Juste conscience : l’attention
L’attention est un formidable vecteur de Qualité de Vie au Travail (QVT). Définie comme concentration particulière sur quelque chose, vigilance, disposition qui porte à rendre des soins et par extension marque de prévenance, soin officieux ou obligeant, toutes les acceptions du mot semblent converger vers une disposition propice à du travail de qualité dans un climat social harmonieux. Pourtant ce « bien commun aux ressources limitées » comme la qualifie Matthew B. Crawford(*) est une denrée qui devient rare. Explorons ses atouts et les moyens de la développer.
« Attention ! » Une injonction fort sage : mettez vos sens en éveil tous azimuts en cas de danger, en cas d’urgence. « Faites attention » (avec ou sans point d’exclamation) n’est pas moins sage : cherchez bien ce que vous pourriez ne pas voir, il y a de l’enjeu. C’est autant à des dispositions corporelles que psychiques que font appel l’attention, une étape essentielle à ne pas brûler.
L’attention, qu’est-ce que c’est ?
La philosophe Simone Weil affirme que « vingt minutes d’attention intense et sans fatigue, valent infiniment mieux que trois heures de cette application aux sourcils froncés qui fait dire avec le sentiment du devoir accompli : j’ai bien travaillé.» En effet, l’attention est l’étape préalable et nécessaire à la pensée. Elle consiste à laisser entrer en soi les pensées déjà formées, les connaissances acquises en vue de les utiliser en toute pertinence. C’est une étape d’attente, d’ouverture, d’accueil, un contenant précieux(**) induisant de la lucidité face à ce qui existe, avant transformation par la pensée : une distanciation nécessaire avant la sélection des éléments adéquats et leur tricotage pour produire une réflexion puis une décision adéquate et réfléchie.
Pour Matthew B Crawford, l’attention consiste à sélectionner des éléments parmi tous les éléments qui nous sont rendus disponibles par le biais de nos interactions, intérieures comme avec notre environnement extérieur. « C’est la capacité qui nous relie au monde. »
En tout état de cause, il s’agit de collecter patiemment (***) les matériels nécessaires à la réflexion avant de les utiliser, relier, opposer, combiner par la pensée.
Au travail, cette phase d’attention préalable est parfois (souvent) réduite au profit du développement immédiat des premières idées. En groupe, ce défaut peut être accru. En tout cas, le potentiel de richesse qu’on attend du travail collectif est d’autant plus maximisé que cette phase de collecte est installée par un animateur et une méthodologie.
Quelques bienfaits de l’attention
Comme nous venons de le voir, l’attention amène à considérer un large éventail de tenants avant les aboutissants, pour un gain d’énergie et de qualité de travail. Mais elle a de nombreux effets positifs sur les personnes elles-mêmes :
- L’attention amène à considérer les éléments négatifs sans omettre les positifs, et inversement. Selon vos travers, pensez-y ! La QVT nécessite de percevoir ce qui va bien, avant d’améliorer ce qui ne va pas bien.
- Elle invite à l’approche factuelle, et donc à une distanciation émotionnelle. Celle-ci favorise grandement l’affirmation apaisée de chacun, donc le travail en groupe : l’objectif collectif prend davantage d’importance qu’une confrontation d’egos.
- Justement, elle atténue le désir d’autonomie égotique. Orientée sur les autres et sur l’objectif collectif, elle devient la clé pour ménager la capacité d’agir de chacun en tenant compte non seulement des apports mais aussi des besoins de chacun (d’être sollicité, entendu, voire ainsi valorisé). C’est la juste conscience de la dépendance de tout être autonome, comme je l’ai traité précédemment (Article Autonomie et dépendance).
- L’attention aux autres facilite l’empathie cognitive, celle qui consiste à imaginer le ressenti des autres. Associée à la bienveillance, l’attention aux besoins d’autrui chemine vers l’altruisme et même la compassion (****) sans crainte d’être submergé émotionnellement du fait de la distanciation opérée. Autant de qualités à cultiver au travail comme Olivier Hoeffel l’a démontré dans un article précédent (Article Cultiver l’altruisme, la bienveillance et la compassion au travail).
- L’attention permet aussi de respecter sa propre éthique. Etre attentif à ce qu’on a pensé, préconisé, soutenu, martelé, et ne pas l’éluder lorsque l’occasion se présente de l’appliquer.
Travailler son attention
L’ambition est de taille tant nous sommes traversés de pensées, de responsabilités, de contraintes, d’émotions, etc. Voici donc quelques pratiques très utiles pour améliorer votre attention.
- Lorsque vous devez vous mettre au travail, pratiquez la déconnect attitude. Les stimuli incessants ne permettent pas d’assimiler les informations, ni de les laisser venir quand on en a besoin, notamment lors de cette phase d’attention.
- Entraînez-vous. La pratique de la méditation de pleine conscience par exemple, consiste à articuler l’attention à une vigilance discriminante (*****) : se poser et voir. Il s’agit d’éveiller son attention pour percevoir plus clairement le réel, non pour l’analyser. La pratique permet d’approcher tous les angles d’un objet d’attention sans les juger, sans les investir. On débute par l’objet d’attention le plus simple en étant présent à sa respiration, à ses sensations corporelles, puis plus difficile, à ses pensées. En méditation, on reste au stade de leur observation.
- Pratiquez l’attention de façon informelle, régulièrement au cours de la journée, par petites touches. C’est une manière de débrancher le pilotage automatique auquel nous sommes naturellement accoutumés, de mieux intégrer les informations, et d’entrer dans une action en conscience.
(*) Ancien consultant de Think Tank reconverti en réparateur de motocycles, auteur de « l’Eloge du Carburateur », et tout récemment de « Contact ». Ecoutez l’émission « Contact » des Nouveaux Chemins de la Connaissance
(**) Considérer l’attention comme un contenant, à l’instar du silence que j’ai décrit dans l’article Travailler en silence.
(***) Dans « attention » il y a « attente »
(****) Mathieu Ricard définit l’altruisme comme une intention désintéressée de faire le bien d’autrui, la compassoin étant une forme d’altruisme confronté à la souffrance d’autrui. Cf « Trois amis en quête de sagesse », Mathieu Ricard, Alexandre Jollien, Christophe André.
(*****) Shamata et Vipashyana Cf. La Méditation, Fabrice Midal, « Que sais-je »