QVT et présentéismes

Novéquilibres : QVT et présentéismes
Le présentéisme, voici un sujet qui prend de l’ampleur depuis quelques mois dans les médias, sans pour autant être brûlant pour les dirigeants et les DRH, plus focalisés sur d’autres sujets comme celui de l’absentéisme. Pourtant des études américaines tendraient à montrer que le présentéisme coûterait plus cher aux organisations que l’absentéisme. Mais de quel présentéisme parle-t-on ? Quels sont les formes de présentéisme et les liens avec la Qualité de Vie au Travail (QVT) et la performance ?

Les présentéismes

Le présentéisme, tel qu’étudié dans les études américaines en terme d’impact économique se réfère aux personnes qui se rendent sur leur lieu de travail alors qu’elles ne sont pas en état physique ou psychique d’assumer correctement leur travail. Elles sont malades, devraient se soigner chez elles, mais, pour des raisons diverses évoquées ci-après, rejoignent tout de même leur organisation.
C’est ce que Denis Monneuse, sociologue (1), appelle le “surprésentéisme”.

Le terme de “présentéisme” est aussi utilisé pour d’autres phénomènes ou avec un autre sens. Il peut désigner :

  • l’inverse de l’absentéisme. De ce point de vue, le taux de présentéisme = 1 – le taux d’absentéisme ;
  • une tendance à travailler plus que de “raisonnable”, en surengagement chronique avec des impacts réels ou potentiels sur la santé physique, mentale et sociale, ainsi que sur la performance et la qualité du travail ;
  • le présentéisme “contemplatif” (2) vu à travers une présence sur le lieu de travail sans efficacité, en papillonnant, en faisant autre chose que le travail, ou flirtant plus ou moins avec la procrastination.
  • le présentéisme “stratégique” (2) qui consiste à rester tard au bureau pour se faire bien voir, voire pour ne pas se faire mal voir.

Les causes peuvent être très diverses et motiver une ou plusieurs formes de ces présentéismes :

  • la crainte : de perdre son emploi, de perdre de l’argent, d’être mal vu, … avec éventuellement une pression mise par l’organisation ; avec une culture spécifique à la France valorisant les amplitudes fortes de travail ;
  • le sens du devoir vis à vis de l’organisation, des clients, … ;
  • la volonté d’exemplarité du fait de sa position dans la hiérarchie ;
  • la volonté de solidarité envers les collègues ;
  • le perfectionnisme ;
  • la passion pour son travail ;
  • l’ennui dans les autres sphères de vie ;
  • le présentéisme institutionnalisé.

Présentéismes et QVT

Concernant le présentéisme institutionnalisé, je donne deux exemples. Le premier concerne l’organisation systématique de réunions après 18 heures.
Le deuxième exemple concerne un secteur d’activité en particulier : celui des hôpitaux. Dans le numéro 354 de la revue de l’Anact Travail & Changement (3) dédié au présentéisme, Véronique Rivat-Caclard, directrice des soins livre son analyse sur la mise en oeuvre de la journée de travail de 12 heures, 3 jours par semaine. Elle voit en effet dans cette nouvelle organisation du travail, qui se généralise dans les hôpitaux, une institutionnalisation du présentéisme.

Cet exemple me semble intéressant car il éclaire à la fois le côté protéiforme de la Qualité de Vie au Travail et les liens avec la performance durable.
Si les personnels plébiscitent la journée de 12 heures (meilleure conciliation vie privée – vie professionnelle, temps de trajet plus court, plus de repos d’affilé, …) en revanche Véronique Rivat-Caclard alerte sur des risques portant à la fois sur la QVT, la performance et la qualité de soins : des rythmes de travail plus soutenus sur une journée, avec des risques de baisse de vigilance, une absence de transmission. En terme d’organisation, le remplacement d’une personne malade est plus difficile à mettre en place. Elle souligne aussi le risque d’incitation au cumul d’emplois pour les personnes ayant besoin de revenus complémentaires, cela pouvant bien évidemment mettre en difficulté leur santé et ajouter des risques professionnels.
On voit clairement ici que des changements d’organisation peuvent apporter de la satisfaction à court terme sur certaines dimensions de la QVT, tout en portant un potentiel de risques plus forts à moyen ou long terme sur d’autres dimensions (voire pour des dimensions communes).

Cet exemple montre que la QVT ne doit pas être seulement appréhendée à court-terme par quelques unes de ses dimensions surnageant dans la conscience.
Il faut envisager la QVT dans le temps, sur toute l’étendue de son spectre, et en considérant les deux niveaux subjectif et objectif.

Présentéisme, surengagement chronique et burn-out

Une forme de présentéisme est assimilable à du surengagement chronique, les causes pouvant être diverses comme je l’ai décrit précédemment.
Ce surengagement peut-être induit, cultivé, institutionnalisé par l’organisation. Ce peut-être aussi une motivation propre à la personne qui se surengage de manière chronique par plaisir, par sens du devoir ou par perfectionnisme.
Que cela soit de manière assumée ou contrainte, le surengagement chronique fait prendre des risques pour la santé physique, mentale et sociale avec un processus de burn-out qui peut s’enclencher (attention à ne pas réduire le burn-out à un état ultime de rupture d’épuisement professionnel). Cela accroît les risques de désinvestissement des autres sphères de sa vie, du corps et de la vie intérieure. Les impacts négatifs professionnels aussi se traduisent par une baisse de l’efficacité et la dégradation des relations interpersonnelles, qualitativement et quantitativement.

Usage des NTIC et présentéisme

Avec le développement des NTIC, la question de l’absentéisme mérite bien d’être reconsidérée. En effet, rester chez soi parce qu’on est malade, ne signifie plus forcément ne pas travailler.
A partir du moment où la personne malade se sent mobilisable chez elle, ou est mobilisée pour le travail, et que son métier lui permet de travailler de chez elle, l’absentéisme peut se confondre en partie avec le présentéisme.

Et il est temps d’évoquer ce point de vigilance : le présentéisme ne se joue pas qu’entre les murs de l’organisation.

Au delà du travail chez soi quand on est malade, il peut y avoir du présentéisme en dehors de l’espace collectif de travail : dans la rame de métro où on lit et répond à ses emails, le soir ou le weekend quand on répond aux sollicitations par email ou qu’on travaille sur un dossier qu’on n’a pas pu traiter au bureau, ou pendant ses vacances, quand on passe une partie de ses journées scotché à son smartphone pour des raisons professionnelles .

Il y a également les configurations de télétravail où le salarié peut avoir du mal à gérer correctement les frontières entre ses différentes sphères de vie et s’engager de manière excessive dans son travail, sans que cela puisse être visible du collectif de travail.

Les présentéismes, de vrais défis pour la QVT et la performance durable, à mettre en lien avec le bon usage des NTIC.

Chaque forme de présentéisme impacte la QVT

Je vous propose de reprendre chaque forme de présentéisme et d’envisager les impacts potentiels négatifs sur la QVT :

Le surprésentéisme (venir au travail quand on est malade)

On ne peut pas considérer que travailler quand on est malade relève de conditions de travail satisfaisantes. D’autant plus si la personne se sent contrainte de le faire (par une personne, par l’organisation ou pour une raison financière).
Venir malade au travail, si on est porteur d’un virus tel que la grippe, c’est faire prendre le risque d’une contagion par proximité, voire à travers la climatisation (hypothèse de risque de diffusion ne pouvant être écartée (4)).
C’est alors faire prendre un risque des autres pour leur santé , donc pour leur QVT.

Le surengagement chronique

Un tel présentéisme peut conduire au burn-out, ce qui peut être considéré comme le niveau le plus bas de QVT. Il a paradoxalement un impact négatif sur la performance. J’utilise l’adverbe “paradoxalement” car il existe encore ancré en France un mythe assez singulier : plus on travaille, plus on est performant. Or la performance ne décrit pas une courbe strictement croissante et proportionnelle au nombre d’heures travaillées par jour. Au-delà d’un seuil de volume d’heures travaillées par jour, variant d’une personne à l’autre, la performance décroit, un cercle vicieux se met en place : plus on travaille, moins on se sent efficace, plus cela déstabilise la confiance en soi, plus se mettent en place des mécanismes de rumination, avec un impact potentiel négatif sur le sommeil, donc sur la phase de récupération.

Le présentéisme contemplatif

Ce type de présentéisme, lui-même protéiforme, ne doit pas renvoyer à l’image de Gaston Lagaffe, dilettante et heureux dans son manque d’engagement au travail. Ce présentéisme peut être source ou signe d’une démotivation ou d’une souffrance. Des problèmes dans les autres sphères de vie peuvent aussi être à l’origine de ce type de présentéisme.
Les impacts négatifs sur la QVT sont aussi à prendre en compte, même si dans un premier réflexe, on a tendance à manquer d’intérêt et de compassion pour ces personnes que l’organisation, et quelques fois les collègues, jugent d’un œil réprobateur.
Une forme particulière, le présentéisme d’ennui, peut conduire à un type spécifique de burn-out appelé le bore-out.

Le présentéisme stratégique

A partir du moment où une personne retarde son heure de départ pour ne pas risquer de recevoir des remarques acerbes ou humoristiques, ou plus généralement par crainte de se faire mal voir, cela crée en elle une tension qui s’ajoute aux impacts négatifs sur la santé d’une amplitude trop élevée de ses horaires de travail. Des ruminations peuvent subsister au-delà des murs du travail et polluer les autres sphères de vie.

 

Aussi néfaste et plus pernicieux que l’absentéisme, les présentéismes altèrent la QVT et la performance. Il faut prendre conscience des phénomènes sous-jacents pour désamorcer des comportements que les organisations ont pu avoir tendance à encourager.

 

Voici quelques références sur le sujet des présentéismes :

(1) Denis Monneuse – “Le surprésentéisme : travailler malgré la maladie – De Boeck – 2013 »
(2) wikipedia – Présentéisme
(3) Anact – Numéro 354 de la revue de l’Anact Travail & Changement
(4) LeMonde.fr – Grippe A : la climatisation présente-t-elle un risque ?
(5) psychologies.com – Dossier sur le présentéisme
(6) levif.be – Article “Beaucoup de travailleurs refusent de s’absenter quand ils sont malades”

Photo libre de droits

Olivier Hoeffel

Responsable éditorial de laqvt.fr Auteur des blogs lesverbesdubonheur.fr et autourdelabienveillance.fr

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.