Quand “sous-traitant” va de pair avec “SOUS traité” et “SOuS-traitant”
François Ruffin, député de la France Insoumise, s’est intéressé à la précarité du personnel de ménage de l’Assemblée nationale à l’occasion de son discours de défense de la proposition de loi du PCF contre la précarité des femmes. A cette occasion, je vous propose une série de 3 articles sur la Qualité de Vie au Travail (QVT) dans la sous-traitance. Après l’article d’introduction consacré à l’intervention de François Ruffin, ce premier article traite du risque plus élevé porté sur les conditions de travail dans la sous-traitance et du risque de surdité des donneurs d’ordre face aux alertes sur les conditions de travail pour les sous-traitants.
Quand “sous-traitant” va de pair avec “SOUS traité”
J’entends “sous traité” dans le sens “traité moins bien”.
La personne moins bien traitée
Un certain nombre d’organisations sous-traitent des activités à des entreprises dont les personnels sont moins bien traités que les salariés avaient pu l’être quand la fonction était internalisée. Il s’agit quelques fois non plus de moindre traitance, mais de maltraitance.
L’externalisation étant souvent motivée par une réduction des coûts (j’y reviendrai), cette réduction des coûts est obtenue en choisissant le moins-disant financièrement qui rime avec moins-disant en terme de conditions de travail. En réalité, la réduction des coûts est obtenue bien souvent en faisant travailler indirectement des personnes à des conditions de travail inférieures. Il faut appeler un chat un chat et ne pas s’arrêter aux arguments d’optimisation organisationnelle, de rationalisation, de recentrage sur le cœur du métier. Au niveau public, on valorise les actions visant à réduire la dépense publique, à sous-traiter au privé qui serait plus compétent pour le faire, … L’externalisation dictée par la recherche du moins-disant va dans le sens d’une dégradation des conditions de travail et de la QVT.
La Direction de l’Animation de la Recherche, des Etudes et Statistiques (DARES) a publié le rapport SOUS-TRAITANCE : des conditions de travail plus difficiles chez les preneurs d’ordre en Février 2011 (1). Il est basé sur l’enquête Changements organisationnels et informatisation réalisée sur la période 2006-2007.
Même si cette analyse et les chiffres de référence sont un peu ancien, on peut facilement envisager que les tendances mises en exergue dans ce rapport restent d’actualité, et même très probablement qu’elles se sont amplifiées. Quelles sont-elles ?
- Le travail de nuit est plus fréquent chez les sous-traitants (16% au lieu de 9% chez les donneurs d’ordre),
- Les salariés en sous-traitance ont un travail souvent plus prescrit et plus contrôlé,
- Les contraintes de rythme sont plus fortes; ils se déclarent plus souvent dans l’impossibilité de maintenir à la fois la qualité et des délais de production; ça influe évidemment sur la fierté du travail bien fait,
- les salariés, le plus souvent des ouvriers, manifestent d’avantage d’inquiétude sur les conséquences négatives pour leur sécurité et pour autrui (51% au lieu de 36% pour les donneurs d’ordre). Dans les faits, les accidents du travail sont plus fréquents.
- D’autres facteurs de risques psychosociaux sont aussi plus présents. En particulier, le sentiment d’insécurité socio-économique est plus fort.
- Le niveau de satisfaction au travail est un peu moins élevé, avec une diminution plus fréquente de l’implication. Les salariés des sous-traitant se considèrent nettement plus souvent mal ou très mal payés.
Le métier mal considéré
Au-delà de la motivation de réduction des coûts, on argue souvent qu’il s’agit de se recentrer sur le cœur du métier. Cet argument,devenu principal dans la communication interne et externe, cache un manque de considération pour le ou les métiers concernés. On externalise des tâches dont on est convaincu qu’elles ne nécessitent pas vraiment de savoir faire. Et quand on externalise dans cet état d’esprit, on comprend bien en quoi il y a un fort risque que la dimension financière devienne le seul paramètre pris en compte.
On imagine bien que la qualité du processus de décision et de mise en oeuvre d’une externalisation sera largement plus grande si toutes les parties prenantes considèrent qu’il s’agit d’un vrai savoir faire qui nécessite compétences, gestion des compétences et attention aux intervenants qui sont vus comme des vrais partenaires et non comme des exécutants des basses œuvres. Et plus ces œuvres seront jugées basses, plus elles deviendront invisibles et plus le donneur d’ordre fera l’autruche face à des signaux manifestes de mauvaises conditions de travail des personnels du sous-traitant.
Quand “sous-traitant” va de pair avec “SOuS-traitant”
Certains donneurs d’ordre restent sourds aux plaintes émises par des personnes travaillant pour leur(s) sous-traitant(s).
Je prends l’exemple de L’oeil du 20h du journal télévisé de 20h sur France 2 du 28 novembre 2017.
Un journaliste de cette équipe s’est fait embauché par un sous-traitant de La Poste comme livreur Collissimo.
Pendant une semaine, il aura travaillé sans contrat avec une rémunération à la tâche (40 centimes par colis livré), ce qui est interdit par la loi. Une cadence infernale de 153 colis à livrer par jour, 6 jours sur 7.
Au bout de quelques jours, on lui annonce qu’il ne sera pas payé puisqu’il est considéré être en formation. Il cherche à joindre en vain à plusieurs reprises le patron de la société sous-traitante .
Il finit par s’en plaindre à un cadre de la Poste qui lui fait la réponse suivante :
Vous, vous travaillez pour un prestataire de la Poste donc en fait votre patron c’est pas moi, moi je suis votre client. Votre paye, ça ne me concerne pas !
A noter que les deux syndicats Sud-PTT et CGT de La Poste en Ile-de-France ont porté plainte chacun de leur côté pour prêt illicite de main d’oeuvre et marchandage. Les médias s’en sont fait largement écho en novembre 2017. 75% des colis livrés par La Poste en Ile-de-France le seraient par des sous-traitants, avec un pourcentage de 100% pour les quartier difficiles de la région parisienne.
Les SOS peuvent prendre diverses formes telle que la grève avec une forte médiatisation. C’est par exemple ce que des personnels de ménage en sous-traitance à l’ Holiday Inn de Clichy ont activé; salariés de l’entreprise Héméria, ils ont fini par obtenir l’égalité de traitement avec les salariés de l’hôtel.
Le 2ème article de cette série est consacré à une prise de conscience de l’impact de la réduction des coûts sur la performance globale et sur les conditions de travail chez le donneur d’ordre.
Retrouvez une liste de ressources dans l’article d’introduction.
(1) Les auteurs sont Elisabeth Algava et Selma Amira
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