La diversité en pensée et en actes

Novéquilibres : La diversité en pensée et en actes
Paradoxalement, le terme de diversité renferme souvent l’ouverture qu’il est censé évoquer. Dans les organisations, sont gérées sous ce vocable des catégories de personnes pour qui l’accessibilité au travail est rendue difficile du fait de la vision plus ou moins avouée que l’on a de leur handicap, de leur origine sociale, de leur âge, etc. Cette gestion collective n’est pas inutile puisqu’elle permet de respecter des droits fondamentaux d’égalité de traitement, et de répondre à des besoins objectifs parfois complexes. Pour autant, la meilleure posture contre l’exclusion, au travail comme ailleurs, c’est la prise en compte de la singularité de chacun. Karim Kara, comptable et récemment élu au CHSCT de la SNCF Paris Nord témoigne de la sienne.

Ajustements

Certains propos sont compréhensibles dans toutes les langues. Karim Kara entre dans la salle de réunion, on se dit bonjour dans nos langues respectives, moi en français, lui en LSF (Langue des Signes Française). Puis, j’entends la voix de l’interprète avec qui je parlais juste avant. Karim signe avec l’interprète, elle parle en le regardant. Mais je réalise soudain que c’est à moi que la parole de l’interprète s’adresse : c’est Karim qui me parle, bien sûr ! L’interprète vient se mettre à côté de moi, nous sommes face à lui avec Elise Adeux, membre du Pôle Relations Sociales et également du CHSCT qui a permis cette rencontre.

Karim Kara est sourd. Il travaille depuis plus de vingt ans à la SNCF. A sa demande, je lui précise l’objet de cette rencontre : témoigner de l’inclusion d’un Sourd comme pratique congruente pour une instance typiquement dédiée à la qualité de vie au travail.

De l’initiative à l’organisation

Il y a six mois, Paterne Copol, un collègue du même syndicat que Karim est venu lui proposer de remplacer une élue démissionnaire au CHSCT. Très humble par rapport à cette nouvelle fonction, il compte bien améliorer l’intégration des Sourds au sein de son collectif de travail.

Des aménagements ont tout de suite été réfléchis et mis en oeuvre dans la tenue des réunions CHSCT lors desquelles la communication est rendue possible grâce à un interprète en LSF présent ou à distance via la plateforme Tadeo. Un stage d’apprentissage de LSF a été organisé à l’attention des six membres du CHSCT. Les participants ont pu constater l’intérêt immédiat d’une telle initiation pour entrer rapidement en communication avec des Sourds, commencer à appréhender leur culture et favoriser ainsi un échange plus égalitaire.

des efforts de tous, qui profitent à tous

En effet, Karim Kara évoque la barrière qui existe entre les Entendants et les Sourds, et les efforts souvent unilatéraux que ces derniers doivent accomplir pour comprendre les premiers. S’il est très heureux que des aides à la communication aient été effectivement mises en place au CHSCT, il ressent parfois encore un décalage. Par exemple lorsque la réunion s’anime, que les échanges s’emballent, que les visages se retournent, les propos lui deviennent inaccessibles car le travail de l’interprète est difficile voire impossible, d’autant moins s’il n’est présent que derrière l’écran de la plateforme. C’est d’ailleurs aussi la qualité de vie au travail des interprètes qui est impactée. Elise Adeux observe quant à elle la tournure plus ordonnée des réunions et souligne la réduction sensible du fait de se couper la parole par exemple, un réflexe naturel même dans ce cadre plutôt constructif du CHSCT. Elle apprécie également de pouvoir échanger avec Karim grâce à l’interprète, et évoque la vigilance du secrétaire qui suspend immédiatement la réunion en cas de dysfonctionnement de la plateforme pour le régler et que chacun puisse être un participant à part entière. Par ailleurs, une adaptation est nécessaire du côté des Entendants qui ne sont pas tous à l’aise avec le fait de parler fort dans le micro pour que la traduction puisse se faire dans de bonnes conditions.

QVT et Reconnaissance des Sourds

Karim Kara compte poursuivre le travail de sensibilisation et d’actions diverses déjà entamé par un élu de Lyon en faveur de l’autonomie des salariés sourds à la SNCF.

En matière de sécurité, des choses très simples – et indispensables – sont à mettre en place comme des alarmes incendies lumineuses flashantes qui diffusent largement pour atteindre le champ de vision où que soit la personne sourde. C’est une loi européenne sur laquelle la France est très en retard.

Une sensibilisation notamment au management de proximité est indispensable

  • pour améliorer le respect des mesures et des comportements nécessaires à une réelle intégration des Sourds dans le collectif de travail notamment en matière de sécurité
  • mais aussi pour éviter des maladresses [involontairement] blessantes, le statut d’handicapé très imprécis portant à confusion et étant souvent assimilé au déplacement en fauteuil roulant ou à la déficience mentale.

Karim témoigne par exemple de la bienveillance maladroite d’un accompagnement inutilement rapproché dont il avait bénéficié lors d’un exercice d’alarme incendie; de la possibilité qu’il a désormais d’ouvrir à des visiteurs depuis que la sonnerie de la porte d’entrée à côté de laquelle se situe son bureau est couplée avec une alarme lumineuse; de son incapacité à répondre à une sollicitation malgré tout ce que permettent les nouvelles technologies si elles sont dépourvues d’un système d’alarme lumineuse adéquat.

Les signes de Karim sont dynamiques, amples mais précis, et… sonores : la poitrine, les bras, les paumes, les doigts s’entrechoquent. L’interprète, qui ne le connaît pas, le fait répéter de temps en temps et je comprends à sa propre diction que Karim a un débit de parole très rapide.

— Moi : c’est très physique la LSF !
— Karim : Je suis très dynamique et très motivé, très impliqué pour la communauté sourde. Je suis heureux d’être au CHSCT pour que les choses évoluent dans l’entreprise.

De l’intégration d’un handicap au respect d’une culture

Mais l’émotion de Karim est devenue palpable à l’évocation de la condition des Sourds, son attachement à sa culture : il évoque la frénésie oraliste et l’interdiction de l’usage de la LSF en 1880 alors qu’elle a permis aux Sourds une réelle accession au monde comme le langage oral pour les Entendants, contrairement aux implants cochléaires à propos desquels subsistent une réelle controverse voire une franche hostilité dans le monde des Sourds(*).

Le but c’est l’égalité, à l’école, au travail. Pour les Sourds, seule la communication pose problème. Et nous avons des droits : nous pouvons nous appuyer sur la loi de 2005(**) :

Celle-ci reconnaît officiellement la LSF. La Langue des Signes Française est une langue à part entière. Tout élève concerné doit pouvoir recevoir un enseignement de la langue des signes française. Le Conseil supérieur de l’éducation veille à favoriser son enseignement. Elle peut être choisie comme épreuve optionnelle aux examens et concours, y compris ceux de la formation professionnelle. En France, il y a environ 300 interprètes en LSF. Les pays scandinaves en ont environ 2000 de plus que nous, nous sommes très en retard ! Les associations déplorent le manque de professionnels formés, du fait du manque d’information sur le métier d’interprète LSF, et aussi du coût des études.

En ce qui concerne la participation et la citoyenneté, la loi apporte des précisions en matière de communication devant les juridictions administratives, civiles et pénales.

La loi réaffirme également le principe d’accessibilité pour tous, quel que soit le handicap : les communes et les services de communication publique doivent être rendus accessibles. Les critères d’accessibilité et les délais de mise en conformité y sont redéfinis : les établissements existants recevant du public et les transports collectifs ont dix ans pour se mettre en conformité avec la loi.

Les Sourds doivent encore retrousser leurs manches !

 

Intégration et coopération

Comment vivre et travailler ensemble sans se comprendre ? Comment se comprendre sans dialoguer ?Comment se reconnaître sans se connaître ? La sensibilisation et la compréhension est nécessaire à tous les niveaux (sociétal, organisationnel, collectif, individuel) et chaque pas est à saluer, encourager, imiter, multiplier…
J’espère que cet article profitera à la propagation d’une meilleure connaissance et une meilleure inclusion de cette partie de la population. Merci à Karim Kara et à Elise Adeux de témoigner de leur expérience au sein du CHSCT de SNCF Paris-Nord, à Marie-Paule Maury, présidente du CHSCT et aussi à Caroline Rome pour son entremise.

(*) Je vous recommande vivement la lecture du livre d’Emmanuel Laborit “Le cri de la mouette” qui complètera votre compréhension de la culture Sourde et dont je ne tire que cette citation : “Je ne suis pas handicapée, je suis sourde. J’ai ma langue, ma culture, la langue des signes, la culture des Sourds !”

(**) loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées

photo sous licence creative commons – auteur : Novéquilibres

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