De l’impuissance solitaire à la puissance coopérative – Partie 1

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Le sentiment d’impuissance dans la sphère du travail d’un individu est dévastateur pour sa santé physique, psychique et sociale. Elle pèse négativement aussi sur la performance de l’organisation qui l’emploie et en terme de santé publique. Améliorer la Qualité de Vie au Travail pose comme enjeu de (re)créer le sentiment de puissance, dans le sens : se sentir à sa place, efficace, à la fois dans une attitude de coopération et d’autodétermination. Cette première partie est consacrée à quelques concepts liés à l’impuissance.

L’Inhibition de l’action, impuissance apprise et théorie du manque d’espoir ou de désespoir

Le neurophysiologiste français Henri Laborit a conçu la théorie de l’inhibition de l’action. Il est notamment l’auteur en 1980 d’un ouvrage centré sur ce concept “L’inhibition de l’Action, biologie comportementale et de physio-pathologie »
Dans le film d’Alain Resnais “Mon oncle d’Amérique », il joue son propre rôle et explique les expériences qu’il a mené avec des rats pour aboutir à cette théorie.
Voici ci-dessous une vidéo compilant des extraits du film relatifs à ces expériences.

En quelques mots, voici les 3 expériences qu’il a mené avec les rats :

  • Dans la première, un rat est placé dans une boite à deux compartiments séparés par une porte. Une petit décharge électrique est envoyée alternativement sur le plancher de chaque compartiment après l’envoi d’un signal sonore. Le rat apprend bien vite que prévenu par le signal sonore, il peut éviter la décharge en se déplaçant d’un compartiment à l’autre. Il est soumis à cette expérience pendant 10 minutes par jour, 8 jours consécutivement. Son état de santé n’est aucunement affecté
  • Dans la seconde expérience, la porte de communication est fermée. Il ne peut se soustraire aux décharges électriques. Il comprend assez rapidement que toute action est vaine, et il tombe dans l’inhibition de l’action, se soumettant passif aux décharges électriques. Dans les mêmes conditions de durée, et à l’issue de l’expérience, son état de santé s’est sérieusement dégradé : une chute de poids importante, une hypertension artérielle qui perdure pendant plusieurs semaines et de multiples lésions ulcéreuses à l’estomac. Dans le film, Henri Laborit explique que l’être humain dans l’inhibition de l’action connaît angoisse et mal-être, voit ses défenses immunitaires amoindries face aux microbes, aux cellules cancéreuses ; autres conséquences : les maladies psychosomatiques (ulcère de l’estomac, hypertension artérielle, fatigue, insomnies, …)
  • Dans la dernière expérience, deux rats sont placés dans un des deux compartiments, la porte de communication étant fermée comme précédemment. Ils ne peuvent donc pas non plus se soustraire à la décharge électrique. Ce qui provoque une réaction d’agressivité mutuelle et ils se mettent à se battre. A l’issue de l’expérience, hormis les morsures et griffures, leur état de santé n’est pas affectée comme pour la 1ère expérience

En ressort de ces expériences : 2 stratégies préservent la santé, la fuite ou la réaction agressive (1), et une a un impact négatif majeur sur la santé, l’inhibition de l’action.
A noter que la deuxième expérience qui porte sur l’inhibition de l’action, a été complétée par une autre expérience qui a consisté à désactiver les fonctions de mémorisation de l’événement de la décharge électrique. Les conclusions sont forts intéressantes : si l’événement traumatisant ne peut pas être mémorisé par le rat, sa santé ne se trouve pas affectée. Ce sont bien les conséquences de l’assimilation de l’impuissance dans la mémoire et la répétition des événements qui provoque les dégâts à la santé.

L’impuissance apprise

Martin Seligman, psychologue américain, avant qu’il devienne un des fondateurs de la psychologie positive, a conçu en 1975 le concept d’impuissance apprise (ou acquise). Lui, il s’en est pris à des chiens et non des rats, mais avec les mêmes punitions : des décharges électriques. Ses expériences explorent un autre volet de l’inhibition à l’action : que se passe-t-il si on redonne aux sujets qui se trouvent dans l’inhibition de l’action la possibilité d’éviter les décharges. Pour rester sur les expériences d’Henri Laborit, c’est l’équivalent dans la deuxième expérience d’ouvrir la porte de communication après plusieurs répétitions de porte close. D’après les observations de Martin Seligman, malgré la “porte de sortie” qui leur est ouverte, les sujets ne la franchissent pas. Ils ne considèrent plus les opportunités, mêmes celles qui leur tend les bras. L’espoir d’échapper à la punition n’est plus.

Martin Seligman définit 3 conséquences de l’impuissance apprise :

  • difficulté croissante à faire le lien entre l’action et les conséquences : face à une situation de difficulté ou un enjeu, le sujet commence à agir pour atteindre l’objectif. Sans résultat (voire pire, s’il juge l’action contre productive), il s’interroge sur l’utilité de son action
  • baisse de la motivation à agir : puisque son action semble ne pas fonctionner, il baisse les bras
  • augmentation du sentiment de déprime

Nous ouvrons une parenthèse pour expliquer une des raisons de la promotion de l’idée de QVT des chercheurs d’emploi que nous faisons périodiquement sur laqvt.fr. En effet, le cheminement d’un chercheur d’emploi dans le contexte économique difficile que nous vivons depuis plusieurs années peut être regardé à travers ces 3 conséquences : au début de sa recherche, il est très actif. Mais comme beaucoup d’organisations ne peuvent ou ne veulent plus se donner les moyens de répondre aux candidats à leurs offres d’emplois, il reçoit très peu de feedbacks de ces actions et peu à peu le risque est de tomber dans l’inhibition de l’action et dans l’impuissance apprise. Des politiques et une partie de la population jettent l’opprobre sur les chercheurs d’emploi qui se tourneraient les pouces et abuseraient du système. En réalité, si certains personnes au chômage ne font plus rien ou plus grand chose pour chercher un emploi, ce n’est pas parce qu’elles sont des profiteuses, mais parce qu’elles sont dans une forme de désespoir qui les paralyse.

La théorie du manque d’espoir ou de désespoir

Un prolongement du concept d’impuissance apprise a été conçu par Abramson, Metalsky et Alloy en 1989 avec la théorie de manque d’espoir ou de désespoir qui met en évidence que l’impuissance est d’autant plus forte qu’elle est :

  • personnelle (moi je n’y arrive pas, mais les autres oui) ; elle est moins grave si la personne considère que d’autres sont dans la même impuissance
  • permanente (ça a toujours été comme ça et ça ne pourra pas changer) ; l’impuissance est moins grave si la personne la considère comme temporaire
  • globale (c’est le cas pour tous les domaines, par exemple parce que je ne me sens pas assez intelligent(e)) ; l’impuissance est moins grave si la personne la considère limitée à un domaine particulier

A noter qu’à l’inverse, face à un événements positif, la personne dans l’impuissance aura tendance à le minimiser en jugeant :

  • que le mérite ne lui revient pas à elle
  • que c’est exceptionnellement positif
  • que c’est le seul domaine préservé

Il est intéressant de faire le lien avec le sujet de la confiance en soi. On voit bien en quoi la confiance en soi peut rapidement disparaître et qu’il est beaucoup plus compliqué de la résinstaurer puisque les événements qui pourraient alimentés sa restauration sont minimisés.

Martin Seligman s’est ensuite saisi de ce prolongement pour caractériser les traits de l’optimisme et du pessimisme ; les caractéristiques du pessimisme reprenant celles du manque d’espoir ou du désespoir.
Il les a présentées dans son livre “La force de l’optimisme » Un tableau synthétique est donné ci-dessous :

Le tourbillon dangereux de l’impuissance

Le neurologue Rick Hanson auteur de “Le cerveau de Bouddha » et “Le cerveau du bonheur » explique en quoi le cerveau agit avec les expériences négatives comme une bande Velcro et avec les expériences positives comme du Teflon®.
Il faut peu de répétitions d’une expérience négative pour qu’elle soit enregistrée dans la mémoire implicite et qu’elle conduise à l’inhibition de l’action. Notre cerveau reptilien est aux commandes en mode automatique et mémorise toutes les situations censées nous mettre en danger, tant au niveau physique que psychique.

Charisse Nixon, professeur de psychologie à la Penn State Behrend dans la vidéo ci-dessous montre que l’impuissance apprise peut être induite facilement et de manière redoutable dans notre quotidien :

Nous avons évoqué de nombreuses fois l’importance des émotions positives et les impacts des émotions négatives dans la vie au travail, à la fois en terme de santé et d’efficacité. A travers cette vidéo, il y a matière à la prise de conscience de la facilité à la mise en échec, y compris sur des actions ne nécessitant que peu de ressources intellectuelles.

La deuxième partie de cet article est consacrée à l’impuissance solitaire.

Le volet “puissance coopérative” est présenté dans la troisième partie.

 

(1) en notant que la réaction agressive préserve la santé même si elle ne permet pas d’éliminer la cause de la souffrance et si elle ne soustrait pas à l’événement délétère répétitif

5 réflexions sur “De l’impuissance solitaire à la puissance coopérative – Partie 1

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