Compétition : sublimer le naturel pour mieux coopérer
Après l’invitation de Caroline Rome à faire équipe avec soi (Prem’s !), Céline Bou Sejean nous a montré comment Coopération et compétitivité se nourrissent mutuellement. Je vous propose une autre lecture de la compétition, pour tenter de comprendre pourquoi cette notion est si fortement ancrée dans la plupart des sociétés, à l’exception des aborigènes, et aussi comment elle peut nous être utile. Et de troize !
Dans la nature
La compétition est omniprésente dans la nature, son résultat en fragile équilibre définit des écosystèmes, dont l’intelligence nous émerveille.
Les scientifiques ont utilisé le concept de compétition pour fonder des théories puissantes. Darwin en fait une clé de la sélection et de l’évolution : les caractères les mieux adaptés à l’environnement sont sélectionnés, transmis et brassés à l’infini par la diversité du vivant.
Le “darwinisme social” vers 1900 poussait le raisonnement sur le terrain social : s’adapter pour survivre ou disparaître dans une économie dérégulée. Pas loin de l’hyper libéralisme d’aujourd’hui : “manger” pour croître indéfiniment et rester le premier, ou disparaître ?
Dans la nature humaine ?
A la base, l’adaptation pour la survie n’a sans doute pas consisté à courir pour arriver le premier, mais bien à courir plus vite que le plus lent, pour ne pas être rattrapé par le prédateur.
Y a-t-il un avantage évolutif au besoin d’être le premier ? Faut-il y voir un avatar de « je veux être le plus fort » ? Avec autour de 60% de gènes en communs avec une pomme de terre, il arrive hélas que nous ne nous montrions guère plus évolués mais beaucoup plus violents dans nos relations !
Pour expliquer cette compétition au cœur du genre humain, René Girard, déjà cité par Céline BS, avance l’hypothèse que l’individu serait naturellement mu par un désir mimétique et convoiterait ce que l’autre possède, la valeur de l’objet convoité n’étant pas intrinsèque mais contenue dans le regard de l’autre.
Ce mimétisme serait la source de la comparaison, la rivalité et la compétition, mais aussi du regard (bienveillant) sur l’autre et de l’empathie.
Au travail au quotidien
En enzymologie, des molécules appelées “inhibiteurs compétitifs” sont utilisées pour bloquer des chaines de réaction. Pour beaucoup la compétition pure et dure est bien une source d’inhibition. La pression est forte dans le monde du travail. Cette pression de la compétition permet certaines formes de pouvoir : de classement en concours, de tests en recrutement, de concurrence acharnée en rachats, cela risque de nous mener dans une course effrénée non plus à la suprématie mais bien à la survie en état de stress, contagieux.
Pour éviter ce stress et cultiver la QVT :
- La logique du classement donne quelques gagnants et beaucoup qui ne le sont pas. Il est plus fructueux de travailler dans le sens de sa singularité, de ses talents et de ses forces, plutôt que de rivaliser dans des domaines où on n’est pas à l’aise ainsi que le soulignait Céline BS dans son article.
- En faisant preuve de bienveillance à son propre égard, on diminue la pression qu’on s’inflige à soi-même, pour goûter le plaisir de faire. C’est une motivation inépuisable, en dehors de tout résultat et de toute compétition, et où l’on apprend à faire de mieux en mieux. Voir là-dessus l’article de Marie Rachel Jolivet : Devenez performant en vous faisant plaisir. Le besoin de progresser dans un domaine qui nous intéresse est un moteur fort, et économique. Non seulement on ne dépense pas d’énergie psychique, mais on en emmagasine.
- Les anglais, grands compétiteurs au fair play proverbial ont créé ce terme de compétition dans le cadre sportif. Esprit d’équipe, dépassement de soi sont des exemples tirés de la pratique sportive mis en avant dans l’entreprise. Mais l’esprit d’équipe n’interdit pas l’esprit critique : un réel esprit constructif n’envisage pas l’un sans l’autre.
- L’émulation entre personnes qui se reconnaissent mutuellement des compétences permet de faire fructifier les idées et les projets, dans une richesse de points de vue.
- Confiance dans ses compétences, pour mieux apprécier celles des autres. Compétition et compétence dérivent du même « cum petere » : « tendre vers un même point ». Or la confiance en ses propres compétences, techniques, émotionnelles et sociales favorise l’ouverture, la reconnaissance, la considération et la gratitude, valeurs fortes de la Qualité de Vie au Travail.
C’est se faire confiance pour faire confiance aux autres, qui se révèle comme le moyen de sublimer la compétition par la coopération.
Confiance et QVT
Le désir mimétique génèrerait aussi très tôt échange et empathie, vitaux pour le développement du petit humain qui apprend à vivre en société. Philosophie et neurologie se rejoignant dans des neurones miroirs qui seraient à l’origine de la compréhension de ce qui se passe chez les autres, bien utile pour accorder nos relations.
Je verrais bien la confiance mutuelle comme l’étape suivante dans notre parcours évolutif, tant elle parait indispensable à notre équilibre. Pierre philosophale de la transmutation de la compétition en coopération, ce qui n’empêche pas l’esprit combatif.
photo sous licence creative commons – auteur : Jean-François Chénier