Parole, parole
“Les conditions dans lesquelles les salariés exercent leur travail et leur capacité à s’exprimer et à agir sur le contenu de celui-ci déterminent la perception de la Qualité de Vie au Travail qui en résulte » (ANI du 19 juin 2013 vers une politique d’amélioration de la QUALITE DE VIE AU TRAVAIL ET L’EGALITE PROFESSIONNELLE ). Cette expression des salariés sur leur travail fut une des ambitions des lois Auroux. Seule la parole résout les conflits, sans elle pas d’intelligence collective ni de reconnaissance, pas de coopération efficace. L’expression des salariés doit permettre de conjuguer l’amélioration des conditions de leur activité et la compétitivité de l’entreprise.
Les EDD de l’ANI
L’article 12 de l’ANI encourage et favorise l’expression des salariés sur leur travail à travers la création d’espace de discussion (EDD) qui “s’organiseront sous la forme de groupes de travail entre salariés d’une entité homogène de production ou de réalisation d’un service. Ils peuvent s’organiser en présence d’un référent métier ou d’un facilitateur chargé d’animer le groupe et d’en restituer l’expression et comportent un temps en présence de leur hiérarchie. (…). Les restitutions validées par le groupe sont portées à la connaissance de la hiérarchie et des institutions représentatives du personnel.” Si le texte laisse à l’entreprise, aux hommes et femmes qui y travaillent, la liberté d’organisation des EDD, en revanche la restitution aux IRP et à la hiérarchie est requise.
Parler de son travail : comment, avec qui, pour quelles finalités ?
2 ans après la signature de l’ANI du 19 juin 2013, c’est l’expression des salariés qui était à l’honneur pendant la 12ème semaine de la Qualité de Vie au Travail (QVT) organisée par l’ANACT du 15 au 19 juin dernier. Le 18 juin, un point d’étape sur les réalisations dans le territoire francilien était proposé. On imagine que des personnes bien dans leur travail feront des acteurs efficaces de la vie sociale et économique de la région, amorçant la spirale vertueuse de la confiance. Sans aller si loin Laurent Vilbœuf Directeur régional à la DIRECCTE IDF(*) a insisté sur la dimension stratégique de la bonne QVT des salariés de la région (5 millions de personnes), d’autant plus dans une période tendue économiquement. Puis Marie Madeleine Perétié, chargée de l’ingénierie et du transfert à l’ARACT IDF a présenté les grandes lignes des résultats du sondage mené par l’ANACT et l’Institut Harris Interactive sur l’expression des salariés.
1/3 des salariés ont des difficultés à s’exprimer dans leur entreprise. Quand ils le font, c’est plus aisé avec les collègues, les IRP, le supérieur qu’avec la direction ou le DRH. Ils souhaitent avant tout échanger avec leur N+1 à propos de concret et de quotidien.
Ils aimeraient parler plus des difficultés qu’ils rencontrent, de la charge et de la répartition de travail, de manière informelle, en dehors de l’entretien annuel.
70% pensent que la mise en place d’EDD améliorera la QVT.
73% souhaitent être associés à cette mise en place et 83% participeraient aux EDD, s’ils débouchent sur du concret.
Ce qui changerait selon les personnes interrogées : de meilleures connaissances des problèmes par les IRP, meilleure anticipation pour les managers.
De la confiance
Mais des réticences persistent : si 94% approuvent la création d’EDD, 33% seulement pensent que cela permettra la liberté de parole et 40% y voient un risque de contrôle des salariés. La confiance réciproque et la non récupération de ces dispositifs par quelque bord que ce soit, sont des conditions sine qua non de leur crédibilité, de leur efficacité et de leur pérennité. La trace de ce qui est traité, les mesures concrètes qui en résultent sont aussi facteurs d’engagement et de respect du dispositif. Se pose donc la question de l’organisation et de la fiabilité de l’espace-temps de discussion. Pour favoriser la bienveillance et le respect de la parole de l’autre, tout en restant dans le cadre de la politique de travail définie dans l’entreprise, ces espaces de liberté doivent être encadrés précisément : règles d’animation de réunion, de prise en compte du travail réalisé et des propositions faites, présence active d’un facilitateur neutre.
En pratique : témoignage d’Olivier de Cassagnac directeur des relations sociales et de la sécurité à Pôle emploi IDF
Passé en l’espace de 10 ans de 260 agences à 162, l’organisme a traversé une phase critique et plusieurs plans d’action contre les RPS. Olivier de Cassagnac décrit un contexte actuel complexe “post RPS” et marque la rupture avec son plan d’action QVT pour prévenir les RPS (plan du 9/12/2014). Entendre parler de QVT préventive des RPS, voilà qui est doux à nos oreilles. La QVT garde ses couleurs, celles défendues par laqvt.fr et Olivier Hoeffel dans son article A-t-on besoin de la QVT?. De l’intervention en urgence pour prendre en charge les RPS, on s’oriente vers une attitude ouverte qui cultive l’expression des salariés, facteur ultra protecteur contre les RPS.
Le plan QVT de Pôle Emploi comporte 15 actions qui n’ont pas été détaillées, mais dont une consiste en la mise en place des groupes d’expression. Ces groupes sont expérimentés dans 54 agences et programmés pendant des heures de fermetures, le vendredi après-midi pour ne pas perturber les prestations des agences.
Pôle emploi est issu de la fusion de l’Assedic et de l’ANPE. L’émergence naturelle de groupes de travail pour résoudre des problèmes a été facilitée par la culture du dialogue social (Assedic) et celle de l’analyse de pratiques (ANPE). Sur ce terreau, les groupes d’expression des salariés se structurent, à titre expérimental, tout en restant des espaces libres. On y traite de la qualité des services rendus, des conditions d’exercice du travail, de l’organisation des activités.
Ce que n’est pas un EDD
Selon Olivier de Cassagnac :
- Ce n’est pas une réunion syndicale. J’ajouterais que c’est un mode d’expression complémentaire du dialogue social et de la négociation qui ne s’y substitue en aucun cas. D’autre part, il s’agit de favoriser la liberté d’expression sur l’activité et la parole syndicale si indispensable soit elle ne permet pas toujours cette liberté.
- Ce n’est pas l’occasion de dénigrement ou remise en cause personnelle.
- Ce n’est pas un groupe d’échange de pratiques.
Afin de mener ces groupes à bien une charte a été définie. Engagement, confidentialité, non jugement, écoute, respect sont à la base de ce travail en groupe pour échanger. Des modalités précises sont fixées : date, support, information au collectif, participants, compte rendu. Le facilitateur se porte garant du bon déroulement. Neutre et non expert, il veille au respect du cadre et à la remise au centre du travail, il gère le temps, il n’est pas là pour passer des messages, mais pour les faire passer et veiller au bon déroulement de la restitution au directeur d’agence. Olivier de Cassagnac souligne les résistances des partenaires sociaux “cramponnés aux RPS”, qui persistent à voir dans ces espaces des atteintes à leurs prérogatives. Mais sur le terrain, les managers souhaitent être impliqués et le déploiement du dispositif se prépare. Avec Hervé Lanouzière, DG de l’ANACT, on conclut qu’un espace libre d’expression des salariés ne s’improvise pas. Cadrage, rituels contribuent à donner du sens au contenu. Mais le formalisme des comptes rendus et des restitutions n’auront pas longtemps de sens s’ils ne sont pas suivis d’effets. Les femmes et les hommes qui débattront là de la qualité du travail s’attendent à être entendus pour la meilleure performance économique de l’entreprise, avant leur propre confort au quotidien. (*) DIrection Régionale des Entreprises de la Concurrence de la Consommation du Travail et de l’Emploi Ile De France