Le RERS de La Poste, un dispositif très QVT
J’ai évoqué rapidement l’existence des Réseaux d’Echanges Réciproques de Savoirs (RERS) dans le premier article que j’ai consacré au concept de don 3D Le don 3D pour contribuer à la QVT et la performance. Il se trouve que le RERS s’est décliné aussi en entreprise, et étant donné que ce dispositif favorise clairement la Qualité de Vie au Travail (QVT), il est bien naturel de vous présenter la seule déclinaison à ce jour : le RERS de La Poste.
Cet article s’appuie sur ma rencontre avec Céline Bou Séjean (laqvt.fr et Novéquilibres) de Maryannick Van Den Abeele (1) qui nous a reçu à La Poste le 5 mai 2014 et sur l’ouvrage très complet qu’elle a écrit avec Michel Van Den Abeele intitulé Echanges réciproques de savoirs en entreprise, avec un avant-propos de Jean-Paul Bailly, PDG de La Poste à l’époque de la publication.
C’est quoi un RERS ?
Voilà la définition qui en est donnée sur le site de FORESCO, l’association qui fédère ces réseaux :
“C’est un projet collectif porté par des citoyens et citoyennes, pour que tous les savoirs soient partagés et que toute personne qui accepte de partager ses savoirs accepte aussi d’apprendre des autres. C’est un projet de mise en circulation des savoirs où chaque participant choisit à la fois d’offrir et de demander des savoirs qu’il a construits tout au cours de sa vie professionnelle, personnelle, militante, associative, familiale, etc.”
C’est une idée qui est née en 1971 à Orly à l’initiative de Claire et Marc Héber-Suffrin à partir de l’école. Claire Héber-Suffrin était enseignante. Le réseau s’est largement développé à partir de 1985 sous l’impulsion d’une multiplicité d’acteurs : élus, militants associatifs, citoyens, enseignants, travailleurs sociaux. Le mouvement a dépassé les frontières à travers le Mouvement International pour la Réciprocité Active (MIRA).
Aujourd’hui, il existe aujourd’hui environ 500 RERS en France.
De l’école à l’entreprise
J’évoquais que cette initiative est partie de l’école. Claire Héber-Suffrin indique dans l’ouvrage que de nombreuses entreprises ont pris contact, intéressées par la démarche, mais sans que cela puisse aboutir.
En 2006, en née la première déclinaison en entreprise, à La Poste, sous l’impulsion de Maryannick Van Den Abeele et soutenue par Jean-Paul Bailly, le PDG de La Poste de l’époque.
De mon point de vue, à l’instar de politiques destinées à améliorer la QVT, le soutien et l’implication du plus haut niveau de l’organisation est une nécessité. C’est d’ailleurs bien une des conditions de réussite que pointe Maryannick Van Den Abeele.
Ce RERS concerne la Direction Courrier de La Poste et touche principalement des managers et encadrants opérationnels.
Concrètement ça se passe comment ?
Un site Internet dédié a été conçu et réalisé pour s’inscrire, faciliter l’accès à la liste des offres et des demandes, initier un échange, en faire le bilan, discuter via un forum, partager des documents, construire collaborativement un wiki de glossaire postal, …
Ce site a été jugé comme une condition nécessaire mais pas suffisante : Maryannick Van Den Abeele insiste sur le rôle primordial de l’animation du réseau à la fois au niveau national et au niveau local, animation faisant une grande place aux contacts humains.
Et c’est bien 3/4 des participants qui mettent un pied dans le RERS à travers une Bourse d’Echanges (BE), réunion physique qui se déroule soit au niveau local, soit au niveau national (2 à 3 fois par an) animée soit par un animateur local, soit par l’animateur national. La BE permet de rentrer très vite dans le vif du sujet : élaborer ses offres et ses demandes : il est demandé à chacun d’exprimer une offre et une demande. C’est le principe de base d’un RERS : chacune et chacun se positionne à la fois comme offreur et demandeur de savoirs.
La réciprocité se joue, non pas au niveau individuel (deux personnes s’échangent des savoirs sur des sujets différents), mais au niveau global : à un moment, une personne échange un savoir en tant qu’offreur et à un autre moment, elle échangera avec une autre personne en tant que demandeur (peu importe l’ordre, c’est la loi de l’offre et de la demande qui crée les opportunités).
Les échanges se font soit en face à face (63%) soit par téléphone (37%). Il s’agit de favoriser l’oralité et un vrai échange de savoirs dans un mode synchrone (à opposer à un échange de liens ou de documents par email par exemple).
Par exemple, Jean-Claude offre un savoir sur la pratique d’un audit qualité qui correspondra à une demande de Joseph. L’échange se déroulera dans les 15 jours suivant le premier contact (dans 75% des cas), échange qui durera moins de 2 heures (88% des échanges). Joseph, quant à lui, sera sollicité plus tard par Anne, manager, pour améliorer sa pratique du dialogue social. L’échange aura lieu dans le cadre d’une BE récurrente (le matin pour l’élaboration des offres et demandes et l’après-midi pour les échanges qui ne nécessitent pas de préparation).
Jean-Claude, notre premier offreur, bénéficiera lui d’un échange dans lequel Sophie lui apportera un savoir méthodologique pour l’utilisation d’un logiciel interne. Sophie aura passé moins de 30 minutes à préparer l’échange (82% des échanges nécessitent moins d’une heure de préparation, 47%, moins de 30 minutes).
Les trois grands thèmes d’échanges de savoirs les plus fréquents (62%) sont Production/Organisation/Logistique, Informatique et RH/Relations Sociales/Gestion de crise.
A la fin de chaque échange, chacun des protagonistes établit un bilan via le site internet en remplissant un questionnaire. Il permet d’évaluer les types d’apport et la satisfaction.
Au-delà de ce bilan lié à l’échange, les participants au RERS sont invités à évaluer périodiquement le dispositif qui a été mis en place comme un véritable projet et bénéficie d’une évaluation permanente de laquelle ressortent les données quantitatives et qualitatives fournies dans cet article.
De la confiance et de la reconnaissance, dans tous les sens
Vous connaissez notre conviction de la place essentielle de la confiance et de la reconnaissance pour l’amélioration de la QVT.
Le RERS fait toute sa place à ces deux dimensions.
La confiance
Le sujet de la confiance se joue à plusieurs niveaux.
Il y a la confiance donnée à chacune et chacun de pouvoir transmettre ses savoirs à d’autres, sans évaluation a priori du niveau de compétences sur ces sujets ni des qualités pédagogiques. Pour celles et ceux qui peuvent penser que c’est une prise de risque sur la qualité de la formation, je pense qu’en réalité le risque est plus de l’ordre d’une sous-estimation de ses propres compétences que du contraire. D’ailleurs, le fort taux de satisfaction à l’issue des échanges (plus de 90%) montre que la qualité est bien au rendez-vous.
En terme de mise en oeuvre, Maryannick Van Den Abeele, s’est attachée à ce que les participants puissent avoir une confiance forte dans le dispositif en terme de confidentialité de telle manière que les demandeurs puissent exprimer leurs demandes sans crainte d’être jugés éventuellement négativement et de manière non constructive sur un éventuel défaut de compétence. Les responsables hiérarchiques ne sont pas informés des offres, demandes et échanges, ce qui n’empêche pas ensuite les participants de les en informer. Bien entendu, les responsables hiérarchiques sont appelés à jouer un rôle moteur et à engager leur équipe à participer à ce dispositif.
De mon point de vue, dans un monde idéal de confiance, on pourrait espérer que cette garantie de confidentialité ne soit plus nécessaire et que le responsable hiérarchique puisse être un partenaire dont on n’aurait pas besoin de se protéger de réactions non constructives. Mais la confiance, ça se cultive, et on peut gagner du terrain progressivement. Le RERS participe à cette culture, et on peut projeter que la mise en oeuvre au départ du dispositif puisse évoluer à un moment vers un allègement des garde-fous.
Les participants ont été interrogés sur les impacts du dispositif : ils sont jugés positifs par 86% d’entre eux en terme de confiance en soi, de 84% pour la confiance dans les autres et de 72% vis-à-vis du responsable hiérarchique direct.
La reconnaissance
Offrir un savoir, c’est d’abord reconnaître soi-même qu’on le détient. Ce n’est d’ailleurs pas immédiat et quelques fois, on a besoin d’un petit coup de pouce pour cela. C’est bien un des rôles des bourses d’échanges : faire émerger ses propres savoirs. Des savoirs qu’on ne met pas à son actif en première intention quand on veut en faire une liste. Ce sont aussi des savoirs dont on ne pense pas avoir forcément le niveau de compétences suffisant pour “mériter” d’en faire état pour partage.
Un deuxième niveau de reconnaissance intervient pour l’offreur dès lors qu’un demandeur frappe à sa porte pour envisager de bénéficier d’une de ses offres de savoirs.
A noter que si un offreur n’est sollicité par aucun demandeur au bout d’un certain temps, il peut en concevoir une forme de frustration, un déficit de reconnaissance, qui peut le pousser à se retirer du dispositif. D’après Maryannick Van Den Abeele, c’est une des rares causes de sortie du RERS. Le rôle de l’animation est clé aussi pour limiter les effets de frustration : détecter les potentiels de rapprochement entre offreurs et demandeurs.
Un troisième niveau de reconnaissance est susceptible de jouer tout au long de l’échange pour l’offreur, émis par le bénéficiaire : “Merci” pour le geste gratuit et “bravo” pour la qualité du partage.
Mais il se conçoit aussi dans l’autre sens : un “merci” par l’offreur pour l’intérêt porté par le bénéficiaire à son offre, un “bravo” pour la qualité de l’assimilation du receveur, un “merci” pour son propre enrichissement, …
Je vous renvoie à mon article La reconnaissance, dimension centrale du don 3D pour une analyse sur les bienfaits de la reconnaissance dans le cadre plus général d’actes gratuits (le don 3D, Dynamique Durable du Don).
Les bénéfices de ce dispositif
Au-delà des impacts positifs en terme de confiance et de reconnaissance évoqués précédemment, voici quelques bénéfices sur lesquels se sont exprimés qualitativement ou quantitativement les participants :
- Pour la personne elle-même : la possibilité de s’exprimer librement sans être jugé, le développement de l’assertivité, la prise de conscience que tout le monde rencontre des problèmes. 88% des participants estiment que cela permet de combler des manques qu’ils considéraient comme gênants. La participation au RERS est vécue comme transformationnelle.
- Pour les relations interpersonnelles : la culture de l’échange, de la solidarité et de la diversité, le développement de la proximité et du sentiment de communauté. Le RERS participe aussi à désamorcer les mécanismes de compétition et de rivalité.
- En terme de vie au travail : le RERS permet de se sentir moins isolé et permet un allègement de la perception de pression et de stress au travail.
- Pour l’équipe : le RERS favorise la coopération et l’intelligence collective; il facilite l’intégration et brise la logique classique : les anciens savent et les nouveaux ont tout à apprendre. Cela favorise aussi l’autonomie, en particulier dans l’émergence des besoins de formation et la mise en oeuvre de l’échange de savoirs.
- Pour l’entité : c’est un mode d’expression de l’innovation qui permet par ailleurs d’optimiser le fonctionnement. Il facilite également la mobilité par la découverte d’autres métiers. La communication interne et le dialogue social sont également impactés positivement.
Le RERS, un dispositif de formation qui se conjugue avec d’autres
Le RERS est-il LE dispositif de formation innovant qui va balayer tous les autres ? Maryannick Van Den Abeele, évidemment totalement convaincue des bénéfices de ce dispositif en entreprise, a la sagesse de le considérer comme un dispositif s’intégrant dans une offre composite plus large proposée aux salariés pour évoluer dans leurs savoirs. Il est particulièrement adapté lorsqu’il s’agit de besoins qui ne justifient pas un module de formation complet. Par ailleurs, il répond à des besoins de niches.
Le processus d’évaluation du dispositif permet de faire émerger d’éventuelles demandes récurrentes qui peuvent faire l’objet d’une formation plus classique.
Par ailleurs, un échange de savoirs peut donner lieu à l’émergence d’une envie du bénéficiaire de s’inscrire à une formation couverte par un autre dispositif.
Les participants ne s’y trompent pas sur cette question puisqu’ils sont 80% à considérer que le RERS est complémentaire des formations “classiques” et permet d’acquérir des savoirs non disponibles ailleurs.
Le RERS en cercles d’action
Maryannick Van Den Abeele voit le rayonnement du RERS en plusieurs cercles imbriqués, du plus petit au plus grand :
- La formation : elle s’en trouve modernisée à travers une démarche d’apprentissage innovante
- La politique RH : elle s’en trouve renouvelée à travers une démarche d’évolution du management
- L’entreprise : elle s’en trouve plus responsable à travers une démarche d’éthique sociale
- La société : elle s’en trouve plus humanisée à travers une démarche citoyenne.
(1) Maryannick Van Den Abeele est actuellement Responsable des projets et expérimentations QVT au sein de la Direction de la Qualité de Vie au Travail du Groupe La Poste. Elle n’est plus en charge du RERS de La Poste depuis début 2014
photo sous licence creative commons – auteur : DIS-PATCH
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