Un questionnement juridique qui amène au besoin de mettre la QVT en perspective
L’Anact (Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail) vient de publier sur son site un article faisant référence à un entretien avec Pierre-Yves Verkindt, professeur des universités à la Sorbonne (Paris 1) constituant un des articles du numéro 4 de La revue des conditions de travail (Mai 2016). Il est interrogé par Béatrice Sarazin et Thierry Rousseau, chargés de mission à l’Anact. Cet article est intitulé “La construction d’un accord QVT est au moins aussi important que l’accord lui-même”. Je rapporte ici quelques idées fortes de cet entretien en les mettant en perspective avec ce que nous promouvons sur laqvt.fr depuis 2011.
Dans cet entretien, Pierre-Yves Verkindt (PYV) exprime deux convictions fortes :
- l’ANI vers une politique d’amélioration de la QVT et de l’Egalité Professionnelle du 19 juin 2013 fera sans doute référence un jour ou l’autre et participera à la modification du droit du travail;
- les CHSCT ont un rôle central pour le déploiement de la QVT dans les organisations
La QVT comme objet juridique
PYV annonce clairement les choses en début d’entretien : “la QVT n’est pas d’abord une notion juridique ».
Rappelons que ce sont les partenaires sociaux qui se sont saisis du terme “Qualité de Vie au Travail” en 2012 avec le soutien méthodologique de l’Anact. Leur coopération a donné lieu à l’élaboration de l’ANI sur la QVT.
L’intention des partenaires sociaux n’était pas de fixer un cadre contraignant, des règles et des droits qu’il s’agirait d’appliquer sous peine d’être poursuivi. PYV est d’ailleurs questionné sur le côté non contraignant de l’ANI QVT; quand on lui demande si cette absence de portée normative serait un avantage ou un inconvénient, il répond que l’accord a un potentiel dynamisant, mais ouvre la porte à des dérives possibles vers des démarches purement cosmétiques.
Je profite de cela pour vous proposer de remettre les choses en perspective et d’alerter sur les risques d’une vision dichotomique : pour nous sur laqvt.fr et pour l’équipe Novéquilibres, actrice sur le terrain de l’amélioration de la QVT, il n’y a pas lieu d’opposer ce qui touche au cœur du travail (et qui constitue l’essentiel de ce que couvre l’ANI QVT) et ce qu’on pourrait appeler la périphérie du travail (tous les dispositifs pour faciliter la vie du travail – conciergerie – salle de sport – crèche – activités cultivant le bien-être des salariés).
De notre point de vue, il n’y a pas à dissocier les deux, ni à hiérarchiser les actions “nobles” qui seraient au cœur du travail et les actions “cosmétiques”.
Cette vision large de la QVT est à mettre en parallèle avec celle tout aussi large de la santé portée et transcrite en 1946 par l’OMS dans cette définition inspirante et tellement pertinente :
La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité.
Donc pour la QVT, il s’agit non seulement d’éviter les RPS, le stress, le burnout – les employeurs ayant une obligation de résultats (pour le moment) de préserver la santé et la sécurité des salariés – mais d’assurer l’état complet de bien-être physique, mental et social en transposant la définition de l’OMS au monde du travail.
Autrement dit, pour nous, l’ambition du concept de QVT n’est pas d’éviter que les individus se sentent mal au travail, mais bien d’agir ensemble pour que les individus s’y sentent bien, ce qui a un impact positif sur l’efficacité individuelle et collective. Et c’est bien dans ce sens que nous voyons le lien entre le bien-être et la performance, en un cercle vertueux. Le sentiment d’efficacité apporte du bien-être et constitue une condition favorable à l’expression de la reconnaissance. L’efficacité trouve là le potentiel de créer du bien-être pour soi et pour autrui.
Voici la façon dont nous définissons la promotion de la QVT :
La promotion de la QVT s’inscrit dans une perspective positive et appréciative de la vie au travail qui vise,
non pas à prévenir et à dépister les RPS,
mais à cultiver le bien-être physique, psychologique et social associé à la performance durable individuelle et collective
dans une approche bienveillante, participative et gagnant-gagnant.
Cette culture amenant à considérer à la fois le cœur du travail et sa périphérie. Le travail devant s’adapter à l’individu et à son bien-être et non le contraire. Ce travail d’adaptation étant du ressort de l’individu et des collectifs.
A terme les juges pourraient être amenés à puiser dans l’ANI QVT matière à pouvoir sanctionner les manquements d’employeurs sur leurs obligations. C’est une possibilité qu’entrevoit PYV à la lumière de ce qui s’est joué avec les conditions de travail et la RSE (je vous engage à lire l’article qui explique ces mécanismes).
Mais PYV revient vite à l’intention première de l’ANI : constituer une invitation et un guide à l’action d’amélioration de la QVT, avec la vigilance de concevoir la démarche dans un cadre large incluant les parties prenantes externes. Je rappelle sur le sujet que l’ANI sur la QVT envisage la QVT comme faisant partie d’un ensemble plus vaste : la RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises).
La QVT doit même se placer dans une perspective plus large que l’ANI sur la QVT (qui s’intéresse “uniquement” à la QVT des salariés du privé) : sur laqvt.fr, nous promouvons l’idée de “La QVT pour toutes et pour tous”, prenant en compte aussi les statuts non salariés dans les entreprises (y compris les dirigeants), le secteur public (avec un projet d’accord-cadre sur la QVT actuellement dans une impasse), le secteur associatif (y compris les bénévoles), les travailleurs indépendants, les personnes privées de travail, …
Pour résumer, il s’agit d’une vision plus panoramique de la QVT, par extension de la cible concernée à toutes et tous, et en la concevant à la fois au cœur et à la périphérie du travail, y compris à sa grande périphérie (les comportements dans les autres sphères de vie qui impactent la vie au travail).
Le rôle central des CHSCT en matière de QVT
PYV est un grand défenseur du CHSCT (Comité Hygiène Sécurité et Conditions de Travail). Si cette instance n’est pas impliquée dans l’amélioration de la QVT, toute stratégie QVT lui paraît “vouée à une fonction cosmétique ». Par ailleurs, il considère que le CHSCT a son mot à dire sur tous les items de la QVT [de l’ANI QVT]. Ce qui suppose que ses membres aient reçu la formation adéquate. Il appelle à ce que les formations proposées aux CHSCT, qui lui semblent actuellement “très orientées sur le mandat et l’environnement réglementaire », développent les compétences en matière d’analyse de la QVT.
Sur laqvt.fr, nous promouvons régulièrement la juste articulation entre la responsabilité individuelle et les responsabilités collectives. Le CHSCT (quand il existe dans l’organisation) est bien entendu un acteur important dans cette articulation. S’il joue un rôle central, cela ne signifie pas qu’il doit être à l’origine de toutes les actions en matière d’amélioration de la QVT et de leur coordination. Par exemple, certaines actions peuvent toucher à la culture de la convivialité et le CHSCT n’est pas concerné.
Nous continuons de promouvoir sur laqvt.fr une Qualité de Vie au Travail totale, propulsée par l’ANI sur la QVT du 19 juin 2013, renforcée et protégée par la loi et vécue par chacune et chacun dans la coopération, y compris avec les parties prenantes externes, pour le bien-être durable et l’efficacité de toutes et de tous..
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