Des salariés en quête de reconnaissance
Le 21 septembre dernier (1), Maëlezig Bigi, Dominique Méda et Laetitia Sibaud sont revenues sur leur ouvrage “Travailler au XXIe siècle. Des salariés en quête de reconnaissance”, écrit avec Olivier Cousin et Michel Wieviorka et publié en janvier 2015 aux Éditions Robert Laffont qui présentent ainsi l’ouvrage : « Forts de trois ans d’enquête et d’entretiens avec des salariés, des syndicalistes et des cadres dirigeants, les auteurs explorent la réalité complexe du monde de l’entreprise aujourd’hui en France et montrent les vertus de la reconnaissance au travail. »
L’enquête au cœur de l’ouvrage a inclus 160 personnes, sous forme d’entretiens avec des questions sur la reconnaissance : « la personne se sent elle reconnue ? C’est quoi être reconnu? Par qui ? ».
Les résultats révèlent des points de vue très différents. Par exemple 2 téléconseillères exerçant la même activité dans la même entreprise auront des appréciations radicalement opposées de leur travail. L’une qualifiera son travail d’« excellent » et sera satisfaite au plan de la reconnaissance, l’autre déclarera que son travail sera « d’intérêt nul ». Cela révèle combien la notion de reconnaissance n’est pas la même pour tous.
Les attentes en matière de reconnaissance au travail varient selon l’âge, le genre, la trajectoire personnelle (professionnelle et personnelle), le contexte et la culture d’entreprise. Une ascension pour l’un sera perçue comme une stagnation pour un autre, en fonction de la trajectoire et du vécu de chacun.
Pour analyser la multivalence de la reconnaissance, les auteurs ont distingué 4 registres qui ne sont jamais activés tous ensemble, et fonctionnent pour donner une moyenne que l’individu retient dans son appréciation. Ce sont :
- la nature de l’activité en elle-même,
- les relations,
- la rétribution (financière et autre),
- la personne.
La nature de l’activité
Impossible de se sentir reconnu avec une activité perçue comme absurde. C’est le cas d’une téléconseillère qui se considère comme une machine à répondre.
Pour avoir du sens, le travail doit avoir un début et une fin, et une direction, un « sens » au sens propre. Le travail devient visible et la contribution visible a du sens.
Les relations
Le rôle du management de proximité est déterminant : reconnaître, c’est connaître (l’activité, les contraintes, les efforts …). C’est ainsi qu’est favorisée l’influence des uns et des autre sur le processus de production et les conditions de travail. À travers la parole, l’écoute et la confiance, c’est la reconnaissance qui entraîne le moteur de la motivation.
La rétribution
Financière ou autre, directe et indirecte, symbolique, elle prend en compte les efforts et le chemin. Ces aspects quotidiens au cœur du travail que le reporting met à l’écart en ne reconnaissant qu’objectifs et résultats.
L’opacité des règles et l’incertitude sur ce qu’il faut faire pour progresser sont source de malaise entre collègues. Les relations sont perturbées par l’iniquité du traitement qui est perçue.
Etre reconnu en tant que personne
Pour Axel Honneth, sociologue allemand, le travail est le lieu de la reconnaissance sociale et l’activité a une valeur qui dépend de l’utilité.
Ce point compte particulièrement pour les femmes qui doivent faire leurs preuves, ou subir un paternalisme pesant. Elles assument souvent l’essentiel de la charge familiale et se trouvent prises dans un étau d’injonctions contradictoires encore étrangères aux hommes.
Entre ouvriers, employé, cadres, on constate que le mépris de classe existe, qui vient aussi altérer les expressions de la reconnaissance.
Enfin, dans une organisation rationalisée à l’extrême, allant jusqu’à la coupure entre les prescripteurs et les exécutants, comment se sentir reconnu face à des dispositifs qui deviennent inhumains ?
Reconnaissance et motivation
Dans leur synthèse, les auteurs mettent en évidence 4 attentes majeures :
- la visibilité de la contribution (sens du travail, et fierté de contribuer),
- un management qui connaît le métier et le terrain,
- un rapport juste entre collègues (qui libère la parole, pour peu qu’on lui ménage des espaces),
- l’intégration du travail dans les autres sphères de vie, importante pour les hommes autant que pour les femmes.
Pour moi, ces attentes relèvent toutes de la motivation intrinsèque, et finalement assez peu de motivations extrinsèques. La rémunération et les conditions de travail ne motivent que peu de temps, et deviennent sources de démotivation, délétères quand elles sont jugées insatisfaisantes.
Ces attentes font écho également aux principes de la QVT, reconnaissance, confiance, communication. Les 6 gestes de la reconnaissance s’adressent à l’individu dans l’organisation, pour témoigner de l’importance de sa contribution au quotidien.
Manque de collectif
La reconnaissance au travail a aussi une dimension collective. Les auteures rappellent qu’à la fin des années 80, les infirmières sont les premières à revendiquer la reconnaissance de leur identité professionnelle. Cette identité soutien le collectif et participe de la Qualité de Vie au Travail de tous.
Et c’est de collectif que nous manquons d’après Dominique Meda. Elle conclut en mettant en cause la faiblesse des collectifs de travail et donne un ton plus politique à l’exposé. Perte de qualification et individualisation des trajectoires, l’entreprise ne favorise pas le collectif (évaluation épreuve individuelle entre toutes, voir à ce sujet notre article Cultiver les valeurs collectives).
L’idée de la sociologue est qu’il faut un minimum de collectif pour pouvoir de se battre pour son métier. Métiers découpés, tâches parcellisées, rationalisation inhumaine, soutenue par les RH, perte de compétences, perte de la responsabilisation, du sentiment d’appartenance…. un collectif à reconstruire. En attente de reconnaissance les salariés individualisés se replient sur eux-mêmes, au lieu de porter des revendications collectives. Les syndicats sont trop éloignés, l’impuissance set collective.
Comment se sortir du dilemme partir ou subir ?
Il existe des organisations favorables qui encouragent autonomie et expression. La prise au quotidien sur l’organisation de son travail et les décisions sont protecteurs. Il faut garder l’idée que “les salariés savent dans le modèle confiant”, dit Dominique Méda.
Selon elle, dans les pays du Nord, la force syndicale est plus organisée, plus représentative et semble être la seule variable à relier à davantage de reconnaissance au travail, et donc de satisfaction.
En poussant l’utopie, on souhaiterait avec elle plus de démocratie dans l’entreprise suivant le modèle d’ Isabelle Ferreras et le bicamérisme (2).
L’important c’est de rester motivé !
(1) lors de l’Happy hour au LISE laboratoire CNRS, implanté au CNAM, qui étudie le bonheur au travail.
(2) Voir sur ce sujet l’article Considération, l’affaire de tous