Les grèves : l’ambivalence de la QVT
Certains font grève pour défendre leur Qualité de Vie au Travail (QVT), tout en perturbant la QVT des autres. Qu’en est-il de cette ambivalence ou de ces ambivalences ?
Ambivalence de la définition
A l’origine, faire grève consistait à attendre Place de Grève (maintenant Place de l’Hôtel de Ville à Paris) du travail. Les bateaux accostant en bord de Seine le long de la grève il y avait besoin de bras pour charger ou décharger les cargaisons.
Faire grève signifiait donc se réunir à un même endroit pour trouver du travail.
Depuis le 27 octobre 1946, le droit de grève est un droit fondamental des salariés du secteur public ou privé, ayant une valeur constitutionnelle, qui autorise la cessation du travail en vue d’appuyer des revendications.
Faire grève signifie donc se réunir à un même endroit pour arrêter le travail.
Ambivalence pour les grévistes
Il y a une dimension négative dans le sens que celui ou celle qui fait grève ne travaille pas volontairement, c’est de l’inactivité par rétention du travail : l’impact est négatif sur son revenu puisque toute grève implique une baisse de salaire, et cet article est une opportunité de mettre en évidence que le juste revenu constitue une des dimensions de la QVT. L’impact est négatif aussi pour le revenu de l’organisation, pour les clients/usagers, et le tout peut augmenter les risques de perte du travail.
Il y a une dimension positive car faire la grève, c’est agir pour satisfaire des revendications en vue de la reprise du travail : aller dans le sens d’améliorer SA QVT, et agir collectivement pour améliorer LA QVT. C’est coopérer, faire corps pour changer ce qui ne convient pas à l’ensemble.
Ambivalence pour celles et ceux qui subissent les effets de la grève
La situation peut-être vécue tout ou partie positivement si la victime directe ou collatérale a le sentiment d’être solidaire. Elle met du sens dans l’action de grève et pense que cela peut aboutir à l’émergence de solutions. C’est aussi défendre le droit de grève et par conséquent respecter le fait que quelqu’un la fasse. Ce peut être aussi qu’au-delà de l’amélioration des conditions de travail, des impacts positifs sont aussi attendus pour la “victime“ à court, moyen ou long terme. Il peut s’agir aussi non pas d’une amélioration mais d’une préservation (d’un service, d’une qualité de service, …).
La situation peut-être vécue tout ou partie négativement par la personne qui subit la grève pour plusieurs raisons : l’impact est négatif sur sa vie au travail (ex : détérioration des conditions de trajets, risque d’être pénalisé pour un retard, …), sur ses dépenses (ex : obligation de prendre sa voiture engageant des frais supplémentaires). S’en suit un sentiment de colère et d’injustice lié au fait que faire grève empêche d’autres salariés de travailler, avec en contre-point du droit de grève le principe “la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres”.
L’ambivalence est loin d’être une généralité car une partie des personnes qui subissent les aléas de la grève a une position négative très tranchée sur la grève : c’est insupportable et injustifié. Direction et syndicats jouant à travers leur communication auprès des parties prenantes perturbées : les premiers pour favoriser les opinions tranchées négatives et les seconds pour tirer l’ambivalence vers le côté positif.
Les bienfaits de l’Attention Réciproque
Nous constatons souvent une réaction “réflexe” face aux grèves, et plus généralement face aux plaintes émises par une catégorie professionnelle ou par les salariés d’une organisation. En quoi consiste cette réaction “réflexe” ? Moi, individu exposé à ces plaintes ou aux conséquences de la grève sur ma propre QVT, j’ai tendance à considérer que ces plaintes ne sont pas justifiées … en m’appuyant sur la comparaison entre les avantages (indécents ?) des personnes en question par rapport aux difficultés que je rencontre moi-même dans mon travail.
Remarquez bien cette comparaison très particulière qui consiste à comparer les côtés négatifs de mes conditions de travail par rapport aux côtés positifs des conditions de travail d’autrui. C’est une comparaison biaisée, car la comparaison rationnelle et juste serait de comparer les aspects positifs et négatifs de chaque côté.
L’analyse que nous avons faites sur laqvt.fr des ravages sur les relations, la performance et la QVT de cette comparaison biaisée “facile” (car souvent alimentée par des stéréotypes) nous a conduit à proposer en 2017 l’idée d’Attention Réciproque pour essayer de mieux se comprendre mutuellement, de mieux se porter intérêt et prendre soin mutuellement et de mieux coopérer, à la fois au niveau individuel et collectif.
Les bienfaits de l’Attention Réciproque ne se mesurent pas seulement en terme de justesse et de justice des réactions face à la grève et aux plaintes d’autrui. Ils se mesurent aussi en terme de prévention de la grève et de tout mouvement symptomatique d’un déficit d’intérêt porté aux conditions de travail et aux individus : se porter attention réciproquement par rapport aux trois dimensions – ta réalité, ta perception de ta réalité et tes aspirations – entre individus et entre parties prenantes est une excellente manière de prévenir les conflits et les risques psychosociaux. C’est aussi tout simplement un levier pour améliorer la qualité des relations, l’efficacité et la QVT.
L’Attention Réciproque évite aussi le piège dans lequel il est si facile de tomber : celui du “OU”. En considérant que le grève et/ou les plaintes ne sont pas justifiées, l’idée sous-jacente et quelques fois exprimée est la suivante : ce sont mes conditions de travail auxquelles il faudrait s’intéresser pas aux tiennes. Alors qu’en réalité, on peut porter intérêt et attention à la fois aux miennes et aux tiennes. En deux mots, il s’agit de troquer le “OU” par le “ET”.
La meilleure façon de ne pas être confronté aux effets négatifs ou ambivalents de la grève, qu’on soit acteur, victime ou spectateur (*), c’est de se saisir individuellement et collectivement de manière délibérée, déterminée et motivée du sujet de la Qualité de Vie au Travail, dans un esprit gagnant-gagnant et centré sur le bien-être de l’individu qui doit être au cœur de toutes les organisations.
(*) Il n’y a pas que les grévistes et les personnes exposées aux conséquences d’une grève qui sont amenés à réagir : il y a la presse, les bénéficiaires de la presse, les personnes qui sont informées de la grève par le bouche à oreille. Chacun ayant un jugement très arrêté ou ambivalent sur la grève.
Article collectif du comité éditorial : Caroline Rome, Dominique Poisson, Olivier Hoeffel