La QVT sur les bancs

Novéquilibres : Quelle place pour la QVT dans le projet de loi El Khomri ?
Non, je ne vais pas vous faire la promotion de la pause déjeuner dès le beaux jours dans le jardin public voisin sur un banc, tout aussi public; à moins que les personnes déjà installées aient indiqué par diverses stratagèmes qu’elles en avaient fait un lieu privé le temps qu’elles l’occupent. Et c’est vrai que partir à la chasse d’un banc public alors que la grande majorité a été transformée en bien privé, ça ne contribue plus à la QVT. En réalité, dans le cadre du dossier La QVT pour tous (en version longue et plus satisfaisante : la QVT pour toutes et pour tous) et après que nous ayons évoqué entre autres des traiteurs italiens, des travailleurs solo, une bergère, des avocats parisiens, des personnes en situation de chômage, des malades, des personnes handicapées, des aidants familiaux, des enseignants, des bénévoles et dans le dernier article Parlons QVT et pyramide de tous les étages de la pyramide dans les organisations, je vous emmène sur un chemin inexploré sur lequel nous nous étions promis de vous embarquer – oui, je l’avoue, ma phrase est longue – : et si on parlait de la QVT sur les bancs de l’école, de l’université, des écoles de l’enseignement supérieur, des formations qualifiantes, … Pour l’instant, je laisserai de côté la maternelle, mais peut-être y reviendrai-je un jour.

Une question d’actualité ?

Vous connaissez le procès qu’on fait souvent aux défenseurs des animaux : on délégitime leur action sous prétexte qu’il faudrait déjà s’occuper de la défense des êtres humains en difficulté.

Il est possible que certaines et certains puissent s’insurger à mon idée de s’intéresser à la QVT sur les bancs en invoquant qu’il y a déjà suffisamment à faire à protéger les travailleurs, d’autant plus avec la Loi El Khomri. En fait, ce serait une question de priorité et il s’agirait de ne pas courir plusieurs lièvres à la fois.

Seulement voilà : il serait temps de considérer que notre vision du travail et de la QVT se forge justement sur les bancs. Inversement, on peut aussi se demander si le monde du travail ne s’inspire pas de plus en plus du modèle de l’école en reprenant le côté infantilisant et les systèmes de notation.

Comme évoqué dans mon dernier article donnant un historique sur les RPS et la QVT, le burnout est un sujet particulièrement d’actualité depuis quelques mois. De mon point de vue, il le mérite bien. Seulement, à force de le mettre à toutes les sauces, cela en devient un concept fourre-tout. Voici une illustration : des personnes m’ont évoqué à plusieurs reprises ces derniers mois leur propre cas ou des cas à leur connaissance à peu près dans ces termes et de manière un peu badine : “J’ai fait un burnout récemment. J’ai été arrêté 3 jours, mais là c’est reparti comme en 40 ». Comment faire la part des choses, sachant qu’un aspect rend l’usage du mot “burnout” complexe : il s’agit à la fois d’un état et d’un processus. En tant que processus, on peut être à une étape plus ou moins avancée du processus de burnout.

L’actualité très récente a fait entrer le sujet du burnout dans la cour des écoles. Non pas pour les enseignants (ce qui constitue un sujet connexe tout aussi important), mais pour les élèves, et en partant des terminales jusqu’à la primaire. Cela a été largement relayé par la presse y compris dans les journaux télévisés. Je cite par exemple l’article de l’Express.fr.

J’en ai entendu parler la semaine dernière au journal de 20 heures sur France 2 et ma première réaction a été de penser que c’était probablement l’opportunité pour laqvt.fr de se saisir de cette occasion pour continuer à explorer tout un pan de notre vision panoramique de la QVT à travers notre dossier “La QVT pour toutes et pour tous”.
En effet, en contre point du burnout et des RPS, se présente le concept de QVT. Puisque le burnout des enfants est mis en exergue, mettons aussi en exergue la QVT des enfants, des adolescents et des jeunes adultes en formation supérieure.

La QVT, parce qu’ils le valent bien et parce que ça le vaut bien !

Vous savez comment les anglosaxons accompagnent d’une parole le départ des enfants à l’école ?
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En France, c’est “Travaille bien ! » et “Je compte sur toi pour avoir des bonnes notes ».

C’est le constat qu’avait résumé Roula Sylla lors de la présentation du rapport de la mission 2011 de la FNEP (1).

A quelque chose près, c’est effectivement ce qui est attendu dans beaucoup d’organisations une fois qu’ils deviennent adultes : “Sois performant ! », “Soigne tes indicateurs ! » et aussi, dans un autre registre : “Bon courage ! ».

Finalement, n’est-on pas tout simplement dans la continuité et dans la cohérence entre le modèle éducatif et le modèle dominant du monde du travail ?

On constate que la compétition est extrêmement prégnante entre organisations et à l’intérieur même des organisations. Mais n’est-ce pas ce modèle qui est en peu trop souvent véhiculé, cultivé voire magnifié tout au long de l’éducation scolaire et supérieure ?
Dans certaines prépas, on conçoit le travail jusqu’à l’épuisement, jusqu’à l’écœurement. La reconnaissance est négative : il suffit de voir les notes attribuées. Mais il paraît que la notation au ras des pâquerettes, ça n’est pas fait pour casser mais pour faire progresser (une sacré croyance à réinterroger). Et puis on apprend à dompter le stress … ou pas.  Mais attention, le jeu en vaut la chandelle : l’extraction de la substantifique moelle, des élites de la nation … que s’arracheront tous les pays qui ont les moyens financiers et une fiscalité attrayante … et qui nous les restitueront dès lors qu’elles seront en burnout (la fameuse image du citron pressé de tout son jus jusqu’à la dernière goutte).

Les 35 heures, vous en avez entendu parler pour les élèves et étudiant.e.s ?

L’observatoire national de la vie étudiante se penche périodiquement sur la vie étudiante. Un volet concerne les temps de travail. Les derniers chiffres sont ceux de l’année 2010. Le summum est pour les Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles (CPGE) : 56 heures par semaine, reflétant une moyenne; donc avec des étudiants allant encore au-delà de ce chiffre. Il faut ajouter à cela qu’une partie de la population estudiantine est obligée de travailler par ailleurs pour subvenir à ses besoins. 50% de cette population travaille à des degrés divers pendant l’année scolaire.

Et pour emboîter le pas au modèle anglo-saxon (versant moins sympathique que le “Enjoy ! »), suivre des études dans certains établissements supérieurs français entraîne un engrenage infernal de la dette contractée par les étudiant.e.s. Leur mettant ainsi une pression supplémentaire et leur enchaînant un véritable boulet au pied … de la lettre T du mot travail, et ceci de manière durable.

Pour les plus jeunes, il faut aussi examiner les temps contraints d’activités hors école.  Par exemple, dans quelle mesure ne faudrait-il pas prendre en compte les cours de solfège suivis le mercredi en traînant les pieds ? C’est bien donc un examen des temps de vie, considérant à la fois la QVT, avec le T dans son acceptation la plus vaste (sur laquelle il faut s’entendre) et la QV (Qualité de Vie).

A quel total arriverions-nous si on additionnait tous les temps de travail au sens le plus large d’un élève ou d’un étudiant ?

Plusieurs rapports sur la santé au travail, les RPS, le bien-être au travail et la QVT pointent de manière récurrente l’importance d’investir ces sujets dans les écoles de management.

Je pense qu’il faut être plus ambitieux que cela : il s’agit bien de préparer une vision différente du travail demain par la culture de la QVT dans les écoles dès aujourd’hui, et ceci dès le plus jeune âge.

C’est non seulement un enjeu pour la QVT des jeunes aujourd’hui dans le milieu scolaire mais aussi pour leur QVT demain dans le monde du travail.

Par quel bout prendre ce sujet ?

C’est une question souvent posée dans le monde du travail quand on évoque la QVT. “L’idée d’améliorer la QVT, on n’est pas contre ! Mais le sujet est complexe, protéiforme et surtout il ne faut pas que ça prenne de notre temps parce qu’on a par ailleurs de vraies urgences. Bon, voilà, par quel bout prendre ce sujet ? ».

Il me semble qu’une condition préalable à invoquer est celle que nous promouvons de manière très récurrente : la bonne articulation entre responsabilité individuelle et responsabilités collectives.

C’est aussi de faire encore mieux ce que le monde de l’école sait déjà faire, mais pas uniformément bien : faire coopérer les élèves, les éducateurs, les parents et les personnels administratifs avec un préalable essentiel à la bonne coopération : l’attention réciproque pour éviter les postures défensives et les guerres de clocher.

L’attention réciproque en condition préalable indispensable à la coopération

C’est quoi la vie d’un élève ? C’est quoi la vie d’un enseignant ? C’est quoi la vie d’un parent ? C’est quoi la vie d’un personnel administratif ? Ca veut dire quoi être représentant d’élève ? Ca veut dire quoi être représentant des parents ? Ca veut dire quoi être professeur principal ? … Chacun des parties étant en capacité de juste conscience des conditions d’exercice de chacun de ces rôles et de sortir du jugement facile et des stéréotypes. Un sacré challenge !

A l’instar de ce qui est préconisé dans l’ANI vers une politique d’amélioration de la QVT et de l’égalité professionnelle : il s’agit aussi de cultiver l’expérimentation et de partager les enseignements des expérimentations pour diffuser les bonnes pratiques.

Explorons ensemble quelles peuvent être les dimensions de la QVT des élèves aux différents âges; considérons ce qui peut être commun, de l’ordre du fil rouge et ce qui va distinguer chaque classe d’âge.

En réalité, ce qui me semble le plus compliqué, c’est de s’entendre sur le modèle de société et d’organisation du travail que nous voulons cibler.

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(1) Présentation à laquelle s’étaient associés laqvt.fr et Novéquilibres

Olivier Hoeffel

Responsable éditorial de laqvt.fr Auteur des blogs lesverbesdubonheur.fr et autourdelabienveillance.fr

5 réflexions sur “La QVT sur les bancs

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