La QVT des RQTH

Novéquilibres : interview de Anne-Pauline Arène

La QVT des RQTH (1). Ce titre est une provocation. Je m’attaquerai, un jour, aux jargons professionnels, source de connivence et de satisfaction intime pour les initiés, handicap plus ou moins délicat à surmonter pour la qualité de vie au travail des autres. J’ai dit handicap ? A l’issue de la 15ème semaine pour l’emploi des personnes handicapées, j’aimerais vous présenter une initiative intéressante :

Anne Pauline Arène et moi nous sommes rencontrées sur un site de réseau social professionnel en 2009, et nous nous suivons depuis, de loin en loin. Conseillère en formations, elle a récemment entamé avec son équipe un nouveau projet, celui de monter des formations destinées à des personnes en situation de handicap.
Nos préoccupations professionnelles respectives se sont naturellement rejointes sur le plan de la qualité de vie au travail. Jugez plutôt, voici son témoignage :

Bonjour Anne Pauline, pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste votre projet ?

Avec l’IFOROP, je souhaite convaincre les entreprises d’utiliser la partie déductible de leur contribution AGEFIPH (2) (10%) pour offrir à des demandeurs d’emploi handicapés les formations dont ils ont besoin. Ces formations consistent à élever le niveau de compétences (bureautique, langues étrangères) et le niveau d’autonomie (organiser la recherche d’emploi, affiner le projet professionnel) mais aussi à améliorer les conditions de prise de poste, donc la stabilisation en emploi pour ces personnes au parcours professionnel difficile. On est vraiment dans la qualité de vie au travail !

Justement, en quoi consiste la qualité de vie au travail pour une personne handicapée ?

Dans “qualité de vie au travail”, il y a “travail” et c’est la première chose à laquelle aspirent les candidats que nous rencontrons. Le handicap est déjà facteur d’exclusion. Le chômage, un facteur aggravant. Être accueilli dans une entreprise, au sein d’un groupe, apporter ses compétences à une équipe, c’est une intégration qui participe à la qualité de la vie.

Une fois en poste, le premier facteur de qualité de vie est certainement la bienveillance du management. Le plus gros handicap, la plupart du temps, n’est pas le handicap lui-même mais la durée de l’éloignement de l’emploi. 87% des handicaps surviennent au cours de la vie (accident, maladie). La personne en situation de handicap a donc eu un parcours professionnel en ligne brisée, avec des temps d’inactivité plus ou moins longs, des réorientations, des échecs, des recommencements… De quoi provoquer la perte d’assurance et de repères par rapport au monde du travail. Par ailleurs, dans son parcours d’insertion professionnelle comme dans son parcours de soins médicaux, la personne handicapée est accompagnée et prise en charge pendant des mois, voire des années (services sociaux divers, conseillers d’insertion professionnelle, assistance financière…) ce qui nourrit la perte d’autonomie et d’estime de soi.

Il faut prendre en compte cet aspect du handicap et prévoir un temps d’adaptation au poste dans un climat de confiance mutuelle, ce qui n’exclut pas l’exigence.

C’est le but de nos formations pour les demandeurs d’emploi: Agir en amont de la recherche d’emploi, pour que celle-ci se fasse le plus possible en autonomie, ce qui facilitera l’intégration en entreprise. Une remise à niveau “technique” (bureautique, langues, techniques de recherche d’emploi) et aussi une préparation au retour dans le monde du travail. Notre niveau d’exigence en termes d’implication et de progression est assorti d’une attitude d’écoute et de convivialité qui redonne confiance et redynamise.

Diriez-vous que la qualité de vie au travail des personnes handicapées est spécifique ?

Outre les questions d’aménagement de poste (en temps ou en ergonomie) qui s’avèrent rarement nécessaires, la qualité de vie au travail pour une personne handicapée dépend des mêmes facteurs que pour tout salarié : Un climat de confiance, la clarté de la fiche de poste et du plan de travail, un management qui pousse à la progression, des relations interpersonnelles fondées sur la coopération et la reconnaissance. Ce n’est pas le handicap lui-même qui pose problème à l’entreprise, c’est le temps qu’il faut accepter de prendre pour intégrer une personne qui a été en difficulté face à l’emploi. De cet effort dépend la qualité de vie au travail des années à venir. De la réussite de cette intégration dépend, en grande partie, la qualité de vie au travail d’une équipe qui se sera enrichie en mixité grâce à un collaborateur au parcours différent, au regard différent, à la valeur ajoutée différente. La gentillesse, en l’occurrence, n’est pas une “bonne action” mais une action intelligente.

Participer à l’insertion professionnelle des personnes handicapées est aussi un plus dans la qualité de vie au travail des équipes, même si le recrutement n’est pas immédiatement d’actualité : l’intérêt qu’une entreprise accorde au développement social de son territoire est un message fort adressé à ses collaborateurs : L’entreprise n’est pas indifférente aux êtres humains qui la composent et qui l’entourent.

Donner sa chance à chacun c’est enrichir l’ensemble du tissu social dans lequel évolue l’entreprise !

En quoi consistent vos actions dans ce domaine ?

Nous proposons à nos clients d’acheter des formations pour les offrir à des demandeurs d’emploi handicapés. Ils peuvent ensuite déduire cette dépense de leur contribution AGEFIPH(3).

En d’autres termes, nous proposons de transformer un versement obligatoire et peu valorisant pour l’entreprise, en une action de citoyenneté concrète et sans coût supplémentaire ni en termes de temps ni en termes de dépense.

Nous avons conçu pour cette action trois programmes, en concertation avec les conseillers de Cap Emploi :

  • L’initiation et le perfectionnement Pack Office,
  • L’organisation de la recherche d’emploi,
  • Et la communication interpersonnelle en milieu professionnel (le fameux “savoir être” en entreprise)

Le processus est le suivant : l’entreprise décide combien de stages elle peut acheter (en fonction de son budget de dépenses déductibles). Nous rassemblons les participations et organisons les sessions, puis nous adressons à l’entreprise les justificatifs pour la déduction, ainsi que les compte-rendus pour qu’elles puissent communiquer sur leur engagement.

Chaque mois, 20 à 30 candidats pourraient être inscrits dans ces formations. Toutes les entreprises qui souhaitent s’associer à ce projet sont les bienvenues !

Il semble en effet que ce projet bénéficie à tous : les employeurs, les personnes à insérer dans l’emploi, leurs futurs collègues, managers, collaborateurs… et vous aussi peut-être ?

En effet, je suis particulièrement heureuse que ce projet m’ait été confié : il me permet de concilier mon activité professionnelle et mes valeurs profondes : la solidarité, le service, la responsabilité. Je m’y sens à ma place, c’est un des éléments importants de la qualité de vie, non ?

Un jour, un demandeur d’emploi m’a dit : “moi aussi je veux un travail pas trop forçant, comme vous !”. Par “pas forçant” il voulait dire qu’on n’a pas besoin de forcer sa nature pour le faire. C’est mon cas, en effet, c’est ma chance et c’est ma qvt.

Par ailleurs, je crois qu’il est toujours possible de trouver des solutions de développement qui profitent à tous. Et quand on trouve une solution comme celle-ci, c’est jubilatoire !

Nous jubilons avec vous sans nous forcer. Merci Anne Pauline.

N’hésitez pas à joindre Anne Pauline Arène à propos de ce projet. Se renseigner n’engage à rien (en même temps, s’engager aurait du sens :o) ).

  1. Reconnaissance de sa Qualité de Travailleur Handicapé
  2. Chaque année les actions faites en faveur de l’emploi des personnes handicapées sont comptabilisées dans une DOETH (Déclaration Obligatoire pour l’Emploi des Travailleurs Handicapés) par les entreprises de plus de 20 salariés. En effet, celles-ci doivent justifier de l’emploi de bénéficiaires d’une RQTH (1) à hauteur de 6% de leur effectif sous peine d’une contribution à l’AGEFIPH (Association de Gestion du Fonds pour l’Insertion des Personnes Handicapées). Depuis la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, une déduction de 10% est applicable à cette contribution selon certaines dépenses liées à l’accueil, l’insertion ou le maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés au sein de l’entreprise, ou l’accès à la vie professionnelle de personnes handicapées.
  3. cf article D 5212-28 du Code du Travail

photo sous licence creative commons – auteur : Novéquilibres

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