Cultiver l’Altruisme, la Bienveillance et la Compassion au travail

Novéquilibres : Altruisme et QVT

Suite à ma lecture du livre de Matthieu Ricard “Plaidoyer pour l’altruisme” et à mon premier article intitulé Altruisme, Bienveillance, Compassion (ABC) et QVT, consacré aux bienfaits et aux freins à l’altruisme, la bienveillance et la compassion, ce second article aborde comment les cultiver au travail.


Je vous propose de manière non exhaustive quelques dispositifs et modalités constituant des occasions de cultiver l’altruisme, la bienveillance et la compassion dans le monde du travail.
Il ne s’agit pas ici de présenter des actions d’apprentissage ou de formation spécifiques, mais des actions qui stimulent et développent nos capacités en la matière, selon le principe cher à Claire Héber-Suffrin, fondatrice des Réseaux d’Echanges Réciproques de Savoirs (RERS) “On apprend ce qu’on vit ». Vivre l’ABC, crée un cercle vertueux.

Préparer la coopération

Contrairement à ce que certains pourraient penser, la coopération ne se décrète pas. Elle s’apprend, se découvre, se construit, se développe et se cultive.
Pour coopérer efficacement et durablement à un projet commun, il est essentiel de prendre du recul initialement :

  1. pour s’interroger soi-même sur ses propres motivations, prendre conscience des enjeux, être au clair avec ce que l’on peut y gagner et ce que l’on peut y perdre, pas forcément en terme de résultat, mais aussi en manière de travailler. Par exemple, la coopération permet de bénéficier de l’intelligence collective, mais elle peut aussi entraîner des délais de latence du fait des interactions avec les autres participants (par rapport à un projet sur lequel on travaille tout seul). Il s’agit également d’expliquer aux autres participants le résultat de ce travail d’introspection pour assurer le maximum de transparence. Ceci constitue la transition avec le deuxième point,
  2. pour s’intéresser aux autres et les comprendre à travers les mêmes interrogations que pour soi-même.

Cette deuxième action favorise l’empathie et le cas échéant la compassion dès lors qu’un (des) participant(s) exprimerait une difficulté à l’entrée en coopération. Cette compassion peut donner lieu à un acte altruiste : soulager des doutes ou lever un obstacle qui mettrait l’autre (d’autres) sur la touche . Il ne s’agit pas de forcer les choses et d’intégrer coûte que coûte tous les participants à la coopération, mais le fait de préparer la coopération dans la bienveillance favorise une attitude d’ouverture et d’intégration.

Ecouter et aider à entrer en coopération.

Sans préparation, le risque est de faire coopérer certaines personnes qui pour des raisons diverses risquent de se mettre en situation d’échec et éventuellement de mettre à mal la vie du groupe et de ses résultats. Une des conséquences étant la sortie de la coopération (démission ou exclusion) plus défavorable à la QVT qu’une absence d’entrée.

 

Vis ma vie au travail

En septembre 2012, nous avions salué dans l’article La 9ème semaine de la QVT du 18 au 26/10 pointe son nez l’initiative du réseau Anact-Aract de promouvoir à l’occasion de la semaine de la QVT de 2012 un nouveau dispositif intitulé Vis mon travail.
Pendant une journée, les entreprises souhaitant adopter ce dispositif organisent un échange de poste entre salariés qui bénéficient ensuite d’un moment pour exprimer leur ressenti et envisager des actions pour mieux travailler ensemble.

Que cela soit dans le cadre du dispositif du réseau Anact-Aract (reconduit pour la prochaine semaine de la QVT du 15 au 19 juin 2015) ou dans un autre contexte, “vis ma vie au travail” permet de prendre de la distance par rapport aux nombreux stéréotypes véhiculés, de manière globale sur les métiers, et de manière plus particulière dans l’organisation entre les différents services. Ces stéréotypes ayant d’autant plus la peau dure qu’un esprit de compétition ou de défiance règne entre les services (cf la partie “Des freins à l’ABC au travail” dans mon précédent article).

En vivant ton travail, j’appréhende mieux ta QVT.

Prendre conscience de la réalité du travail des autres, et en particulier des difficultés qu’elles peuvent rencontrer cultive l’empathie, la compassion et promet une plus grande bienveillance dans les futures interactions. Par ailleurs, on accordera plus facilement le droit à l’erreur à une personne dont on connaîtra mieux les conditions de travail et avec qui on aura pu créer un début de proximité (cette proximité pouvant être amenée elleaussi à se développer).

Un tel dispositif permet de développer l’Attention Réciproque (AR) (1).

 

Promouvoir et valoriser les actes gratuits d’apprentissage mutuel

En juin 2014, nous avons publié sur laqvt.fr l’article Le RERS de La Poste, un dispositif très QVT faisant suite à notre rencontre, Céline Bou Séjean et moi-même, avec Maryannick Van Den Abeele, Responsable des projets et expérimentations QVT au sein de la Direction de la Qualité de Vie au Travail du Groupe La Poste. Elle a déployé la seule déclinaison en entreprise du Réseau d’Echanges Réciproques de Savoirs (RERS) (2).

Soutenu par Jean-Paul Bailly, le PDG de La Poste de l’époque, le dispositif permet aux managers et encadrants opérationnels de la Direction Courrier de La Poste de jouer tour à tour le rôle d’apprenant et d’enseignant dans un échange de savoirs entre deux personnes. Il s’agit de réciprocité ouverte : Anne apprend un savoir à Bernard; Bernard aura ensuite l’occasion d’apprendre à Catherine un autre savoir. Zoé quelques temps plus tard pourra apporter son savoir à Anne sur encore un autre sujet. L’apprenant ne doit rien à l’enseignant. Les échanges sont gratuits, sans hiérarchisation des savoirs.

Donner et recevoir des savoirs, gratuitement et dans la gratitude.

Un tel dispositif favorise l’altruisme étendu dans la mesure où une bonne partie des échanges se fait entre personnes qui ne se connaissent pas forcément et dont la mise en relation est facilitée par l’utilisation d’un site internet dédié et l’animation de bourses d’échanges. Autrement dit, il ne s’agit pas d’ici d’aider un collègue que j’aime bien, ou un collaborateur de mon équipe qui a besoin d’un conseil. On cultive à travers ce dispositif un transfert de savoir gratuit à quelqu’un qui en a besoin.

 

Promouvoir et faire vivre la bienveillance

En septembre 2011, Psychologies Magazine et le réseau Entrepreneurs d’avenir se sont associés afin de lancer un appel pour la bienveillance au travail (3). 300 entreprises avaient signé cet appel en novembre 2011.

Des entreprises ont développé leur propre charte en la matière, en particulier dans les EHPAD, où la bienveillance s’entend dans le sens de “bientraitance” des résidents.

Signer la bienveillance, c’est une promesse. La pratiquer, c’est la respecter, se respecter et respecter autrui.

Que ce soit une charte sur la bienveillance ou tout autre intitulé de charte dans laquelle l’idée de bienveillance est promue, l’essentiel est bien entendu de traduire cette intention en actes au quotidien et de se donner les moyens de rappels bienveillants (forcément) à la charte pour faire vivre effectivement la bienveillance, progresser individuellement et collectivement dans ce sens, à la fois en interne, mais aussi avec les clients/usagers, les fournisseurs et les partenaires.

 

Le Codéveloppement professionnel

Dans l’article du 3 juillet 2012 Le groupe de codéveloppement professionnel au service de la QVT, Anne Chonik Tardivel évoquait les bienfaits du dispositif de codéveloppement professionnel sur la QVT.

Le codéveloppement professionnel (Codev) est un dispositif structuré d’échanges qui amène un groupe de pairs – dirigeants, managers ou collègues – à se comprendre, à s’apprendre mutuellement et à s’entraider. Je vous invite à lire l’article en référence pour plus de précisions.

Le Codev, QVT par essence.

Le Codev permet de cultiver l’ABC à plusieurs niveaux :

  • par essence, c’est un dispositif où l’on entraide; même si tout donneur (consultant) devient à un moment donné bénéficiaire (client), on n’est pas dans une logique de donnant-donnant.
    S’il ne s’agit pas d’altruisme étendu puisque peu à peu se crée une relation de proximité entre membres du groupe, c’est tout de même une forme d’altruisme qui est cultivée.
    Il faut alors porter attention à ce que l’altruisme ne se joue pas uniquement en mode exclusif à travers ce dispositif (“je m’occupe déjà des autres, je participe à un groupe de Codev”) ;
  • une des valeurs cultivées et clairement affichée dans le cadre du Codev est la bienveillance ;
  • en tant que processus structuré, les membres sont mis tour à tour en position d’écoute et d’expression, que ce soit au niveau du client ou des consultants pendant une séance. Empathie et compassion se développent séance après séance.

 

Aider les aidants

Comment ne pas finir cette liste par une forme de mise en abyme sur l’aide : 20% des personnes en activité sont ou ont été en situation d’aidant familial (une personne qui “s’occupe quotidiennement d’un proche dépendant, handicapé ou malade et quel que soit son âge” – Wikipedia).
La société, l’organisation et les collègues peuvent à leur tour aider ces aidants à disposer d’un bon niveau de QVT.

Céline Bou Séjean a évoqué la QVT des aidants dans l’article du 8 octobre 2013 La qualité de vie au travail … des aidants.

Elle a également interviewé avec Dominique Poisson la DRH de Danone, Emmanuelle Tingaud, à propos de Responsage, une plateforme internet d’appui aux aidants de l’entreprise (4). Cet entretien a été rapporté dans l’article Considération des salariés aidants le 14 mai 2014.

Chacun de nous individuellement peut activer ses capacités à l’empathie et la compassion pour porter intérêt et attention aux collègues en situation d’aidant familial. Des actes d’altruisme sont possibles pour faciliter le quotidien des aidants, en particulier pour leur permettre une certaine flexibilité.

En 2009, des salariés de l’entreprise Badoit (Loire) avaient fait don de leurs RTT au profit d’un de leurs collègues, Christophe Germain, dont le fils Mathys était atteint de cancer. Ce père avait ainsi pu prendre 170 jours supplémentaires pour rester auprès de son fils, malheureusement décédé en décembre 2009.

L’Etat a aussi son rôle à jouer. C’est ce qu’a pensé le député de la Loire Paul Salen qui avait été interpellé par les parents de Mathys. Le 13 juillet 2011, il dépose un projet de loi à l’Assemblée Nationale. En mai 2014, la loi “Mathys” est adoptée. Elle permet aux salariés le don de jours de repos (pas seulement les RTT) pour des collègues, parents d’enfants gravement malades.

Moi, j’aide quelqu’un qui aide !

On attend un décret d’application en ce mois de mai 2015 pour que ce dispositif soit applicable au secteur public.

On retrouve ainsi l’idée forte que nous développons très régulièrement sur laqvt.fr : l’articulation entre la responsabilité individuelle et les responsabilités collectives (ici celle de l’organisation et celle de l’Etat).

 

(1) Ajout du 25/9/2018 : l’Attention Réciproque a fait l’objet d’une modélisation de ma part publiée en 2017 et qui fait l’objet d’un dossier
(2) le RERS a été évoqué également dans un article intitulé Le don 3D pour contribuer à la QVT et la performance
(3) laqvt.fr et Novéquilibres sont signataires de cet appel à la bienveillance

(4) Plateforme élaborée en partenariat avec le groupe Bayard pour les salariés de ces deux groupes (pour Danone, il s’agit, à la date de l’entretien, d’un dispositif accessible aux salariés du siège)

 

Olivier Hoeffel

Responsable éditorial de laqvt.fr Auteur des blogs lesverbesdubonheur.fr et autourdelabienveillance.fr

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