorer la qualité de vie au travail.
Conviée à la présentation du livre “Méditer, jour après jour” de Christophe André par la librairie Le temps des livres(1), j’ai réussi à atteindre une chaise encore vide, près d’une table de bistrot. À défaut de méditation, ce haïku(2) m’est venu :
La méditation
Espace de silence en jeu
Interrogation
Il traduit vraiment mon état d’esprit : enfin je vais savoir ce qu’est la méditation, et ce qui se passe quand on médite. À quoi pense-t-on ? À rien ? Comment est-ce possible ? Et… à quoi cela sert-il ? Christophe André est psychiatre, il pratique et fait pratiquer la méditation dans certains cas à ses patients. J’ai hâte d’en savoir davantage. Alexandra Riguet, journaliste à France Télévisions et bientôt libraire est là pour l’interviewer. À voix presque basse mais parfaitement intelligible, teintée d’un accent du Sud certain, il s’exprime dans un langage clair, précis et très accessible : simple, parfois même familier. Loin de la distance de sa spécialité médicale, on se sent en présence d’un semblable. Voici ce que j’ai retenu de cet agréable début de soirée.
Ouf ! Il ne se passe pas rien
Pendant le temps de la méditation, le sujet accueille ce qui se passe dans son corps quand il ne fait rien, ou plus exactement quand il essaie de ne rien faire. C’est un moment d’observation sensorielle de ce qui se passe dans son corps, y compris le nez qui se met à gratter ou les pensées parasites (parfois c’est le souk dans sa tête, hé ben on en prend acte, dira-t-il). On parle d’ailleurs de pleine conscience. Nous avons testé à la fin de sa présentation, mais pas trois quarts d’heure, seulement quelques minutes… Et donc… à quoi cela sert-il ? À reprendre contact avec soi. C’est une sorte de réappropriation de notre corps pour qu’il puisse mieux supporter les agressions, recevoir les bienfaits, interagir de façon consciente avec le monde extérieur. Cela sert à répondre aux carences que l’on développe face au rythme et à l’agitation, à l’effervescence, à la profusion ambiante. Le calme, la lenteur et la continuité sont aussi importantes pour la santé que le sport ou les relations sociales (mais ne les remplace pas).
C’est toujours aussi abstrait ? C’est normal. J’essaie d’expliquer avec des mots que vous intellectualisez puisque vous les lisez, ce qui est en réalité une expérience sensorielle. La méditation n’est pas une technique presse-bouton, ni une thérapie, mais un rapport à soi et au monde. Elle nécessite une pratique régulière pour aboutir à une réelle modification de la façon d’être.
Et… quels effets ?
Préventifs ! Médicalement, Christophe André et son équipe à l’hôpital Sainte Anne préconisent la pratique régulière de la méditation pour éviter les rechutes dépressives. Elle permet non pas d’éliminer la souffrance, mais d’éviter de se faire déborder, de ne pas être altéré par la souffrance : la méditation de pleine conscience engendre de la lucidité, du réalisme, et donc un certain apaisement. Elle permet de gagner en bienveillance et en écoute. Envers soi mais aussi envers les autres. J’y ai clairement perçu un désir d’amélioration du fonctionnement social, contrairement à l’idée d’isolement monastique couramment évoquée. Les observations cliniques des bienfaits de cette pratique ont été confirmées par de nombreux travaux de recherche en neurosciences notamment grâce à l’imagerie cérébrale. C’est le cas pour l’observation de l’amélioration des défenses immunitaires par la pratique régulière de la méditation.
Il n’en reste pas moins que les données statistiques démontrent un effet positif en moyenne, ce qui ne garantit pas le succès à tous les coups.
La philosophie du bonheur
La quête du bonheur était la grande préoccupation de la philosophie grecque – même si elle ne concernait que les élites (femmes, esclaves et métèques en étaient naturellement exclus). Au XVIIIè siècle tous les penseurs, philosophes et même les politiques avec les révolutions américaine puis française prennent acte de cette quête du bonheur qui doit être rendue accessible à tous les citoyens. Dans la Déclaration d’indépendance, en Amérique, sont inscrits le droit à la vie, à la liberté et à la recherche du bonheur. Puis avec les Trente Glorieuses, la course au bonheur s’est transformée en course à la surconsommation : nos besoins fondamentaux (de lien social, de statut, de pouvoir subvenir à nos besoins) ont été associés à des objets, d’où une surexploitation de la course au bonheur à des fins commerciales. D’autre part, la propension au bonheur n’a pas toujours eu bonne presse en France (nous ne sommes qu’au 46è rang des pays heureux, contrairement au Bouthan qui a eu la sagesse d’indexer le PNB au bonheur de ses habitants). L’hypothèse culturelle selon laquelle le bonheur est associé à un engourdissement de l’intelligence et de l’engagement social a généré le stéréotype de l’imbécile heureux. Antigone déjà considérait l’atteinte du bonheur impossible. Flaubert définissait l’être heureux comme un être bête, égoïste et en bonne santé (alors que pour Camus et pour Gide, il était fâcheux de se passer du bonheur même s’il était mal vu).
En réalité, des chercheurs sur la psychologie des émotions ont démontré que plus des émotions positives étaient induites, plus la propension à aider autrui augmentait. À l’inverse, induire des ruminations négatives amenait à une moindre propension à aider autrui. Il faut donc développer l’énergie du bonheur afin de puiser dedans pour aider les autres, comme l’illustre le long métrage d’animation Monstres et Compagnie(3). La méditation de pleine conscience est issue de la pratique bouddhiste, elle a d’abord été laïcisée et simplifiée drastiquement par John Kabat-Zin à la fin des années soixante. C’est une porte d’entrée rassurante pour les Occidentaux vers un état plus pacifié.
Méditation (avec deux T) et médiation (avec un seul T)
Le livre “Méditer, jour après jour” est conçu comme un manuel illustré contenant des explications et un CD. En fait d’illustrations, il s’agit de magnifiques tableaux choisis par l’auteur, qui servent de support aux explications comme à la pratique elle-même. En effet, Christophe André expose l’expérience qui l’a amené à utiliser des tableaux comme médiation. Lors d’une séance de psychothérapie d’une patiente phobique, en extérieur puisque celle-ci nécessitait une confrontation avec des pigeons (objets de la phobie), une pluie torrentielle a imposé le refuge dans l’église Saint Sulpice toute proche. Au vu du tableau de Delacroix Lutte de Jacob avec l’ange, le thérapeute fut saisi par l’esthétique d’une part, et par le lien avec la problématique de sa patiente. Il l’a ainsi conviée à affronter sa phobie malgré l’implacabilité qu’elle suscitait en elle, tout comme Jacob luttait de façon acharnée contre l’ange sur ce tableau. L’idée de médiation par la peinture est de se laisser imprégner par quelque chose de très émotionnel, intuitif, non encore intellectualisé. Avec la peinture, on est frappé immédiatement, davantage qu’avec la musique ou la littérature, même si souligne-t-il en Angleterre on commence à utiliser la littérature pour soigner. Me vient immédiatement à l’esprit la pratique d’animation de lecture plurielle, inventée par une psychopédagogue en France, une pratique groupale de médiation par la lecture d’un texte littéraire.
Qualité de vie intérieure, sociale, et au travail
La pratique de la méditation telle que la préconise Christophe André est exactement le contraire d’un isolement ou d’un retrait du monde. On pourrait plutôt parler d’une reconnexion avec le réel, une hygiène de nettoyage régulier des sensations et pensées parasitantes qui altèrent notre fonctionnement tant corporel que psychique et social. La pleine conscience permet de s’entraîner à mettre ses valeurs en application, à ne plus délaisser systématiquement l’important au profit de l’urgent. Elle ne suffit pas à atteindre ni la santé ni le bonheur, mais elle y contribue ! Elle doit être régulière pour être efficace.
Ces temps de pleine conscience sont à prendre sur notre temps libre, peut-être de quoi réduire les trois temps qui composent notre temps hors travail (cf. notre article sur le temps de travail densifié). Mais le but est d’arriver à une plus grande sérénité à l’intérieur des temps tumultueux, dont ceux du travail. On comprend qu’il faille s’entraîner assidûment ! Je perçois une similitude avec la relaxation dynamique en sophrologie, qui permet – en la pratiquant également régulièrement – d’atteindre, en situation, un état bienfaisant pour soi-même et pour les autres. À terme, il ne s’agit pas d’arrêter toute activité pour se retirer, se relaxer, se ressourcer, il s’agit d’être en capacité d’accueillir toutes les situations telles qu’elles sont, de bien intégrer le positif, et de ne pas “charger” davantage le négatif. Néanmoins, tout ce qui peut être fait pour diminuer le tumulte et le négatif (technostress, tensions, petites agressions négligées, physiques mais aussi verbales ou psychologiques, manque de vision globale, de sens, etc.) fait également partie de l’important, qu’il est nécessaire de ne pas laisser submerger par l’urgent… sauf à considérer que c’est urgemment important !
Une bonne qualité de vie au travail dépend à la fois de soi et des autres. Cette articulation entre responsabilité individuelle et collective est présente dans la pratique de la pleine conscience. Il y est question bien sûr de temps de recul, mais aussi de bienveillance avec soi et avec les autres, de communication et de travail exempts de parasitage, de la recherche du mieux mélioratif, opposé au mieux superlatif(4), d’hygiène de vie et de contagion du bonheur. De nombreux ingrédients indispensables à la qvt !
Voir aussi le site web de Christophe André : http://christopheandre.com/
(1) 94 rue de Lévis, à Paris 17me
(2) poème japonais très codifié dans sa forme et évoquant l’instant présent
(3) Merci pour l’info Patrick
(4) Voit notre article à propos de l’excellence