Interview d’Anne-Véronique Herter auteure du livre “Le cri du corps”
Nous annoncions en mai dernier la publication du livre “Le cri du corps” d’Anne-Véronique Herter. Olivier Hoeffel, responsable éditorial de laqvt.fr qui a contribué à la seconde partie du livre donnant la parole à des experts, s’est entretenu avec Anne-Véronique Herter quelques mois après la publication du livre, pour des questions sur sa situation actuelle, des demandes de précisions par rapport à la situation qu’elle a vécue, sur l’accueil qui a été réservé à son livre, …
Préambule
Avant de restituer le contenu de cet interview, je vous dis quelques mots sur Le cri du corps pour celles et ceux qui ne connaissent pas le livre. C’est un livre en deux parties : la première, centrale, est le récit autobiographique d’Anne-Véronique sur une situation de harcèlement à laquelle elle a été confrontée et les quelques mois qui ont suivi la réaction salutaire qui l’a fait s’extirper de son environnement de travail.
Anne-Véronique m’a sollicité pour contribuer – bénévolement – à la deuxième partie de son livre en apportant mon point de vue d’expert sur la situation actuelle en France en matière de souffrance au travail et de Qualité de Vie au Travail. D’autres experts ont contribué : Cyril Bériac, aidant, Isabelle Courdier, Psychologue du travail, IPRP (Intervenante en Prévention des Risques Professionnels), spécialisée en psychopathologie du travail, Maison Souffrance et Travail, Clément Raingeard et Marine Fréçon-Karout, SCP BOULAN KOERFER PERRAULT & ASSOCIES, Avocats à la Cour. Anne-Catherine Sabas, ACS, psychanalyste, formatrice, a écrit la préface.
Après avoir lu le manuscrit du récit d’Anne-Véronique Herter début février 2018, j’ai apprécié la puissance de ses mots, son travail de mise à distance, de rassemblage des fils qui donne à son témoignage à la fois la force d’un récit d’un broyage implacable, et à la fois des clés pour en comprendre les ressorts. A la lecture de son manuscrit, j’ai acquis la conviction qu’Anne-Véronique Herter pouvait être un porte-voix de beaucoup de personnes qui n’ont pas son talent d’écriture pour exprimer situations et ressentis, et/ou sa capacité à prendre de la distance pour comprendre les mécanismes.
Cela a été aussi pour moi l’opportunité de relier la QVT et la souffrance au travail, aspect très important que nous avons eu peu l’occasion de faire sur laqvt.fr avant 2018 puisque notre priorité était et reste de promouvoir une vision positive de la vie au travail.
L’interview
Bonjour Anne-Véronique. Comment ça va après les épreuves que vous avez traversées et ces quelques mois qui se sont écoulés depuis la publication de votre livre ?
C’est une question qui a pris sens ces derniers temps, une question que je me pose régulièrement et dont j’écoute attentivement les réponses que m’envoient mon corps et mon esprit. Je suis heureuse de constater que je vais bien, je reste vigilante pour que cela dure.
Avez-vous pu reprendre une activité professionnelle ?
En effet. Je travaille comme consultante du Pôle Management des situations humaines sensibles chez CRISE-UP (Institut International de Gestion des Crises Humaines) et j’ai repris des études en suivant un D.U. de “conseiller en prévention des risques psychosociaux”, à l’université de Cergy-Pontoise.
Je commence par quelques questions relatives à la situation rapportée dans le livre. Quand vous avez été confrontée dans votre entreprise aux difficultés dont vous avez écrit le récit, avez-vous sollicité la représentation du personnel par rapport à la situation que vous avez vécue ?
Je n’ai pas sollicité la représentation du personnel, car je n’en n’ai pas eu le réflexe, ni l’idée. Lorsque j’ai commencé à aller mal, je n’ai pas pensé qu’ils pourraient m’aider; ce n’était pas une démarche évidente pour moi. En revanche, j’en ai souvent parlé à ma DRH, à mes collègues, puis à la médecine du travail lorsque mon état de santé s’est empiré. Le CHSCT et le CE ont été mis au courant lorsqu’il a été question d’incapacité de travail me concernant.
Le fait de faire partie de l’encadrement a-t-il constitué un frein pour une telle interpellation de votre part ?
Nous n’avions pas de représentant cadres au CE. Je ne connaissais pas grand-chose à leur rôle et je n’ai tout simplement pas osé parler de mes problèmes. J’étais toujours dans la culpabilité de mon état.
Dans la mesure où les comportements délétères n’étaient pas limités à votre propre personne, des actions collectives ont-elles pu être aidantes pour vous : soutien mutuel, écoute, réaction collective, … Quels ont pu être les freins à un front commun pour affirmer le refus des comportements délétères ?
Nous étions effectivement plusieurs à souffrir de nos conditions de travail. Le fait de beaucoup en parler ensemble, de nous soutenir, de nous épauler et de nous donner des conseils que nous ne pouvions appliquer pour nous-mêmes, tout cela ne changeait rien au problème de fond. Cela nous permettait juste de tenir plus longtemps.
Nous nous répétions en boucle « c’est comme ça… » comme une excuse de ne pas réussir à changer les choses, ni à nous protéger, ni à partir…
Pensez-vous que les personnes qui ont provoqué votre mal être sont conscientes de leur responsabilité dans le processus que vous avez subi ?
Je ne pense pas. Je les crois dans le déni des répercussions de leur attitude à mon égard. Les choses se sont passées sur plusieurs années, et le stress est monté crescendo. Il faudrait leur poser la question, je ne peux pas m’avancer pour eux. J’ai lu dans un article paru en octobre dernier dans Le Monde que, selon eux, j’aurais tout inventé pour lancer ma carrière d’écrivain. Ça en dit long sur leur conscience des choses. Pourtant il y a ce qu’on avoue en public et ce que l’on peut concevoir dans son fort intérieur. J’espère que mon expérience leur permettra de repenser leur management. Même sans l’avouer. Je me fiche qu’ils assument publiquement. Je voudrais juste que les salariés qui travaillent avec eux ne soient pas en souffrance et que les choses changent enfin.
Croyez-vous que les personnes qui ont contribué au harcèlement se sont reconnues dans le livre et éventuellement certaines sont-elles revenues vers vous depuis sa publication ?
Elles se sont forcément reconnues, Je n’avais qu’une directrice marketing qu’une directrice général’, qu’une directrice des ressources humaines. J’ai publié sous mon vrai nom. Les faits relatés sont suffisamment précis pour qu’elles ne puissent douter de leur rôle. Aucune ne m’a contactée directement. Je ne les imagine pas me rappeler plusieurs mois après. Que pourraient-elles me dire ? Oups, désolée !?
J’ai maintenant quelques questions relatives à l’accueil qui a été réservé à votre livre. En commençant par celui des journalistes, et j’ai été été frappé par l’introduction par Harry Roselmack du reportage dans lequel vous avez témoigné pour l’émission 7 à 8 sur TF1. “… ce qui AURAIT transformé cette mère de famille, c’est le harcèlement DONT ELLE DIT être victime … … un stress qui lui AURAIT fait prendre beaucoup de poids … ». Un traitement journalistique qui pose la question de la qualification de la parole de victime de harcèlement. Est-ce une formulation qui vous a également frappé et/ou touchée ?
Cela ne m’a pas frappée sur le moment. C’est une manière pour les journalistes de se couvrir afin de ne pas avoir de procès à leur tour. C’est toujours un peu blessant, car cela insinue que je pourrais bien mentir…. Mais j’ai ma conscience pour moi, des preuves et des témoins. Dans cet exemple, Harry Roselmack a fait preuve de prudence dans son introduction, mais Thierry Demaizière qui m’a interviewée, a choisi de me consacrer son portrait de la semaine, et c’est déjà une preuve de soutien immense.
Avez-vous retrouvé ce même type de formulation dans les propos des journalistes qui vous ont interrogé dans d’autres médias, et plus globalement comment avez-vous perçu l’accueil qu’ils ont réservé à votre témoignage et à votre livre ?
J’ai eu plusieurs papiers dans la presse ; j’ai participé à une dizaine d’émissions de radio, et d’autres émissions télévisées. Il me semble que je n’ai été confrontée au même type de formulation qu’une seule fois. En revanche, tous les journalistes qui m’ont interviewée l’ont fait de façon bienveillante à mon égard et très respectueuse de mon livre et de mon récit. Le cri du corps les a touchés.
Concernant l’accueil par les lectrices et lecteurs du livre, vous avez reçu de nombreuses réactions de lectrices et lecteurs du livre et de personnes ayant suivi les émissions dans lesquelles vous avez témoigné. J’imagine qu’une grande partie de ces réactions provient de personnes qui se sont retrouvées dans votre récit. Qu’est-ce qui revient le plus souvent dans ces réactions ?
Après l’émission 7 à 8, j’ai reçu des centaines de messages par email, à travers les réseaux sociaux, ou sur mon site. C’était inimaginable. Je ne m’attendais pas à cela. J’ai pris beaucoup de temps pour répondre à tout le monde, presque quinze jours à temps plein et je crains malheureusement que certains ne m’aient échappé. Je serais incapable de vous dire combien de messages j’ai reçu ; ce que je peux dire, c’est qu’aujourd’hui, plus de six mois après, je reçois toujours plusieurs messages par semaine. Ce sont des personnes qui ont souffert ou souffrent d’un burn out, ou d’une situation de harcèlement au sein de leur entreprise. Des personnes dont un proche connait ce type de situation et qui se sentent impuissante pour les aider.
Avez-vous eu des témoignages de personnes qui après la lecture de votre livre ont décidé de quitter leur travail comme un instinct de survie ou de réagir par toute autre manière ?
Certaines personnes ont fait lire « Le Cri du Corps » à leur mari ou à leurs proches, pour leur expliquer leur propre situation. Ils ne trouvaient ni la force, ni les mots ; ils ont réussi à briser leur tabou grâce à ce livre. Je vous assure que c’est incroyable de recevoir ce genre de témoignage. Ils me remercient mais c’est moi qui leur dit merci.
La plupart des lecteurs me contactent car ils ont trouvé dans mon histoire une similitude avec la leur. C’est assez triste et terrifiant de réaliser à quel point mon histoire est banale.
Je suis en contact avec une salariée qui a pris la décision de quitter son entreprise avant que les choses ne tournent vraiment mal pour elle. Je sais que Le cri du corps l’a aidé dans ce sens, mais le courage la force de le faire, son instinct de survie, tout cela vient d’elle. Elle se sauve seule. Bravo à tous ceux qui oublient leur culpabilité et leur honte pour sauver leur santé et leur vie.
Si vous aviez trois conseils à donner en quelques mots à des personnes qui se sentent harcelées dans leur travail, quels seraient-ils ?
Vous m’en demandez trois, mais je vous en donnerai quatre !
1. Tout d’abord, il ne faut pas rester seul : on peut trouver un soutien à l’intérieur de l’entreprise (manager, RH, CHSCT/CSE, médecin du travail quand c’est possible) et du soutien à l’extérieur (accompagnement psy – il existe des consultations de souffrance au travail répertoriées sur le site http://www.souffrance-et-travail.com/ de Marie Pezé – entourage familial / proches, inspection du travail, avocat)
2. Il est important de prévenir son employeur par écrit avec tous les éléments factuels. Ne pas hésiter à utiliser l’expression “Harcèlement moral” pour bénéficier de la protection contre les mesures de représailles issue du code du travail (“Nul ne peut être sanctionné pour avoir subi, refusé de subir ou témoigner d’agissements de harcèlement moral”)
3. Il ne faut surtout pas culpabiliser : les victimes se remettent souvent en cause (“c’est de ma faute”) ; elles recherchent des excuses au harceleur qui lui ne se remet jamais en cause.
4. Enfin si possible et surtout face à un harceleur de type pervers narcissique et quand l’entreprise ne réagit pas : fuir ! Ce n’est pas de la lâcheté. C’est une mesure de sauvegarde de sa propre santé.
Quels liens faites-vous entre le sujet de la souffrance au travail avec celui de la Qualité de Vie au Travail ?
La Qualité de vie au travail, c’est la prévention des risques psychosociaux, avant les mesures plus cosmétiques comme l’accès à une salle de sport, à une salle de lecture, ou à des massages (cela peut participer au bien-être des hommes et des femmes, mais en dehors des heures passées à travailler, sans lien avec leurs missions professionnelles. Elles ne préservent pas leur santé dans l’organisation du travail, dans le dispatch des tâches, ou dans les relations humaines et hiérarchiques)
La QVT ne peut pas éluder la question des RPS. D’ailleurs, l’accord national interprofessionnel sur la qualité de vie au travail inclut bien l’ensemble des facteurs de risques psychosociaux issus du Rapport Gollac.
La QVT et les RPS sont donc parfaitement liés.
Quelques mots de conclusion de ma part
Je souhaite que ce livre et toute l’activité d’Anne-Véronique Herter de promotion de son livre puisse avoir un effet positif transformateur à plusieurs titres :
- donner la force et le courage aux personnes en souffrance au travail afin qu’elles puissent chercher du soutien pour, dans un premier temps se mettre en réflexion, dans un deuxième temps en action pour modifier ce qui est à leur portée individuellement et collectivement ; si nécessaire pour amorcer un mouvement leur permettant de s’extirper de leur environnement délétère, y compris s’extraire immédiatement en cas d’urgence ; l’enjeu étant ce que j’ai mis en avant dans la série d’articles en début d’année : passer de l’impuissance solitaire à la puissance collective
- développer la culture de l’attention aux signaux de dégradation de la santé au travail pour soi-même et pour autrui ; il s’agit donc d’une culture à développer dans les organisations qui passe notamment par l’Attention Réciproque
- développer l’attention aux signaux d’alerte que peuvent nous signifier notre entourage familial, amical, professionnel, et qu’on aurait tendance à balayer d’un revers de main parce que “ça ira mieux demain »
- faire monter les niveaux de conscience individuelle et collective à propos du fait que nous ne devons pas accepter pour nous-mêmes et pour autrui des comportements non respectueux de l’individu avec les potentiels impacts négatifs sur leur santé physique, psychique et sociale ; cela sous-tend une capacité à cultiver dans les organisations : l’assertivité (affirmation de soi). C’est un sujet central sur lequel je reviendrai prochainement
- faire monter les niveaux de conscience individuelle et collective sur les sujets de la QVT, du bonheur au travail, du bien-être au travail, qui ne constituent pas une cerise sur le gâteau mais portent la vision d’une diminution drastique de la souffrance au travail ; ils ne sont donc pas à traiter comme des sujets secondaires ou à envisager comme des phénomènes de mode
- faire monter les niveaux de consciences individuelle et collective aux causes structurelles de la souffrance au travail ; c’est une de mes contributions à ce livre à travers une liste de 17 causes que j’expose
- faire monter les niveaux de conscience individuelles et collectives à la nécessité d’agir de manière combinée en 4 mouvements que j’ai explicité dans ce livre et dans l’article Faut-il être au fond du trou psychiquement pour espérer voir sa souffrance au travail reconnue ? sur le site d’actualités sociales miroirsocial.com
Un grand merci pour finir à Anne-Véronique Herter pour temps qu’elle nous a consacré pour cet interview et un geste de reconnaissance pour son témoignage courageux et utile pour notre société.