Trop de performance tue la performance … la QVT, notre société et la planète

Novéquilibres : Urgences et police, 2 actualités parlantes sur les façons d'aborder la QVT - laqvt.fr QVT Qualité de Vie au Travail
Nous sommes à moins d’une semaine de la 16ème semaine de la Qualité de Vie au Travail organisée par le réseau Anact-Aract dont le thème est « Vous avez dit performance(s) ? ». Dans beaucoup d’événements, il sera question de faire le lien entre QVT et performance. Nous avons plusieurs fois exprimé notre vision par rapport à ce lien : nous mettons la QVT en intention première et faisons de la performance un bénéfice collatéral. Ma motivation dans cet article est de mettre en évidence en quoi une recherche frénétique de performance court terme, non seulement impacte négativement la QVT, mais aussi détruit à peu près tout dans notre société, sans oublier la planète. Et justement, on va commencer par la planète.

Je signale à celles et ceux qui considéreraient ne pas avoir suffisamment de temps à lire le présent article que j’ai réalisée une infographie le résumant située en fin d’article.

Un modèle sur la pollution très inspirant pour comprendre les risques de la recherche excessive de performance

Les dangers d’une focalisation excessive sur la performance court terme – notamment par  la réduction des coûts – peuvent être représentés par une courbe que j’ai eu l’occasion à deux reprises de mentionner sur laqvt.fr. Elle a été présentée par Alexandre Rambaud, chercheur en sciences de gestion associé à Paris Dauphine, à l’occasion de la conférence de l’Observatoire Des Cadres (ODC) « Manager en toute connaissance d’impact » le 20 avril 2017.

Alexandre Rambaud fait un parallèle extraordinairement pertinent et parlant entre les dégâts de la pollution sur l’environnement et les dégâts de la réduction des coûts sur la santé de l’humain, et ensuite sur la performance globale.

Je m’appuie sur ce schéma pour présenter ce que produit la recherche de performance en fonction de son intensité croissante (plus elle est intense, plus elle met en stress l’individu) :

Courbe en cloche Alexandre Rambaud performance laqvt.fr Qualité de Vie au Travail QVT

En quelques mots, voici les enseignement que j’en tire :

  • Pour évaluer justement la performance, le coût des dommages créés sur la santé de l’individu et sur la planète est à prendre en compte ; nous l’avons appelé sur laqvt.fr “performance globale et durable”; j’y reviendrai dans la 2ème partie de l’article
  • Il y a un seuil à partir duquel la recherche frénétique de la performance se révèle contre-productive en terme de performance globale et durable (courbe violette). Elle impacte négativement la santé de l’individu et/ou la planète. Cela couvre la zone perdant-perdant (même si un petit nombre en tire de très gros bénéfices).
  • Une zone plus difficile à appréhender est celle sur laquelle est centrée le propos d’Alexandre Rambaud : la zone “gagnant-perdant” démarre par un seuil de rupture à partir duquel il y a atteinte à la santé de des individus et/ou de la planète ; les stress dépassant leur capacité d’assimilation. Mais les coûts de cette atteinte sont inférieurs aux bénéfices obtenus en matière de rentabilité (d’autant plus que ces coûts sont difficiles à évaluer). Dans ma vision de la société et de la vie au travail, une organisation ne devrait pas aller jouer sur ce terrain intentionnellement car elle transgresse son devoir de préserver la santé et la sécurité des individus.
  • La gouvernance par les nombres (cf cours d’Alain Supiot au Collège de France) cultive une confiance immodérée et inconditionnelle dans les chiffres, le contrôle de gestion, le reporting ET la défiance vis-à-vis des salariés, le tout se renforçant par un cercle vicieux. Bien que je me réfère à une courbe basée sur des nombres, je vous propose de retenir les enjeux, la courbe en cloche et les idées de seuil et non pas une invitation à tout mesurer.

Par rapport à la dynamique de recherche de performance, l’essentiel est d’intégrer a minima deux principes de bon sens qui étaient gravés sur le fronton du Temple de Delphes :

  1. “Rien de trop”; Voltaire a aussi écrit dans le conte moral “La Bégueule” : “Le mieux est l’ennemi du bien”; je vous propose d’aller jusqu’à “Le plus est l’ennemi du bien”. J’ai évoqué au cours de la préparation de l’Université Ephémère sur la QVT, l’Innovation managériale et la Coopération l’idée d’un “Sam’va bien” en contre-proposition de “Monsieur Plus” (1). Une contre-proposition au trop courant “La fin justifie les moyens”
  2. “Connais-toi toi-même” que je prolonge volontiers par “… autrui et la planète dont tu fais partie intégrante”, renvoyant ainsi à une logique de bienveillance et d’attention sur plusieurs axes. C’est cette Cette attention qui permet non seulement de prendre conscience des dégâts directs et indirects que l’on provoque par son activité, mais aussi de manière préventive (et donc plus satisfaisante) en prenant en considération et en associant toutes les parties prenantes (concept de la Responsabilité Sociale de Entreprises). Le “connais-toi toi-même” s’entend aussi bien au niveau individuel et collectif.

L’idée de dynamique de recherche de performance méritant d’être remise en question au même titre que la stabilisation dynamique (ou impératif de croissance) qualifiée ainsi par le philosophe et sociologue allemand Hartmut Rosa. Une dynamique qu’il dénonce au profit d’une stabilisation d’adaptation (selon la situation et la position dans un écosystème : statu quo, croissance ou décroissance).

Pour avoir plus de précisions sur la construction intellectuelle du parallèle entre pollution et QVT, je vous invite à prendre connaissance du diaporama que j’ai réalisé. Vous pouvez aussi visionner l’extrait de la conférence dans laquelle Alexandre Rambaud donne ses explications :

Le diaporama


La vidéo


Le triangle Performance – QVT – Qualité

En 2017, j’ai réalisé un travail de modélisation en m’inspirant de divers éléments du rapport « La QVT : un levier de compétitivité » publié en novembre 2016 par le réseau Anact-Aract, Terra Nova et La Fabrique de l’industrie. Ce rapport met clairement en lien la QVT avec la performance économique. Ses auteurs sont Emilie Bourdu, Marie-Madeleine Péretié et Martin Richer.

J’ai modélisé un triangle QVT – Performance économique – Qualité. J’ai regroupé ces 3 dimensions inter-reliées et qui s’influencent mutuellement (en positif et en négatif) au sein d’un ensemble plus vaste que j’ai appelé Performance globale et durable.

performance globale et durable - laqvt.fr QVT Qualité de Vie au Travail Performance Qualité

Je n’entre pas dans le détail de cette modélisation. Si vous souhaitez en savoir plus, je vous renvoie sur un document multimédia qui décrit en 15 étapes les enjeux à combiner les 3 dimensions (QVT, perf éco et qualité) et les risques que prennent les entreprises à tirer trop fort sur la performance économique : non seulement pour la QVT et la Qualité, mais aussi pour la performance économique elle-même par un effet boomerang. Un exemple est donné en illustration : celui de l’association néerlandaise Buurtzorg, dans le secteur des soins à domicile, qui, en quelques années a bouleversé les pratiques du secteur en devenant l’acteur N°1, par la promotion et la mise en pratique d’une raison d’être allant dans le sens d’une performance globale et durable.

La pression de la performance est partout

Que celles et ceux qui travaillent dans l’économie capitaliste, qui souffrent de la course effrénée à la performance, ne pensent pas que les autres secteurs sont préservés ; par exemple : le secteur public et le milieu associatif sont-ils à l’abri ?

Non. En effet, on a tendance au raccourci trompeur suivant : la focalisation sur la performance serait strictement liée à la recherche toujours plus gourmande (voire gargantuesque) de profit.

Or dans les autres secteurs de l’économie, la motivation est autre mais tout aussi pressante : faire plus avec moins. Pour le secteur public, il s’agit de baisser les dépenses publiques. Pour le milieu associatif, avec la baisse des subventions, il s’agit de continuer à assurer les actions avec moins de moyens. Et en particulier dans le secteur social, comme les besoins sont de plus en plus grands – par le désengagement de l’Etat dans des services publics – on se trouve à avoir à assumer plus d’actions avec moins de moyens. D’où une forme d’injonction à plus d’efficacité, y compris en matière de réponse à appels à projets et plus globalement à l’exploration d’autres possibilités de financement. On entend utiliser fréquemment le mot “rationalisation” avec un paradoxe assez étonnant quand on prend un minimum de recul : on cherche à introduire dans le secteur associatif des méthodes de gestion dont on a vu toutes les conséquences en matière de RPS dans le secteur capitaliste ; le secteur capitaliste qui essaye justement timidement d’en sortir notamment par l’innovation managériale, la gouvernance partagé, … y compris dans des entreprises du CAC 40 (par exemple Michelin qui expérimente des équipes autonomes).

N’instrumentalisons pas la QVT pour accroître encore plus la performance

Il y a une forme de subtilité à mettre en évidence à propos du lien entre QVT et performance ; voyons les deux invitations suivantes :

  1. travaillons à l’amélioration de la QVT dont les impacts positifs vont au-delà de la dimension sociale : cela bénéficie aussi à l’efficacité
  2. investissons intelligemment la QVT car nous avons des gains de rentabilité à récolter

Un des risques avec la deuxième, c’est d’investir la QVT uniquement par la périphérie du travail (par exemple : des services de proximité : conciergerie, salle de sport, massage, …). Quoi qu’il en soit, il s’agit d’instrumentaliser la QVT en tirant uniquement les fils qui permettraient d’accroître la performance.

Au contraire, le comité éditorial invite les organisations à investir la QVT dans le cadre d’un (re)centrage sur l’humain, sa réalité de travail, ses perceptions et ses aspirations. Comme montré sur le schéma du triangle Performance – QVT – Qualité, la QVT mérite d’être considérée comme un  élément à part entière constitutif d’une performance globale et durable.

Notre société est tellement focalisée sur la performance qu’il est largement temps de considérer la QVT en tant que motivation première et en soi, et de lui donner toute sa place. Si on lui consacrait, ne serait-ce que 10% de l’énergie que l’on consacre à la performance dans les organisations, il est sûr que le niveau de QVT ferait un sacré bon en avant.

Alors, donnons-nous le temps, l’envie et l’énergie d’investir la QVT et de l’intégrer dans les décisions et les pratiques. Pour les individus et les organisations qui se sentent dans l’impuissance d’investir la QVT, je vous invite à lire notre série de 3 articles De l’impuissance solitaire à la puissance coopérative

Pour pas que notre vie au travail soit sous perf, faisons de la QVT une motivation forte, individuelle et collective ! Donnons-nous le temps de bien vivre au travail, de bien faire et de cultiver nos valeurs collectives.

Une infographie pour résumer mon propos


Infographie QVT et performance par olivier hoeffel

Télécharger l’infographie : au format png, au format pdf

(1) J’ai reformulé le “Sam’suffit” Vs Monsieur Plus”  de Barry Schwartz (Livre “Le paradoxe du choix”)

Olivier Hoeffel

Responsable éditorial de laqvt.fr Auteur des blogs lesverbesdubonheur.fr et autourdelabienveillance.fr

Une réflexion sur “Trop de performance tue la performance … la QVT, notre société et la planète

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.