QVT et santé : un équilibre juste à trouver
Evoquer la santé dans le monde du travail, y compris comme facteur de Qualité de Vie au Travail (QVT), et en particulier l’hygiène de vie des individus, n’est pas simple. D’autant plus quand elle appelle à investir des comportements en dehors de la sphère professionnelle. Alors, quel équilibre trouver pour s’engager dans une approche gagnant-gagnant et pour dépasser les visions dichotomiques, les excès et les caricatures ?
Répondre à des excès et à des dérives
Dans leur ouvrage Le Syndrome du bien-être, Carl Cederström et André Spicer, deux enseignants dans des business schools suédoises, dénoncent de manière virulente une dérive dans la façon dont la société et le monde du travail s’emparent des pratiques d’hygiène de vie et de bien-être.
Ils illustrent leur propos avec des exemples d’organisation développant des politiques incitatives en la matière, voire mêmes coercitives.
Selon eux, si à première vue on pourrait croire que les organisations encouragent les salariés à entretenir leur santé, en réalité l’objectif serait bel et bien de trouver de nouvelles marges de performance qu’il s’agirait dans certains cas de mesurer, piloter, contrôler à l’instar d’autres dimensions de la gestion de la rentabilité.
Si un certain nombre d’exemples cités montrent clairement une dérive inacceptable (par exemple sanctionner un salarié parce qu’il aurait de mauvaises analyses de sang au niveau du cholestérol ou de la graisse), attention à ne pas tomber dans le piège fort répandu du “tout ou rien”.
S’il y a dérive, il est bon de la dénoncer, mais sur laqvt.fr nous appelons à la vigilance face au raccourci facile qui remettrait en cause l’approche gagnant-gagnant d’une judicieuse articulation entre la responsabilité individuelle et les responsabilités collectives en matière de promotion de la santé. La culture de la prévention a nécessité et continue de nécessiter beaucoup d’efforts, en particulier en terme de communication intelligente, pour que tout un chacun puisse s’approprier pleinement l’attention à son capital santé. Ne nous précipitons surtout pas pour abandonner cette construction, voire la détruire à l’explosif.
Pourquoi est-ce “facile” ? Parce que beaucoup d’entre nous ont un côté enfant rebelle dans leur personnalité. Et l’enfant rebelle ne demande qu’à se saisir d’une opportunité laissant entendre qu’on se laisse dicter sa vie par les autres, et que c’est notre liberté de dormir peu, de boire de l’alcool à volonté (… jusqu’à un niveau où la volonté devient insaisissable), fumer, combiner sédentarité et malbouffe, …
Ne jouons pas à nous démotiver à prendre soin de nous-mêmes; on est bien là dans la facilité, à l’instar des blagues faciles au ras des pâquerettes. C’est drôle, il y a un côté disgressif sympathique, mais … c’est tout de même notre vie que l’on joue, et pas seulement notre espérance de vie. C’est aussi notre état de santé au quotidien du travail et dans les autres sphères de vie. C’est également impactant pour la qualité de nos relations interpersonnelles (notre humeur dépendant plus ou moins fortement de notre état de santé).
S’il s’agit incontestablement d’un enjeu lourd, pouvant naturellement prêté aux blagues dans le cadre de la liberté d’expression, pour autant, il n’y a aucune raison de l’aborder par un biais impératif, ennuyeux, culpabilisant, voire coercitif, punitif, …
Jouons plutôt à nous stimuler nous-mêmes et mutuellement à nous sentir bien dans notre peau, au sens physique, psychique et social. Jouons avec plaisir, légèreté et juste conscience.
Quelques idées pour aborder judicieusement QVT et santé
Nous vous proposons d’aborder la culture de notre capital santé comme facteur de QVT avec les idées suivantes bien en tête, dans une logique de bonne articulation entre responsabilité individuelle et responsabilités collectives :
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- Quand mon côté enfant rebelle m’incite à faire tout valser en matière de bonnes pratiques liées à ma santé, je l’écoute, je lui dis clairement que j’ai bien reconnu qu’il est en train de manifester son envie de prendre le contrôle, qu’il ne s’inquiète pas car je vais lui laisser une place. Mais il ne sera jamais le roi. C’est une responsabilité individuelle, mais dont l’efficacité peut-être améliorée par des actions de développement personnel, éventuellement en groupe
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- Ne pas assimiler “se faire plaisir” et “mauvais pour la santé”; on peut substituer une mauvaise habitude en terme d’hygiène de vie avec laquelle on prend du plaisir par une bonne habitude apportant autant de plaisir ou un plaisir différent; Tal Ben Shahar, évoque dans son livre L’apprentissage du bonheur la théorie du hamburger; il explique que l’on peut à la fois se faire plaisir et préserver sa santé (et donc sans préjudice pour l’avenir). En contreproposition au hamburger savoureux mais hypercalorique avec des graisses saturées, on peut trouver un hamburger plus équilibré et aussi savoureux. Sachant que notre tendance à la vision binaire nous donne l’image d’une contreproposition d’un hamburger plus équilibré, soit, mais insipide. Tal Ben Shahar nous ouvre les possibles avec 4 configurations autour deux axes (plaisir immédiat, impact à terme) : le hamburger savoureux hypercalorique, le hamburger insipide équilibré, le hamburger savoureux équilibré et le hamburger écœurant et hypercalorique; sachant que le dernier n’a vraiment aucun intérêt, mais …, pour autant, les mauvaises habitudes peuvent le mettre sur notre chemin. Il faut noter que des études ont montré un phénomène de contagion de l’obésité par proximité d’une part d’entourage ou voisinage de personnes en surpoids, et d’autre part de restaurants de type fastfood. C’est bien la juste conscience et les bonnes pratiques choisies et appréciées qui nous aident à ne pas être embarqué à l’insu de notre plein gré (1) dans la contagion. Je vous renvoie à l’article récent de Dominique Poisson sur la malbouffe et les automatismes.
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- Se stimuler mutuellement permet de mieux persévérer quand on veut adopter de bonnes pratiques; par exemple, faire une activité physique à plusieurs donne plus de chances de ne pas écouter la petite voix qui dit “j’ai la flemme” ou “je suis fatigué, je me verrai bien prendre racine dans le canapé”; pouvoir tour à tour être celui qui stimule ou celui qui est stimulé à pratiquer ensemble une activité physique dans la bonne humeur et la convivialité; avec un sentiment de fierté d’avoir franchi l’obstacle initial et de contentement dès lors qu’on se retrouve ensemble. Une autre façon de comprendre le “jouer collectif”.
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- Il ne s’agit pas non plus ni d’une course à la montre, ni d’une course à la perfection; l’objectif étant de se sentir bien, en acceptant les petits écarts qui ne modifient en rien la tendance de fond choisie, assumée et soutenue : celle de se sentir bien dans sa peau en visant le long terme, en se faisant aussi plaisir.
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- Quand on apprend à bien se connaître, on n’a pas besoin de mesurer à tout bout de champ; alors, attention aux dérives possibles avec les objets connectés qui peuvent nous asservir à nous-mêmes, à des objets, et/ou à d’autres s’ils devaient être imposés par le monde du travail ou par la société
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- Nos modes de vie conduisent à remplir nos journées de multiples activités, réduisant le sommeil à une variable d’ajustement. Considérer le sommeil comme une activité vitale, même si on est apparemment inactif, permet de le remettre à sa juste place. On peut aussi ménager de la place au sommeil entre les murs du travail et pendant les trajets. Je vous renvoie aux deux vidéos de l’INSV dans lesquelles Caroline Rome distille des conseils dans un format qu’on aimerait voir plus souvent sur les questions de gestion de la santé.
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- Voici un piège assez fréquent : assimiler “activités physiques” et “sport”, qui est quelques fois combiné avec le côté enfant rebelle “Foutez-moi la paix, j’ai horreur du sport”. Seulement, nul n’est obligé de faire du sport pour se bouger et faire du bien à son corps et à son esprit. Déjà, notons que certains métiers sont physiques et mettent en mouvement par essence. Pour les métiers plus sédentaires, il est possible de bouger dans l’enceinte de l’organisation (par exemple prendre l’escalier plutôt que l’ascenseur), bouger à l’occasion du trajet domicile-travail (A/R) (par exemple en faisant tout ou partie du trajet à pied, en vélo, en roller, …) et bouger dans ses activités de loisirs (bricolage, jardinage, …) au delà des activités sportives. Le sport comportant aussi des usages contre productifs sur le bien-être physique et/ou psychique quand il est pratiqué en surjouant les enjeux et/ou en dépassant les limites de ses capacités.
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- “J’ai eu une journée de ouf, au boulot, j’ai quand même le droit de me faire un peu plaisir”. Direction le canapé devant la télé avec un paquet de chips, du saucisson et un apéroooo. Et la soirée se poursuivra avec une pizza et se terminera en apothéose avec une tablette de chocolat et une sensation de vide malgré le plein d’images et de calories. Un vide mêlé d’écœurement, les papilles gustatives saturées. J’avoue que le trait sur le tableau est appuyé, mais telle est bien ancrée cette combinaison des caractères addictifs de la télé, du salé, du sucré, de l’alcool auquel on peut ajouter depuis quelques années le pouvoir magnétique des smartphones et autres tablettes utilisés en zapping multi dispositifs. Le droit au plaisir … bien compréhensible, humain, légitime et bénéfique pour autant qu’il ne conduise pas à des comportements addictifs néfastes à la santé quand ils sont répétés trop souvent. Tal Ben Shar, déjà cité dans le 2ème item, résume l’enjeu du bonheur par “du plaisir chargé de sens”. C’est bien la clairvoyance et la juste conscience qui nous font identifier quelle forme de plaisir est chargée de sens et celle qui ne l’est pas. (Re)trouvons notre capacité à démultiplier les plaisirs sur des champs très variés pour éviter ce piège redoutable : réduire le plaisir à la saturation de sucré, de salé, d’alcool, de télé, d’internet, de jeu, de substances chimiques, … L’autre piège étant de se mentir : revendiquer le droit à prendre son seul plaisir de la journée, alors qu’en réalité c’est la quête du plaisir permanent qui est sous-jacent. Bref, compenser n’est pas un bon plan, ni “con penser” (piège cognitif), ni “companser” (qui pourrait vouloir dire “soigner ses douleurs par des plaisirs addictifs et nuisibles à la santé”)
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- Inciter financièrement à des bonnes pratiques d’hygiène de vie, telle est la voie empruntée par quelques organisations. L’incitation pouvant basculer vers un mode coercitif : la non pratique et ou de mauvais chiffres sur l’état de santé pouvant être pénalisés financièrement. Ne nous trompons pas d’objectif : il s’agit de jouer gagnant-gagnant. La performance est un bénéfice collatéral, ce ne doit pas être l’objectif premier car cela ne crée pas le socle suffisant pour faire coopération sur le sujet. Vous trouveriez motivant qu’on vous propose de prendre soin de vous parce que ce serait bon pour les actionnaires de votre entreprise ? L’individu n’a pas besoin de bénéfice financier à prendre soin de sa santé : il en est le premier bénéficiaire en se sentant bien dans sa peau. Plusieurs études sur des champs diverses montrent qu’il est plus judicieux d’interpeller la motivation intrinsèque (j’ai plaisir et je suis convaincu que …) plutôt que de créer des motivations extrinsèques (je vais gagner de l’argent à …). Le rôle des organisations, des organismes de santé et de la société tout entière est bel et bien de promouvoir et de faciliter les bonnes pratiques; non pas de présenter une carotte et/ou de menacer du bâton.
- Sur le sujet de la santé, il faut sortir d’une logique binaire : pour une organisation, il ne s’agit pas de choisir entre d’une part contraindre les collaborateurs ou d’autre part refuser de se voir jouer un rôle en dehors de la sphère proprement dite du travail. Quand on interroge les salariés d’entreprises facilitant les bonnes pratiques d’hygiène de vie, ils sont nombreux à apprécier le rôle de l’entreprise et à ne pas comprendre en quoi il s’agirait d’une intrusion dans leur vie personnelle. Et ceci, à partir du moment où il s’agit bien d’une approche gagnant-gagnant, sans arrière pensées, respectant la liberté de chacune et chacun de participer ou non.
Investir de manière coopérative le sujet de la santé est un levier d’amélioration de santé publique, de qualité de vie et de QVT … et de performance qu’il serait dommage de ne pas actionner quand c’est possible; à envisager en fonction des capacités des organisations à investir plus ou moins ces champs. La capacité financière n’étant pas forcément la seule dimension à invoquer, car des activités collectives peuvent se monter sans forcément impacter financièrement les structures (par exemple : former un petit groupe pour aller courir ensemble pendant une partie de la pause déjeuner).
(1) dixit les Guignols de l’info dans la bouche de la marionnette de Richard Virenque, cycliste professionnel à l’époque où il a été égratigné par les auteurs de ce programme sur Canal +
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