Convivialité et Qualité de Vie au Travail : Réflexions
Pour sa vingtième convention et en clôture de la semaine de la qualité de vie au travail, Entreprise et Convivialité nous gratifie de la thématique à tiroirs qui nous tient à coeur à laqvt.fr et à Novéquilibres. Mieux, elle le fait en partenariat avec l’ANDRH(1), régulièrement consultée par le gouvernement pour faire remonter les effets sur le terrain des décisions prises (par exemple sur le contrat de génération actuellement) et dont la commission QVT a tenu ses assises le 28 juin dernier(2). Merci à Dominique Poisson, présente avec moi, de sa contribution à cet article.
C’est La Poste qui abrite la convention. Muriel Garcia, qui dirige le pôle innovation participative, ressources humaines et management nous accueille avec le sens de la formule :
la QVT, c’est la qualité des relations humaines : assertivité, congruence, et authenticité, en lien avec l’expertise, l’expérience, l’expression.
À la Poste, un accord cadre sur la QVT a été signé en début d’année. Les aspects organisationnels du travail y sont présents, notamment le télétravail. Une démarche participative est enclenchée pour construire le plan stratégique. La reconnaissance des initiatives locales est préférable à l’application de grandes décisions nationales. LA QVT est un investissement qui se mesure au quotidien.
À entendre les témoignages sollicités en deuxième partie de la matinée auxquels je consacrerai un second article, la qualité de vie au travail semble déjà intégrée dans certaines pratiques.
Les experts invités (représentant d’institutions, d’associations, des universitaires et des consultants) quant à eux évoquent officiellement la qualité de vie au travail comme faisant partie des sujets enfin incontournables, et dans des termes plus proches de la réalité écologique du travail des êtres humains, que celui de la cerise sur le gâteau ou des activités “pansements” ou “cosmétiques”.
Institutions et associations
Sylvie Brunet(3) évoque les coûts de la non QVT(4), tout en soulignant les avantages de la QVT comme facteur indispensable de performance. Elle mentionne le Mouvement pour un pacte social basé sur la confiance et la performance, composé de grandes entreprises et au sein duquel les débats de la semaine ont porté sur la performance financière (Cours Terme), la performance sociale (Long Terme), la Responsabilité Sociétale et Environnementale et le Développement Durable.
La notion d’expression directe prend également de l’ampleur : Sylvie Brunet cite le travail du groupe de réflexion Terra Nova(5), ainsi que l’accord QVT signé chez EDF, tout en soulignant que ce sont des sujets à aborder au plus haut niveau de l’organisation, en Conseil d’Administration et en Conseil de Surveillance.
Universitaires
Si je suis ravie jusqu’ici de pointer les éléments que nous pointons depuis deux ans à laqvt.fr et à Novéquilibres, l’intervention de Serge Guérin, sociologue et docteur en sciences de la communication me paraît saillante. Elle relève d’une préoccupation qui me touche particulièrement, tant d’un point de vue personnel que professionnel, rarement évoquée et pourtant extrêmement répandue : la question des aidants, et son incidence sur la qualité de vie au travail.
Après avoir évoqué en préambule la non qualité de vie [au travail ? interrogera-t-il] des personnes sans emploi(6), il évoque sans ambage la responsabilité des pouvoirs publics comme des organisations où la perte de sens perdure sur le terrain malgré les multiples réflexions, rapports et colloques qu’il qualifie de colloquite aigue. Pourtant l’entreprise n’a pas d’autre choix que de prendre sa responsabilité (RSE).
Les êtres humains viennent au travail avec leur contexte, leurs valeurs, leurs problèmes de transport, de logement, les changements dans leurs familles.
- 33% des français vivent seuls
- Les aidants représentent 10 millions de personnes
- dont 4 millions de salariés qui doivent combiner leur travail, leur vie privée et le métier d’aidant.
- 10 millions de personnes accompagnées par ces 10 millions d’aidants. Ce sont des personnes âgées, handicapées,
atteintes de maladies chroniques qui augmentent dramatiquement (ex cancers des enfants, perturbateurs endocriniens, etc) - Les charges cachées reposent souvent sur les épaules des femmes.
L’intégration de ce travail d’aidant à sa vie professionnelle doit faire partie de la performance de l’entreprise. Le rôle de la société est de valoriser l’apport des aidants qui ne collectent pas de droits à la retraite, alors qu’ils apprennent de la vie. Et la convivialité consiste dans les entreprises en ce que chacun doit être dans la capacité d’écouter (par exemple des personnes avec des problèmes de parents vieillissants, des enfants malades), et d’organiser leurs remplacements quand ils sont nécessaires, sans culpabilisation.
Serge Guérin évoque alors des initiatives ponctuelles qui ont été suivies par les entreprises puis par les pouvoirs publics :
Chez Badoit, des salariés rassemblés en collectif offrent leurs jours de RTT à Christophe Germain, après épuisement des siens, pour s’occuper de son fils malade. Badoit décide d’abonder et fin janvier 2012, une loi est enfin votée à l’ Assemblée Nationale. Désormais les salariés qui le souhaiteront pourront “offrir” leurs jours de RTT à leurs collègues qui auraient besoin de bénéficier de temps auprès de leur enfant malade.
Casino pratique également le don de RTT avec abondement par l’entreprise. Danone et Bayard ont aussi réalisé un projet d’abonnement vers un site internet d’accompagnement des aidants.
Consultants
Audrey Barbe, consultante chez BPI évoque les facteurs à surveiller comme pouvant dégrader les conditions de travail, la qualité du travail, le sens qu’on y trouve : le rythme des évolutions, l’évolution professionnelle, l’adhésion de l’encadrement, et évoque quatre leviers en terme d’organisation opérationnelle au quotidien dans les collectifs de travail :
- Audace et espace : dans l’organisation au quotidien, promouvoir responsabilisation, autonomisation, marges de manoeuvres, créativité, initiatives pour une meilleure productivité,
- Controverse et l’intelligence collective : mettre le travail en débat (prévu dans l’accord QVT), ce qui suppose temps et espace dédiés,
- L’individu unifié : faciliter la conciliation des valeurs et des vies (professionnelles et privées),
- Défi et convictions : remettre du souffle dans les organisations, avec en ligne de mire le rôle des managers (et des dirigeants), la RSE. Rechercher une cohérence dans les choix stratégiques de tous les modes de management, et du dialogue social, le nouveau paradigme (QVT par rapport à RPS) remettant en questionnement leurs méthodes et revendications.
Et elle cite un outil cher à Novéquilibres : l’Enquête appréciative.
Xavier Camby, consultant et fondateur d’Essentiel Management a beaucoup travaillé en Amérique du Nord.
Pour lui, les sources de mal-être proviennent
- du fait que l’entreprise représente une communauté artificielle d’intérêts divergents, source de conflits, et d’une énergie à transformer en énergie vitale. Le rôle de manager est de garder le cap et de canaliser,
- de la hiérarchie pyramidale et autoritaire, alors que la polyvalence et les complémentarités devraient jouer,
- du contrat de travail déséquilibré par la subordination (abnégation ?) de l’employé au patron, et par l’opposition de la subsistance à la production de valeur ajouté -il faut pouvoir garder ses valeurs-,
- de la surabondance de consignes
Pour conjurer ce mal-être Xavier Camby engage à :
fournir des compétences (de la formation), des succès, du plaisir, de la convivialité, et de la reconnaissance,
- (s’) autoriser le droit à l’erreur auquel répond le devoir d’audace,
- la Convivialité & la QVT entraînant bien-être et performance
Les stratèges doivent induire le mouvement; les managers doivent être formés ; et le respect intégral de la personne doit primer. Quelques éléments interculturels : Au Canada, on vit la subordination comme une relation d’apprentissage, en France on en a peur. Au Canada, c’est lorsque l’erreur est recommencée qu’elle devient une faute. A ce moment seulement est ressentie la culpabilité. Et au Canada comme en Scandinavie et aux Etats-Unis, les programmes de bien-être remportent 50 à 60 % d’adhésion et constituent déjà un levier stratégique.
En cette fin de première partie, il a été souligné la nécessité du savoir vivre ensemble, en sus des savoir, savoir faire et savoir être. A rapprocher du mot “respect” qui représente le mieux la qualité de vie au travail pour 64% des personnes interrogées dans l’enquête Anact TNS-Sofrès ?
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(1) ANDRH : Association Nationale des Directeurs de Ressources Humaines
(2) Voir notre annonce des propositions émises.
(3) professeure à Euromed Management et membre du Conseil Economique Social et Environnemental (CESE)
(4) 3% du PIB européen selon la fondation de Dublin. Au Canada, la non santé génère des coûts évalués à 17% de la masse salariale, alors qu’un dollar canadien investi en santé en fait économiser 2,5 à 4$. De même, on considère qu’un salarié actif physiquement augmente sa productivité de 12%
(5) Voir le rapport intermédiaire “Travail et Crise”
(6) et dont j’avais traité un angle dans l’article la qualité de vie au travail pour tous
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