Tous aidants au travail !

Novéquilibres : Tous aidants au travail !

On a tous besoin des autres, au travail aussi. La Qualité de Vie au Travail (QVT) dépend de ces interactions vertueuses, tant pour notre humeur que pour la production à laquelle nous contribuons professionnellement. Or, nous avons tous notre lot de responsabilités, au travail comme en dehors, et celles-ci s’entremêlent parfois de façon invisibles. Tisser des liens dans la sphère professionnelle permet à tous de voir le bout du tunnel. Ouvrons l’œil sur une catégorie de population au travail qui mérite une attention particulière compte tenu de leur vie parallèle : celles des aidants de proches dépendants.

La vie des collègues

14% des salariés sont également des aidants de proches dépendants.

Etes-vous concerné.e par la dépendance d’un proche à la suite d’un grave accident de la route, d’un AVC, d’un cancer, d’une maladie d’Alzheimer, d’un handicap de naissance ? Une compagne, un enfant (…futur adulte), un parent (…même pas très âgé), un ami ?

Si vous ne l’êtes pas, en moyenne 280 de vos collègues le sont si votre organisation compte 2000 salariés. A l’échelle d’un service ou d’une PME de 400 personnes, ce sont 56 collègues avec qui vous travaillez peut-être régulièrement qui ont aussi la charge d’un proche dépendant. Dans votre équipe de 14 personnes… ils sont 2.

Ils sont parfois soulagés de rentrer épuisés de leurs “vacances”

Cela veut dire que si vous n’êtes pas concerné directement actuellement, vos collaborateurs, vos managers, vos collègues peuvent l’être. Au travail, ils peuvent être interrompus par une urgence, stressés par l’état dans lequel ils ont laissé leur proche le matin, épuisés par un manque de récupération, et sont doublement sujets au burnout. Ils doivent souvent arbitrer sur ces priorités particulières, réorganiser leur travail en fonction de l’aide à leur proche, et inversement, concilier leurs responsabilités professionnelles et leur statut(1) d’aidants. Ils s’absentent du fait de l’aide à leur proche (16 jours en moyenne en dehors des congés payés selon l’étude Novartis), ils sont parfois soulagés de rentrer épuisés de leurs “vacances”. Le tout dans un sentiment d’insatisfaction par rapport à leur travail, un sentiment de culpabilité face à leur.s équipe.s, sans parler de celle ressentie dans cette sphère multiple de vie personnelle, ou ce qu’il en reste.

Le travail, un élément de stabilité ?

L’activité professionnelle apporte aussi une certaine forme de répit en regard de certaines situations d’aidants. Elle évite surtout l’isolement en assurant le maintien d’une ouverture sociale, intellectuelle, productive, psychologique capitale pour l’équilibre psychique de l’aidant, donc de l’aidé, …et de tous ceux qui les côtoient ! Autant de bonnes raisons de libérer la parole, de prendre sa situation en compte en toute bienveillance, de mettre en valeur ses réussites, de discuter des moyens à mettre en œuvre pour combattre ses difficultés, le tout collectivement, pour le bien de tous. Les vacances comme les temps de répit sont théoriquement des temps consacrés à sortir du quotidien, se reposer, se ressourcer. Le “répit” fourni par les périodes de travail dépend aussi du fait que la qualité de vie au travail soit recherchée pour tous et par tous.

Un niveau de revenus bien souvent amputé

L’activité professionnelle maintient aussi un niveau de revenus qui se voit bien souvent amputé par des dépenses liées à l’aide, et diminué du fait des absences nécessaires, …et mal compensées. Quelques repères :

  • Le congé de proche aidant instauré par la loi de l’adaptation de la société au vieillissement du 28 décembre 2015 a déjà été décrit sur laqvt.fr dès sa création (cf Le congé de proche aidant). D’une durée de 3 mois à 1 an sur toute votre carrière, il n’est pas rémunéré.
  • Le congé de solidarité familiale (votre enfant ou votre parent est en fin de vie) donne droit à une allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie de 55,15€ par jour… pendant 21 jours.(2)
  • Le congé de présence parentale pour un enfant gravement malade, accidenté ou handicapé donne droit à 14 mois à prendre sur une période de 3 ans, et à une allocation journalière de présence parentale de 42,97 à 51,05€ par jour.
  • Lorsqu’un temps partiel (voire l’arrêt de l’activité professionnelle) est rendu nécessaire, il est possible, dans certaines conditions, de cumuler ses revenus restants avec le salaire procuré par l’aide au proche, ou un dédommagement plafonné, prévu par une prestation de compensation(3).

D’autres solutions existent, prises en charge par différents collectifs :

  • Depuis la loi du 9 mai 2014 (dite loi “Mathys”), le salaire des parents d’enfants malades ou handicapés (de moins de 20 ans) peut être maintenu pendant l’absence due à l’aide de leur enfant, à hauteur des journées de repos… données par leurs collègues.
  • Cette dernière loi est issue d’une action de solidarité – spontanée et locale – des salariés de l’entreprise Badoit envers un de leurs collègues. D’autres organisations s’en sont inspirées et complètent ainsi ces dispositions légales nationales, notamment par le don de RTT.
  • D’autres (grandes) entreprises trouvent des financements pour proposer à leurs salariés une plateforme d’orientation et de conseil, une assurance ou un fond dépendance, par exemple en utilisant les excédents des régimes de protection sociale (cf Des financements existent).

Déclinaison des responsabilités collectives

Alors que 15% de la population active a besoin de davantage de flexibilité dans son travail du fait de l’aide qu’ils apportent à leur proche, le CIAAF (Collectif Inter Associatif des Aidants Familiaux) attire l’attention sur le fait que la flexibilité du temps de travail prévue par la loi El Khomry risque de complexifier davantage l’accompagnement et l’aide à un proche.

En Europe, l’association européenne qui œuvre pour les aidants Eurocarers plaide pour la compatibilité de l’aide et de l’emploi, pour l’inclusion sociale des aidants, le développement de services support pour les aidants et la possibilité de combiner l’aide à un proche avec un emploi rémunéré. Ceci présuppose des politiques de marché du travail qui permettent à des activités d’aide informelle d’être dispensées pendant les heures de travail.

Des accords et pratiques concernant les aidants familiaux ont été élaborées dans certaines entreprises. L’Orse (Observatoire de la Responsabilité Sociétale des Entreprises) les a répertoriés. Citons Casino, qui a investi dans cette politique managériale souple et bienveillante depuis 2011. De nombreux exemples ont été répertoriés dans le guide à destination des entreprises publié par l’ORSE et l’UNAF en 2014.

Quelques études

La ligne des eaux entre l’aide d’un proche et l’activité professionnelle

Depuis qu’il préside l’association France Alzheimer, Joël Jaouen a décidé de mettre l’accent sur la frange de population des aidants qui ont une activité professionnelle. C’est chose faite. Il n’est pas le seul : les études se penchent désormais davantage sur les conséquences de l’aide sur la vie professionnelle. Les associations mais aussi les entreprises, les représentants syndicaux et les pouvoirs publics s’emparent désormais de cette difficile question de partage de la ligne des eaux entre l’aide d’un proche et l’activité professionnelle, une question éminemment importante de qualité de vie au travail.

En août 2013, l’étude “Supporting working carers”(4), réalisée en Grande Bretagne a interrogé 223 employeurs de la micro à la grande entreprise, du secteur privé pour 46%, du secteur public pour 38% et du tiers secteur pour les 17% restants. Il en ressort que la mise en place de mesures pour soutenir les salariés aidants ont des effets bénéfiques ou très bénéfiques en ce qui concerne :

  • le moral et la loyauté dans les équipes : 93%
  • la fidélisation : 92%
  • la réduction des arrêts maladie et de l’absentéisme : 88%
  • l’engagement des équipes : 85%
  • le management des personnes : 80%
  • l’efficacité du travail d’équipe : 75%
  • la productivité : 69%
  • la réduction des coûts de recrutement et de formation : 65%
  • l’augmentation du pouvoir d’attraction de l’entreprise : 61%
  • la réduction de coûts : 55%

J’en déduis qu’aider les aidants a un impact non négligeable sur l’amélioration de la qualité de vie au travail comme sur la performance des organisations.

Si vous menez de front l’aide d’un proche et une activité professionnelle, participez aux études en cours ainsi qu’aux événements nationaux comme territoriaux(4) afin que les besoins ressortent et que des actions justes et adéquates puissent être mises en œuvre dans le monde du travail.

France Alzheimer publiera lors de la prochaine journée mondiale Alzheimer en septembre 2016 les résultats du vaste sondage en ligne lancé, en partenariat avec Opinion Way, de mars à mai 2016 auprès de 1000 proches aidants en activité professionnelle.

J’ai déjà parlé de l’enquête en ligne de la Fondation Paris Descartes portée par la Macif et l’Union Nationale des Associations Familiales (UNAF) et spécifiquement orientée sur ce thème dans l’article Etre aidant et travailler. Cette étude continue, n’hésitez pas à l’enrichir de votre propre expérience.

De même, la CFDT Retraités sur les aidants familiaux propose son enquête nationale sur les aidants familiaux en vue d’appuyer les droits des aidants.

Si vous êtes aidants de personnes atteintes de cancer, participez à l’étude Provieval : deux chercheuses en psychologie de la santé de l’université de Lille ont besoin d’un échantillon de 1000 aidants principaux de personnes touchées par le cancer. L’objectif est de valider scientifiquement une échelle des besoins en soins de support, par une meilleure appréhension des difficultés des aidants tout au long du parcours de soin de son proche. Les questions abordées sont relatives aux domaines émotionnel, physique, relationnel (avec personnel hospitalier, les proches…), et aussi au domaine professionnel.

L’attention, l’inclusion, la coopération sont des composantes essentielles en matière de Qualité de Vie au Travail, nous sommes tous des aidants au travail.

(1) souvent non déclaré, parfois méconnu, par les aidants eux-mêmes dans le cadre de leur environnement professionnel, il est néanmoins bien réel, et énoncé par la loi ASV du 28/12/2015
(2) Le gouvernement fédéral canadien accorde une prestation de compassion pour l’accompagnement de personnes aux liens de parenté plus étendus, partageable par plusieurs aidants du même aidé, sur une période de congé indemnisé de 6 mois, et de 55% de la rémunération moyenne hebdomadaire, calculée au plus favorable. Plus d’informations ici.
(3) de 3,55€ à 5,33€ par heure (chiffres de 2012)
(4) Voir le rapport, dont le sous-titre est “les bénéfices pour les familles, les affaires et l’économie”
(5) la journée nationale des aidants a été déclinée en journées territoriales depuis l’an dernier.

 

Photo sous licence creative commons – auteur : Piyushgiri Ravagar

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