Cultiver les valeurs collectives
Le dialogue est l’un des six leviers d’action présentés dans le rapport de la mission 2011 de la Fondation Nationale Entreprise et Performance (voir notre présentation) pour humaniser davantage les relations humaines dans les organisations. Celles-ci ne sont pas exemptes de responsabilité quant à l’individualisme grandissant en leur sein. Parmi les bonnes pratiques mises en exergue afin de “recréer des liens pour susciter l’engagement collectif”, les auteurs du rapport ont pointé un mode d’évaluation constructif en écho des recherches universitaires sur le travail.
Hyperindividualisme
La propension au dialogue semble de moins en moins présente dans la société moderne, et dans les organisations en particulier. L’ère de l’espace-temps contracté dans lequel “surcirculent” des morceaux d’information plus ou moins assemblés séquentiellement recèle un terreau fertile pour la banalisation d’un mode de fonctionnement individualiste. En effet, aujourd’hui la communication est outillée et devient d’une certaine façon plus rapide mais elle perd en précision. Elle passe beaucoup par l’écrit (les emails, au mieux les tchats(1) ou les espaces collaboratifs, etc.) et amoindrit les interactions fines, comme l’expression et la perception des nuances émotionnelles induites dans la voix, le regard, les gestes et expressions corporelles diverses infinies et infiniment riches(2).
la visée sur le résultat final
doit primer sur la satisfaction de chaque ego
Or, une discussion, un débat, un travail en commun nécessitent non seulement des relations de confiance(3) mais aussi un certain temps – pas nécessairement important mais cependant incompressible, et souvent répétitif – pour entrecroiser les apports individuels et bâtir une réponse commune assumée par chaque contributeur. Sans oublier que tout cela s’apprend : relisez l’article Coopération et QVT. Comment obtenir que la recherche de cette réponse commune soit motrice au point que chacun lâche un peu de sa liberté d’organisation, accepte de remettre en question ses apports et son aura individuels au bénéfice de la finalité collective ?
La vision de la psychodynamique du travail sur l’évaluation individualisée
L’évaluation individualisée des performances est décrite d’une part comme un non-sens, d’autre part comme génératrice d’un effet pervers par la recherche universitaire sur le travail.
Christophe Dejours(4) affirme en effet qu’au mieux, c’est le résultat du travail individuel qui est mesuré, et ce de façon très précise grâce à l’outil informatique, et non le travail lui-même, puisque pour l’essentiel, le travail est la partie invisible que produit l’homme lorsque la tâche prescrite, donc prévisible, résiste au contexte réel. Le travail relève donc en grande partie de la subjectivité des travaillants. En réalité, l’évaluation quantitative et objective est très nettement peu représentative de la performance des individus. Elle remplace aussi la qualité du travail par la quantité pour remplir les objectifs (voir à ce sujet l’approche d’Yves Clot dans l’article du Monde Evaluation des performance, point aveugle, ainsi que notre article Lien entre QVT et qualité du travail).
Collectivement, le travail a une fonction sociale, les tâches prescrites nécessitent la coordination des hommes au travail, qui, face à la réalité qu’ils rencontrent, doivent s’orienter vers la coopération. Or, la conséquence – positive (augmentation, prime, promotion…) ou négative (absence de rémunération, menace de licenciement…) – liée à l’évaluation individualisée met de fait les personnes en concurrence les unes avec les autres, casse les solidarités, et détruit la capacité à créer des règles de travail collectivement.
Il est effectivement urgent de “Remettre l’humain et ses émotions au coeur des organisations”(5) !
Recréer du lien pour susciter l’engagement collectif : les bonnes pratiques
Ainsi, les auteurs du rapport ont relevé des actions destinées à faire évoluer les organisations concernées vers le travailler mieux ensemble en vue d’une performance et d’un lien social accrus.
- France Telecom dans son “nouveau contrat social” en septembre 2010 remet en question le caractère individuel de l’évaluation et met l’accent sur l’évaluation collective. De fait, selon les propos de Philippe Zarifian relevés dans la revue de l’ANACT Travail et changements de juin 2011, l’initiative et l’autonomie de jugement sont favorisées par rapport à l’application stricte des procédures. Le technicien dit-il “prend le temps de faire son propre diagnostic, décide de la réponse à apporter, et mène son intervention selon des critères qualitatifs : ainsi, côté évaluation de la performance, le principal critère n’est plus la durée d’intervention, mais le taux de réintervention. ../.. Par ailleurs, cette valorisation se trouve renforcée par la réintroduction d’une dynamique collective, là ou l’individualisme était devenu la règle.”
- Le zoo de Copenhague rémunère les résultats par groupe projet. Plusieurs autres organisations publiques ont mis en oeuvre une évaluation des résultats collectifs et non individuels.
- EDF mesure dans les entretiens annuels l’aide que les managers apportent aux collaborateurs. Ici il s’agit de l’évaluation individuelle sur un critère altruiste favorisant la coopération [verticale en l’occurrence].
- Un cabinet d’avocat indien, Nishith Desai, a également intégré des valeurs altruistes dans son système d’évaluation comme les notions d’humilité et d’entraide, la modestie étant vue comme une contrepartie à l’obtention de responsabilités. Ce système d’évaluation se nomme Performance Attitude Loyalty.
Congruence
Le rapport de la mission 2011 de la FNEP est un bon exemple de résultat d’un travail (considérable et) coopératif. Si tous les contributeurs sont cités en introduction, les chapitres ne sont pas signés, les nombreux apports individuels de différentes natures se sont imbriqués, agencés, ont été travaillés et digérés collectivement de façon à obtenir un tout, un résultat que vous évaluerez vous-mêmes. Nous sommes heureux à laqvt.fr de relayer les idées et bonnes pratiques de notre partenaire.
(1) clavardage en français, discussion instantanée écrite par plusieurs interlocuteurs sur un même espace virtuel
(2) une communication elliptique peut néanmoins présenter un intérêt, voir l’article Face à face ou à distance
(3) … et celui de la confiance dans la coopération dans l’article Coopération et confiance
(4) voir son article universitaire Subjectivité, travail et action
(5) sous-titre du rapport de la mission 2011 de la FNEP.
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