QVT et Bonheur au Travail, même défi ?

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Sur laqvt.fr, on parle de Qualité de Vie au Travail (QVT). Jusque là, nous nous comprenons. Sur laqvt.fr, on parle aussi de bonheur et de bonheur au travail. Là, pour celles et ceux qui ne sont pas de fidèles lectrices ou lecteurs, vous avez peut-être levé un sourcil. A l’occasion du documentaire Le bonheur au travail diffusé le 24 février 2015, essayons de situer le Bonheur au Travail, par rapport à la QVT, et en lien avec le concept d’ “Entreprise libérée”.

Depuis quelques mois deux sujets reviennent souvent dans l’actualité du monde du travail :
la Qualité de Vie au Travail (QVT) et le Bonheur au Travail (BT).
Il y a bien aussi le bien-être au travail, le mieux-être au travail, le bien-vivre au travail, … mais la QVT et le BT émergent nettement.

La Qualité de Vie au Travail est consacrée depuis que les partenaires sociaux ont choisi cette appellation dans le cadre des négociations menées à partir de 2012; négociations qui ont abouti à l’Accord National Interprofessionnel vers une politique d’amélioration de la QVT et de l’Egalité Professionnelle.
Un sujet d’une brûlante actualité puisque la Fonction Publique a décliné son propre accord en la matière, avec de nouvelles potentielles avancées pour la QVT.
Potentielles, dans la mesure où il s’agirait que l’accord puisse être décliné réellement sur le terrain. L’autre réserve, la plus immédiate : la CGT, FO et Solidaires représentant plus de la moitié des effectifs ayant refusé de signer cet accord, il ne pourra entrer en vigueur. Les syndicats avaient jusqu’au 20 février dernier pour se positionner. Au vu de la situation, le Ministère de la Fonction Publique a voulu donner une nouvelle chance à cet accord en prolongeant le délai de réflexion jusqu’en septembre 2015.

Le Bonheur au Travail émerge suite à une floraison d’innovations sociales au sein d’organisations qui ne revendiquaient pas forcément cette appellation au départ. Elle est née aussi de l’aspiration de citoyens à développer leur bonheur, dans toutes les sphères de leur vie, incluant la sphère professionnelle.
Il y a quelques années, le terme “bonheur” créait largement des réactions urticantes, sceptiques et/ou défensives, en particulier au niveau du travail, renvoyant au monde des bisounours. Aujourd’hui le BT commence à être pris au sérieux du fait de la médiatisation d’initiatives qui ont démontré la viabilité de modèles revendiquant directement ou indirectement cette aspiration individuelle et collective.
Les enseignements de la Psychologie Positive (appelée également la science du bonheur) ont par ailleurs donné matière pour inspirer et accompagner le changement.

Depuis 2012, nous mettons en lien ces deux notions sur laqvt.fr. Nous nous positionnons différemment des partenaires sociaux et de l’Anact qui ont déclaré fortement à l’occasion de la signature de l’ANI sur la QVT et l’Egalité Professionnelle, que l’objectif de la QVT n’était certainement pas de chercher à assurer le bonheur des individus au travail. Ils s’en sont d’ailleurs trouvé rassurés par le sondage réalisé à l’occasion de la semaine de la QVT en 2013, montrant que les salariés interrogés associaient la QVT au plaisir au travail seulement à 15%, et au bonheur seulement à 5%.
Les salariés sont des personnes réalistes et pragmatiques, nous sommes sauvés !

Seulement, comme je le soulignais en conclusion de la synthèse de cet événement que j’ai réalisée pour laqvt.fr le 20 juin 2013 : “Le bonheur au travail n’est pas pour nous un idéal, mais bel et bien quelque chose qui se construit, se travaille et peut se vivre au quotidien du travail et qui, à l’instar de la QVT, est gagnant-gagnant ».
L’occasion de la diffusion sur Arte du documentaire “Le bonheur au travail” de Martin Meissonnier, me permet donc de ré enfoncer le clou sur l’intérêt de placer l’amélioration de la QVT en voisinage, cousinage ou perspective du bonheur au travail.

Faut-il voir dans le BT un modèle ou une perspective qui serait à l’ambition plus exigeante, à un niveau de changement de paradigme beaucoup plus important que pour la QVT ?

Au vue du documentaire de Martin Meissonnier, que nous vous engageons fortement à visionner, les organisations sous les feux des projecteurs ont en effet bousculé à la fois les états d’esprit et les comportements. Et de ce point de vue, sans faire non plus des cas présentés dans ce film une norme pour accéder au bonheur au travail, les organisations en question adoptent un paradigme très différent de la tendance du monde du travail depuis quelques années. En quoi différent ces organisations de cette tendance ?

  • Elles placent l’humain au centre de l’organisation (Vs l’être humain considéré comme ressource interchangeable et variable d’ajustement du système).
  • La hiérarchie est soit réduite au strict minimum (voire abandonnée), soit débarrassée de ses épuisantes missions de contrôle et de reporting (Vs l’omniprésence du contrôle des horaires et du résultat du travail).
  • Les fonctions non productives sont réduites à celles qui sont vraiment utiles pour soutenir la production et les individus (Vs des empilements de fonctions pour tout contrôler et s’épuiser à réduire les coûts).
  • La règle de base : la confiance (Vs construire un système de défiance sous prétexte qu’une partie infime des individus ne jouerait pas le jeu).
  • Co construire la nouvelle organisation en partant de la base et coopérer au quotidien (Vs organisation conseillée par des cabinets de consultants et imposée aux différents niveaux de hiérarchie)
  • Création d’unités à taille humaine, y compris dans les grands groupes.
  • Favoriser l’émergence de nouvelles idées (nouveaux produits, nouveaux modes opératoires) et les valoriser .
  • Pratique d’une approche gagnant-gagnant (Vs compétition, égoïsme, jeu de gagne terrain).
  • Le dirigeant s’assure d’être exemplaire, cohérent et transparent sur les chiffres et ses motivations.
  • La cohérence entre les valeurs internes, les valeurs externes; effectivité des valeurs (Vs affichage de valeurs qui ne sont pas déclinées au quotidien).
  • Développement de l’autonomie (Vs infantiliser les individus et/ou les asservir à des process).
  • Développement de la reconnaissance (Vs une attente très forte en terme de reconnaissance qui ne vient pas suffisamment).
  • Développement de l’bienveillance et de la attention réciproque (Vs lutte des classes où chacun va focaliser sur les avantages des autres).
  • Développement de la liberté de parole et du langage de la vérité (Vs l’omerta, la peur ou le fatalisme).
  • Développement du plaisir au travail (du fun )
  • Partage équitable des fruits du travail (Vs une répartition inéquitable entre actionnaires/travailleurs et entre fonctions dans l’organisation)
  • Mise en mouvement de l’ascenseur social (Vs immobilisme et déficit de perspective d’évolution pour les personnes peu qualifiées).

Ces changements se sont-ils faits sans heurts ? Non. Voici quelques raisons évoquées dans ce documentaire :

  • Pour reprendre le dernier item de la liste précédente, le mouvement de l’ascenseur social n’est pas forcément perçu comme ascendant pour tout le monde : certains managers ont du mal à s’adapter à un modèle où ils voient la remise en cause de leur fonction comme une dégradation, une perte de pouvoir, une perte de signes extérieurs de ce pouvoir. Dans certains cas, ils arrivent à se projeter dans le nouveau modèle. Sinon, ils quittent l’organisation.
  • Tout le monde n’est pas forcément demandeur en première intention d’autonomie et de responsabilité ; obéir à un ordre peut avoir un côté rassurant ; mais il ne s’agit loin s’en faut de la majorité.
  • Les syndicats peuvent réagir différemment au mouvement ; si pour la plupart des organisations éclairées dans ce documentaire, il n’y a pas eu de difficultés en terme de dialogue social, il faut remarquer un contre exemple : Pierre Goossens, délégué syndical à l’administration belge de la mobilité et des transports, évoque un ensemble de réserves. D’abord parce que les IRP n’ont pas été mis dans la boucle. Il considère également le changement comme la mise en oeuvre d’une nouvelle idéologie, celle de la responsabilité en terme de résultats, alors que le monde du travail était plutôt centré sur une obligation de moyens ; on passe ainsi de l’obligation à respecter des horaires à celle de respecter des objectifs, quel que soit le nombre d’heures passées pour les atteindre. Il voit ainsi le risque de faire exploser le droit du travail en matière de durée légale de travail.
    Ce risque est illustré d’ailleurs par les propos de deux salariés indiquant à la fois qu’elles se sentent bien dans leur travail, mais qu’elles n’hésitent pas à répondre à des emails à des heures avancées de la nuit. Ce qui éclaire de mon point de vue le juste équilibre à trouver entre la responsabilité individuelle et la responsabilité collective pour que la flexibilité et la liberté offertes aux individus ne les mènent pas à des comportements de surengagement, qui seraient contre-productifs en matière de bonheur. S’éclater au bureau, OUI, mais terminer en burnout, NON.

Il faut ajouter à cela que le changement peut se mettre en place de manière diffuse et cachée à l’autorité de tutelle. C’est le cas pour l’administration de la Sécurité Sociale en Belgique où le Ministre a été mis devant le fait accompli une fois que le changement a eu lieu et qu’il a fait ses preuves.

On oppose souvent aux organisations qui s’intéresseraient au bien-être des individus au travail qu’elles peuvent se le permettre parce ce qu’elles sont riches. Une réponse est donnée par Jaron Lanier, chercheur en informatique et philosophe américain, spécialiste des entreprises de la silicon valley : en réalité, ces riches entreprises qui font des efforts pour séduire et garder des profils rares investissent des services de proximités, mais ne vont pas sur le terrain du contenu du travail.

Le modèle de l’organisation favorisant le bonheur au travail n’est décidément pas celui des Google, Facebook, Microsoft, ou autres entreprises fortement capitalisées avec des dirigeants multimilliardaires. Pour une bonne partie des organisations présentées dans ce documentaire, il s’agit en réalité de changements qui ont été mis en oeuvre alors qu’elles étaient en position difficile et donc avec des marges financières étroites.

L’Entreprise libérée, concept porté par Isaac Getz, interviewé dans le documentaire, a inspiré plusieurs des organisations qui ont témoigné. Isaac Getz a tenu à préciser son point de vue dans un article sur lemonde.fr du 24 février 2015 intitulé Dans l’entreprise, la liberté n’est pas l’autonomie.
Il développe deux idées pour éviter les confusions :

  1. Ce n’est pas parce qu’une organisation donne de l’autonomie qu’elle est pour autant libérée (ce n’est pas une conditions suffisante) : une autonomie accordée par une autorité peut bien vite être reprise, car celle ou celui qui a donné l’autonomie garde la main. Dans une organisation libérée, le pouvoir est détenu par le collectif, les salariés, sachant que celui qui a en réalité le plus la main, c’est bien le client. J’en profite pour prolonger cette idée : d’où l’intérêt d’associer les clients pour aller au bout de ce mouvement de libération.
  2. Par ailleurs, Isaac Getz veut déboulonner cette idée reçue selon laquelle la liberté au travail serait synonyme d’anarchie. Les quelques organisations présentées dans ce documentaire sont une belle démonstration par la pratique qu’il n’en est rien et qu’elles arrivent à la fois à améliorer le bonheur des individus et à être performantes.

Si la QVT semble être un concept plus accessible pour les organisations dans le sens où il représente un saut d’innovation social moins grand, il me semble que le Bonheur au Travail mérite bel et bien d’être examiné par toutes formes d’organisations, le modèle d’Entreprise libérée étant une voie. Mais attention au risque d’assimilation entre Bonheur au Travail et Entreprise libérée !

Plus de bonheur au Travail, c’est aussi une meilleure QVT. Et réciproquement, améliorer la QVT impacte positivement le bonheur des individus au travail. En reprenant la définition de Tal Ben Shahar, professeur de Psychologie Positive à Harvard “Le bonheur, c’est du plaisir chargé de sens”.

Si Qualité de Vie au Travail et Bonheur au Travail ne représentent pas tout à fait le même défi, par contre, il y a incontestablement des points communs pour mener le défi :

  • Dépasser le scepticisme, le fatalisme, les oppositions de celles et ceux qui pensent perdre quelque chose (en particulier le pouvoir – hiérarchie et IRP).
  • Se donner le droit à l’erreur et à l’expérimentation.
  • Se donner les moyens de laisser les egos aux vestiaires et de jouer plus collectif.
  • On apprend de ce qu’on vit : il faut concrétiser le plus rapidement possible des changements, que ce soit à petite ou grande échelle.
  • Apprécier et valoriser tous les bénéfices.
  • Cultiver les émotions positives.
  • Dépasser la peur de certains mots ou expressions : “qualité de vie”, “bien-être”, “bonheur”, “plaisir”, “amour”, et ne pas renvoyer trop rapidement au qualificatif d’oxymore quand on veut les associer au mot “travail”.

Terminons justement par le mot “Amour” qui se dégage de ce documentaire :

  • j’aime mon travail,
  • j’aime le résultat de mon travail,
  • j’aime la façon dont j’ai obtenu mon travail,
  • j’aime travailler avec mes collègues,
  • j’aime satisfaire les clients,
  • j’aime ma boite.

Illustration : “Le bonheur au travail” documentaire sur Arte diffusé le 24 février 2015

Olivier Hoeffel

Responsable éditorial de laqvt.fr Auteur des blogs lesverbesdubonheur.fr et autourdelabienveillance.fr

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