QVT et manque de temps
L’amélioration de la QVT (Qualité de Vie au Travail) comme beaucoup d’autres sujets qui pourraient à la fois contribuer au bien-être des individus et à la performance des organisations se heurte à une difficulté souvent formalisée par “ce serait bien … mais on n’a pas le temps”. Alors je vous propose de prendre le temps de nous arrêter sur cette question de temps qui impacte non seulement le déploiement de la QVT mais se retrouve au coeur du stress au travail pour beaucoup d’entre nous, au travail … mais aussi, bien au-delà.
Cet article vous est proposé à l’occasion du lancement de notre toute nouvelle initiative lancée le 16 décembre 2013 : Le temps sur la table
La question du temps balayée d’un geste du bras
J’ai participé récemment à une rencontre sur un sujet connexe à la QVT : la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises). Ont été présentés les résultats d’une enquête interrogeant les dirigeants sur la question de la RSE et en particulier les freins à la mise en oeuvre d’actions allant dans ce sens. Le premier frein évoqué est celui du manque de temps (le deuxième étant le manque de budget).
J’ai été frappé par la réaction de deux intervenants qui ont balayé cet argument, probablement dans l’idée que mettre en place des actions dans le champs de la RSE ne prenait pas forcément beaucoup de temps et que ça pouvait aussi en faire gagner.
Même si ne je peux qu’être en accord avec cette idée, il n’empêche qu’il faut savoir écouter et prendre en compte ce message. Loin de considérer que cet argument est un prétexte, il faut collectivement bien comprendre que nombre de dirigeants, de décideurs et d’autres fonctions dans les organisations sont à la limite de l’asphyxie dans leur quotidien au travail.
Pensée personnelle
Sortir de l’attribution du manque de temps à la seule responsabilité individuelle
Evidemment, la tentation est grande face à quelqu’un qui exprime un manque de temps de le renvoyer à sa responsabilité individuelle.
Et en voici quelques formulations plus ou moins culpabilisantes :
- “il faudrait peut-être que tu t’organises autrement”
- “tu te débrouilles mal; moi à ta place, je …”
- “si votre agenda est à l’image du bordel sur votre bureau …”
- “je vous rappelle que vous êtes cadre ! Forcément si vous quittez le bureau à 18h …”
Seulement, quand on est un certain nombre de personnes dans une organisation à se trouver dans la même situation, on peut naturellement se demander s’il ne faut pas dépasser cette responsabilité individuelle (qu’il est naturel aussi d’interroger, car mon propos n’est pas de nier ce niveau essentiel).
Alors, interrogeons la responsabilité collective.
Sortir du fatalisme
Or, quand on fait le constat que la question du manque de temps est généralisée, si ce n’est au niveau de l’organisation, au moins au niveau de l’équipe, de la fonction, du service, … encore faut-il être capable collectivement de sortir du constat partagé devant la machine à café et de sortir aussi d’une forme de fatalisme.
Et c’est une vraie difficulté car le manque de temps est quelques fois vécu comme un rouleau compresseur et on ne voit rien qui pourrait le ralentir ni l’arrêter.
La question du temps devenant une interrogation sous la forme : “je vais pouvoir tenir combien de temps à ce rythme ?”
A partir du moment où il devient manifeste que le manque de temps n’est pas propre à soi, il est temps de se saisir des mécanismes collectifs pour prendre conscience du phénomène et d’essayer d’y faire face collectivement. Et ceci à tous les niveaux :
- les membres d’une équipe avec le manager,
- les responsables de service avec le comité de direction,
- les membres d’un comité de direction entre eux.
Et puis il y a aussi le rôle que peut jouer la représentation du personnel et en particulier le CHSCT pour les conditions de travail.
Quels sont les enjeux ?
Il y a deux enjeux, à l’instar de la QVT :
- préserver et favoriser le bien-être psychique de l’individu. Concernant le manque de temps, et particulièrement quand l’individu est engagé dans son travail, l’enjeu est bel et bien de préserver de l’épuisement professionnel (burnout)
- préserver et améliorer la performance de l’organisation; car le manque de temps fait prendre des risques sur la qualité du travail et impacte la qualité des relations interpersonnelles en interne et avec les acteurs externes à l’entreprise
Concernant, l’enjeu individuel, je voudrais insister sur une question chère à Yves Clot (titulaire de la chaire de la psychologie du travail au CNAM). Le manque de temps amène bien souvent un individu au travail à considérer qu’il ne peut pas bien faire son travail. Le sentiment de ne pas bien faire son travail ou de ne pas avoir terminé la liste des tâches à la fin de la journée de travail (quand elle a une fin) peut créer de l’agitation mentale qui poursuit l’individu au-delà des murs du travail, peut avoir un impact sur son sommeil et donc sur sa qualité de vie en général, bien au-delà de sa QVT.
Les impacts dépassent donc l’individu au travail et le collectif de travail, et cela à plusieurs niveaux :
- le manque de temps tout à la fois déborde sur la vie personnelle et concerne aussi la vie personnelle. En fait, d’un côté le manque de temps au travail peut pousser l’individu à surinvestir la sphère professionnelle au détriment des autres sphères, dont la sphère familiale avec un impact sur les relations familiales (quantitativement et qualitativement). D’un autre côté, les exigences de la vie en général font que par ailleurs l’accélération du temps et le manque de temps se ressentent aussi dans les autres sphères de vie, au-delà de l’impact du manque de temps au travail
- la manque de temps se propage aux parties prenantes externes des organisations : fournisseurs, clients, usagers, …
- les institutions et les personnalités publiques sont confrontées à cette même question : nous avons tous été témoins de manifestations où les personnalités publiques sont très en retard, voire se désistent parce qu’elles ont soit à gérer des urgences ou des événements simultanés. Je renvoie aussi à l’article que j’ai publié sur le site miroirsocial.com intitulé La QVT à l’Assemblée nationale
Gestion des urgences et ajustements des moyens aux objectifs
Ce dernier point constituant une transition avec un sujet connexe pouvant être considéré comme une cause : les urgences. Nous vivons dans une société où presque tout est considéré comme une urgence; et on peut clairement relier la question de l’urgence avec le manque de temps.
Mais, de mon point de vue, il faut se garder d’assimiler le manque de temps à l’urgence généralisée.
Il s’agit aussi d’éclairer la question de l’ajustement des moyens aux objectifs, qu’ils soient collectifs ou individuels.
Cela renvoie à l’expression “il faut avoir les moyens de ses ambitions“.
Je suis frappé par le nombre de fois où j’ai été témoin (et quelques fois acteur moi-même) de ce mauvais ajustement à la fois dans la vie professionnelle et dans la vie personnelle.
Que peut-on y faire ?
- augmenter les moyens pour atteindre les ambitions, mais c’est là souvent que le bât blesse; on se heurte à des marges de manoeuvre qui ne font que se réduire en la matière, provoquant un sentiment d’impuissance
- réduire les ambitions; et pour ce faire, dès lors qu’il s’agit d’un enjeu collectif, il faut que cette décision soit collective pour ne pas la faire reposer sur les individus qui dans les faits réduisent chacun à leur manière – ou pas – les ambitions alors que le discours officiel reste le niveau d’ambition affiché et irréaliste
Et pour cela … il faut prendre le temps de s’entendre sur les objectifs et de régulièrement observer s’ils sont toujours opérants.
Il faut savoir entendre dans l’expression du manque de temps un signal d’alerte.
Ce signal d’alerte est allumé pour beaucoup d’individus au travail, en dehors du travail, au niveau des organisations, qu’elles soient privées ou publiques, dans les ONG, … au niveau de la société.
A nous de voir ces signaux d’alerte et de les traiter aux différentes niveaux qu’il convient.
Et s’il faut bien considérer une vraie difficulté : pour agir sur la question du manque de temps, il nous faut trouver du temps !
Néanmoins, il est vraiment plus que temps de se saisir du sujet du manque de temps, cela individuellement et collectivement, à tous les niveaux de la société.
Et ce que ce nous promouvons à travers l’initiative Le temps sur la table.
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photo sous licence creative commons – auteur : Michael Kuhn
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