L’écrit et le travail

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Malgré l’évolution des technologies censées faciliter le travail, la logique presse-bouton fait place à des flots d’informations écrites d’intelligibilité variable. Acquérir de bonnes capacités en lecture et en écriture devient indispensable. Avez-vous déjà réfléchi à vos expériences face aux différents types d’écrits rencontrés au travail ? Parlez-en avec vos collègues… 

L’atelier se termine. Clémentine me demande le contenu du travail à effectuer lors de l’intersession. Je suis un peu étonnée, dans le but avoué de gagner du temps je viens de proposer au groupe de se référer aux consignes que j’ai détaillées sur le tableau blanc. Simultanément abordée par deux autres personnes qui viennent prendre rendez-vous, je désigne le tableau à Clémentine en haussant les sourcils. En retour, elle me fixe toujours du regard en souriant timidement. Tilt. Je me souviens qu’elle m’a informée de ses difficultés en entretien individuel. Clémentine est graphiste. Et dyslexique(1). Chacune de ses rencontres avec l’écrit lui demande un effort de concentration intense, dont le cumul occasionne grande fatigue, stratégie de contournement, découragement. Gardée sous silence, sa difficulté structurelle lui a valu une belle réputation d’élève paresseuse et de collaboratrice étourdie ou défaillante.

On dit qu’aujourd’hui 5 à 10 % des élèves présentent des troubles de l’apprentissage du langage comme la dyslexie ou la dysorthographie. Ces troubles sont inégalement aplanis, certains perdurent à l’âge adulte. Par ailleurs, le Centre d’Analyse Stratégique (CAS) note dans son dans son rapport de février 2012 déjà cité sur laqvt.fr qu’un nombre important de salariés rencontre des difficultés avec la lecture et l’écriture, et évoque l’exclusion de trois millions d’illettrés(2) et lecteurs lents. D’après l’Agence Nationale de Lutte Contre l’Illettrisme (ANLCI), plus de la moitié des personnes en situation d’illettrisme exerce une activité professionnelle.

Prenons conscience de ce segment de population dont la qualité de vie au travail est bien injustement altérée (à l’instar des chercheurs d’emploi et des bénévoles dont il est question dans des articles précédents). Peut-être une raison de plus pour privilégier le mode de communication en face à face, et à rester vigilant sur sa capacité à faire preuve de bienveillance et de tolérance.

L’inflation de l’écrit au travail et ses conséquences

L’évolution des TIC à eu pour effet une inflation conséquente de l’écrit dans le travail, au détriment de l’oralité. Le rapport du CAS cité plus haut pointe que la surcharge informationnelle touche de plus en plus de domaines d’activités, et qu’il devient indispensable de pouvoir communiquer par écrit sous peine d’exclusion. Si les personnes en difficulté flagrante avec l’écrit sont particulièrement concernées, le reste de la population active n’en est pas moins ciblé.

En effet, la qualité de vie au travail dépend pour beaucoup de la qualité du lien social dans l’organisation, en particulier du dialogue entre les personnes(3). Or, la communication s’acquitte de l’écrit avec plus ou moins de satisfaction en simulant le dialogue. Il s’agit en effet d’une imitation bien pâlotte du face à face : ne subsistent du contenu du message que 7% de compréhension verbale. Les 38% exprimés par la voix se résument à quelques artifices typographiques rarement très travaillés. Quant aux 55% révélés par le visuel… ils passent à l’as !

Travailler requiert aujourd’hui davantage d’habileté à la lecture et à l’écriture qu’auparavant

L’écrit permet notamment une communication plus ou moins désynchronisée, décalée.
De la messagerie électronique au clavardage(4) en passant par les forums, blogs, extranets, intranets, l’écrit permet d’accroître par exemple :

  • La liberté : écrire plutôt que dire permet de se doter d’une marge de manoeuvre dans le temps pour décider du contenu d’un message, voire du moment ou il sera adressé au(x) destinataire(s). De même, le(s) destinataire(s) peu(ven)t se donner le temps de lire le message qui lui(/leur) est adressé.
  • La proximité : Un message peut être partagé par plusieurs personnes éloignées géographiquement.
  • L’expression : La communication écrite offre une distance qui peut se révéler très utile pour améliorer la participation de personnes introverties.

Néanmoins, on peut observer au revers de la médaille :

  • Une dynamique ralentie (puisqu’émetteur comme récepteur sont chacun maîtres du moment qu’il consacreront à l’écriture ou à la lecture du message).
  • Des interactions moins nombreuses qu’à l’oral.
  • Et par conséquent, un niveau de dialogue moins fin, où le malentendu (malécritu pourrait-on dire en l’occurrence !) est difficile à rattraper rapidement.
  • Une mauvaise image lorsque le style et en particulier l’orthographe n’est pas maîtrisé. En témoignent les discussions d’entraide dans les forums qui se terminent souvent en pugilat virtuel lorsque l’orthographe hasardeuse d’un internaute est spontanément interprétée comme un manque de respect.

Ecriture manuscrite ou au clavier

D’autres écrits sont courants en milieu professionnel : les textes rédigés (articles, lettres et documents divers) permettent de structurer plus finement, de construire une argumentation avec des enchaînements logiques, d’affiner la réflexion pour lui donner un aspect plus ou moins abouti. Pour ce type d’écrit, le traitement de texte a constitué un  progrès notable. En revanche, la prise de notes, les brouillons de travail et plans plutôt individuels ou complétés à plusieurs gagnent souvent à être manuscrits.

Le papier et le crayon apportent une dimension importante sur plusieurs aspects. Tout d’abord, l’écriture manuscrite offre une plus grande liberté d’utilisation de l’espace de la page, davantage de créativité dans le signe tracé. Par ailleurs, la trace générée à la main est plus intuitive et révèle quelque chose du cheminement de la pensée. L’équivalent sur un écran est plus souvent textuel et linéaire car il nécessite des opérations techniques intermédiaires trop lourdes, à moins d’utiliser un logiciel adéquat, et souvent d’y être formé et longuement entraîné. Si le document est tapé sur un clavier, toute trace d’hésitation est effacée au fur et à mesure. Enfin, l’écriture manuscrite trahit des émotions, différents rythmes lors de la prise de notes par exemple, qui seraient complètement éludés en passant par le clavier.

Plusieurs états en Amérique du Nord ont choisi d’abandonner l’apprentissage de l’écriture cursive comme en témoigne l’actualité. Ce ne sont plus les TIC qui singent la communication humaine mais la main humaine qui singe le mode d’expression technologique pour toujours davantage de standardisation…

Expériences

En voici deux. Quelles sont les vôtres ?

Pour répondre à une question récurrente lors d’ateliers d’autobiographie raisonnée, j’ai testé la prise de note tapuscrite en entretien. J’avais le rôle de la personne ressource qui prenait en notes les éléments chronologiques des faits sociaux jalonnant le parcours de mon interlocutrice qui tenait le rôle de personne projet. J’avais préparé une bioscopie vierge, un tableau sur un logiciel libre. J’avais pensé à l’avance les combinaisons de touches dont j’aurais besoin pour passer d’une colonne à l’autre, revenir en arrière, insérer du texte, agir sur les décalages. Pour que la rencontre reste agréable et que l’écran ne fasse pas trop écran justement entre nous deux, nous nous sommes mises côte à côte. À l’évidence, l’atmosphère de l’entretien a pâti de l’outil que j’utilisais. Le bruit des touches se mêlait à la voix, nos yeux rivés à l’écran se rencontraient rarement. Mes deux mains mobilisées par le clavier ramenaient encore l’attention sur l’ordinateur.

Dans le but de diffuser le plus largement possible le contenu d’une formation ouverte à tous les membres de la coopérative et dispensée tout au long de l’année dernière, j’ai entrepris de mutualiser les notes prises par les participants. Selon les sessions, j’avais pris des notes manuscrites, une fois tapuscrites, et de nombreuses fois aucune notes, curieuse de voir le résultat des multiples enregistrements retranscrits. En comparant mes notes de la première session avec l’exhaustivité de la retranscription au kilomètre via un logiciel de l’enregistrement, j’ai fait mon choix en ce qui concerne la prise de notes des prochaines interventions dont je souhaite garder une trace. Elle sera manuscrite, fût-elle incomplète. Elle ne m’apparaît que plus humaine et utilisable, quitte à être retapée pour être plus facilement partageable, et amendable.

Il ne faut jamais dire Lafontaine, je ne boirais pas de ton encre !

 

(1) La dyslexie est un trouble de l’apprentissage de la lecture et de l’acquisition de son automatisme. Elle concerne des enfants normalement intelligents, scolarisés et sans trouble sensoriels ni psychologiques préexistants. Voir la définition sur le site CORIDYS.

(2) L’illettrisme concerne les personnes dont l’autonomie est altérée en raison d’une maîtrise insuffisante de capacités de base dont la lecture et l’écriture alors qu’elles ont bien été scolarisées (en France). À distinguer de l’analphabétisme qui concerne les personnes qui n’ont jamais été scolarisées. Voir les définitions sur le site de l’ANCLI.

(3) Voir le début de l’article Cultiver les valeurs collectives

(4) Discussion en temps réel via un ordinateur. Contraction de clavier et bavardage. En anglais : chat.

 

photo sous licence creative commons – auteur : 2 dogs

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