La QVT dans les urgences

Novéquilibres : interview de Claire Maillard-Acker
Nous aimons bien les paradoxes sur laqvt.fr et après avoir incité à sortir de l’urgence, en particulier à travers l’article Very Very urgent, nous sommes entré de plain-pied dans l’urgence, plus précisément aux urgences, en rencontrant Claire Maillard-Acker, cadre de santé aux urgences de l’Hôtel-Dieu.

Nous nous y sommes rendus, Sophie Courmont et Olivier Hoeffel, sur la pointe des pieds avec la petite appréhension de ne pas être confrontés à des situations traumatisantes.

Après quelques minutes d’attente dans la salle ainsi nommée, sans plaies à l’horizon, ni cris ni chuchotements, nous voici accueillis dans le bureau par Claire Maillard-Acker.

Claire Acker a été infirmière durant 5 ans, elle se forme ensuite à l’école des cadres et arrive dans les hôpitaux de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris (l’APHP). Elle travaille au service des grands brûlés à l’hôpital Cochin (1993) pendant 5 ans, puis choisit les urgences de l’hôpital (pendant 6 ans). Elle change pour les urgences de l’Hôtel-Dieu depuis 6 ans.

Le terme de Qualité de Vie au Travail (QVT pour les avertis) est-il consacré aux urgences de l’Hôtel Dieu ? Nous voilà donc lancés dans le vif du sujet de la QVT dès le début de notre entretien.

Claire Acker nous répond par la négative, considérant que le sujet le plus proche dans son esprit est celui des conditions de travail. Voici le distinguo qu’elle fait entre QVT et conditions de travail :

“Sur les conditions de travail, on part d’un état des lieux et on voit ce qu’on peut améliorer. Pour la QVT : on envisage ce qu’il faudrait faire pour être dans une bonne configuration… en prenant le sujet du travail en amont. La QVT étant un objectif.”

En terme de QVT personnelle, ses trois dimensions les plus en ligne avec ses attentes sont l’organisation, les relations de travail et l’épanouissement.

“Je suis tombé dans les urgences” nous confie-t-elle “et je ne peux plus m’en passer”.

Le service des urgences de l’Hôtel-Dieu est atypique dans la mesure où il cumule au rôle classique d’un service standard des urgences celui des urgences médico-judiciaires.

Ce sont 108 personnes paramédicales dans le service (infirmièr(e)s et aides-soignant(e)s), dont un cadre supérieur et trois cadres de santé (Claire Acker est l’un d’eux).
6 unités composent ce service, 2 pour les urgences “standard”, 3 pour les urgences médico-judiciaires et une dernière pour l’équipe du SMUR(1).

La communication, un véritable enjeu

Vous pensez bien que Sophie Courmont, notre spécialiste ès communication étant de l’expédition aux urgences, Claire Maillard-Acker est questionnée sur la communication interne dans le service.
Précisons que le personnel est mutualisé sur toutes les unités, ce qui impacte le mode de communication.
Il faut donc communiquer avec 104 personnes intervenant sur des unités mutualisées. 95 % tournent sur toutes les unités. 5 % sont des référents d’unités.

“C’est extrêmement compliqué de communiquer. Quand on donne une information, il y en a toujours un qui ne l’a pas eue”

constate Claire Maillard-Acker.
Cinq à dix minutes d’information sont consacrées à chaque rotation à l’accueil des urgences (3 rotations par jour). Entre eux, ils ne diffusent pas l’information délivrée. L’intranet et la messagerie électronique ont été utilisés pour transmettre les informations.

“Pour l’instant, nous n’avons pas trouvé le bon outil”

conclut Claire Acker.
Elle constate un comportement différent vis-à-vis de l’accès à l’information entre générations : au début de sa carrière, chaque fois qu’elle arrivait dans le service, elle allait systématiquement regarder les nouvelles informations.

Les nouvelles générations n’ont pas cette habitude. Elles ont besoin qu’on les stimule.

“Par exemple pour les formations, seuls viennent ceux à qui j’en ai personnellement parlé, et généralement quand je leur donne l’information de la formation ils ne sont pas au courant alors que l’information est affichée depuis 3 semaines”

nous dit Claire Maillard-Acker qui s’interroge sur cette forme de passivité alors que par ailleurs les personnels sont très investis dans leur travail.
La communication s’entend aussi en terme d’information des patients à l’accueil.

“A Cochin, nous avions conçu une brochure. L’expérience a montré que dès lors qu’un patient voit trois personnes être prises en charge avant lui alors qu’elles sont arrivées après lui, il va s’inquiéter auprès de l’infirmière de l’accueil qu’on ne l’a pas oublié. Ici, nous n’avons pas mis en place de dispositif d’information écrite. Par contre, les infirmières à l’accueil informent oralement les patients à leur arrivée”

nous explique Claire.
Les patients sont informés du processus mais il est impossible de leur donner une estimation du délai d’attente.
Tout a été fait en terme de communication dans les services des urgences, y compris des petits films, mais ça ne répond pas aux situations d’attente des personnes et à leur interrogation.

“La seule façon de gérer avec une personne qui piétine, n’est pas de lui dire qu’on a trop de boulot ou de faire un discours technique, mais de le recentrer sur ses émotions à lui. Il faut arrêter de s’adresser à son cerveau, il faut s’adresser à ses tripes”

nous dit en raccourci Claire Maillard-Acker.
Les infirmières ont du mal à le faire car elles sont freinées et frustrées par l’idée de ne pas avoir de réponse si on leur demande quel sera le temps d’attente à venir. Claire Maillard-Acker qui a été confrontée elle-même à l’autre côté de la barrière il y a quelques années, nous confie :

“Moi, c’est vraiment ce qui m’a manqué, qu’une infirmière vienne me voir et me demande si je n’en avais pas marre d’attendre. Les infirmières d’accueil ici ont du mal avec l’idée qu’elles n’ont que ça à dire aux gens.”

Certaines le font, et elles s’appuient sur leur pratique pour convaincre les autres des bienfaits de ce mode de communication avec les patients.

L’articulation vie professionnelle – vie privée, une vraie difficulté

Les horaires parlent déjà d’eux-mêmes sur le sujet de l’articulation vie professionnelle – vie privée : 3 équipes se succèdent sur 24 heures : le matin de 7h à 14h36, l’après-midi de14h à 21h36 et la nuit de 21h15 à 7h15.

Pour les deux premières rotations, les équipiers sont affectés la moitié du mois à l’équipe du matin et l’autre moitié à l’équipe de l’après-midi.
L’équipe de nuit est fixe par choix des équipiers. Dans d’autres services d’urgence, les volontaires n’étant pas suffisants, le roulement s’effectue sur les 3 rotations.
Par ailleurs, chacun travaille un week-end sur deux.
Étant donné que la plupart des personnes habitent hors de Paris, se rajoutent les durées de trajet.
On comprend dès lors en quoi ce métier est usant et difficile en particulier pour les mères de famille.

“Pour la sélection aux écoles d’infirmières, on pose beaucoup de question aux candidates et candidats pour vérifier qu’ils ont bien conscience de la difficulté des horaires”

nous explique Claire Acker car il faut que les infirmières puissent choisir leur métier en toute connaissance de cause.

Claire Acker gère les plannings à l’aide d’un logiciel. Elle essaye de prendre en compte les désidératas de personnes qui préfèrent soit le matin, soit l’après-midi, soit des spécificités du fait de garde alternée d’enfants.
Concernant son cas personnel, Claire Acker nous a dit quelques mots sur la difficulté de trouver une solution pour faire garder ses enfants quand on est cadre de santé avec des horaires extensibles.

“Pour les personnes seules ou avec un conjoint dans le même métier, c’est encore plus difficile”

ajoute-t-elle.
Pour les aides-soignants, ce sont les mêmes contraintes mais avec des niveaux de rémunération plus faibles.

Une vraie difficulté qui crée du turnover au niveau du service. Bon nombre des personnes viennent de province, et une des solutions pour mieux gérer la garde des enfants est de trouver un autre poste en province pour se rapprocher de la famille qui peut aider à cette garde. Il y a aussi l’épuisement dans un service particulièrement difficile, l’envie de voir ailleurs des jeunes générations (pas mal de départ à l’étranger ou dans des structures extra hospitalières).

Le management, une question d’importance

Interrogée sur sa façon de concevoir le management des équipes, Claire Acker nous confie s’être rendue compte dernièrement qu’elle utilise énormément le management par les valeurs.
La valeur qu’elle nous exprime en première intention est celle du sens :

“il faut toujours donner du sens à ce que l’on fait. Je n’agis pas de la même façon avec Madame X qui s’est tordu la cheville et avec Monsieur Y qui s’est aussi tordu la cheville”.

Elle amène régulièrement les infirmières dans leurs actes quotidiens à réfléchir au sens qu’elles donnent pour ne pas être enfermées dans des gestes techniques de routine.
Elle agit de la même façon dans le cadre de la formation, en particulier pour vérifier que les personnes sont au clair avec ce qu’elles viennent chercher aux urgences. Elle nous dit avec conviction :

“Moi, je réussis ma formation si je vois qu’ils partent avec autant de questions que de réponses”.

Une valeur implicite arrive au détour de notre entretien : celle de la confiance(2).

“C’est une valeur fondamentale qui ne peut s’entendre que dans les deux sens”

affirme Claire Acker.
Elle nous explique ensuite comment son expertise d’infirmière lui a permis de créer sa légitimité à son premier poste de cadre de santé. Elle se pose la question de construction de la confiance dès lors que le cadre de santé dans un service des urgences pourrait provenir d’un autre métier que celui d’infirmière.

Une autre valeur sur laquelle Claire Acker a beaucoup investi de son temps, y compris de son temps personnel : l’autonomie du métier d’infirmière, et en particulier celui du poste d’infirmier d’accueil et d’orientation, poste en totale autonomie. Elle nous précise :

“Je fais beaucoup de choses autour de ce poste. J’ai même écrit un livre ( L’infirmière d’accueil aux urgences : guide de tri” Editions Maloine) -. Je fais beaucoup de formations à Paris et en province sur ce sujet. Je suis à la société savante des urgences. C’est en particulier, ce qui me passionne. J’ai trouvé un poste infirmier qui me permet de montrer ce qu’est une infirmière quand elle ne travaille pas à l’ombre d’un médecin”.

Cet article est le fruit de la collaboration entre Olivier Hoeffel, Sophie Courmont et Emmanuelle Lewartowski

(1) SMUR : Service mobile d’urgence et de réanimation
(2) Deux de nos articles sur le sujet de la confiance : “Faites-moi confiance !” et “Un enrichissement mutuel vie professionnelle & vie privée

photo sous licence creative commons – auteur : Novéquilibres

2 réflexions sur “La QVT dans les urgences

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