Pourquoi parlons-nous ?

Novéquilibres : pourquoi parlons-nous ?

Dans un article intitulé “parler pour exister”(1), Jean-Louis Dessalles (2), chercheur en intelligence artificielle, avance que le langage ne vise pas seulement à transmettre des informations utiles. Il sert aussi à se mettre en valeur en racontant de bonnes histoires afin de sortir du lot. Un peu à la manière de l’oiseau qui chante toute la journée, non pour transmettre une information vitale, mais pour dire que c’est lui le plus beau. Mais intéresser l’autre, attirer son attention, demande un investissement en temps important qui est le prix à payer pour établir et maintenir nos relations sociales.

Il existe sans doute plusieurs raisons de parler. Mon propos n’est pas de faire une liste exhaustive des motivations qui poussent mes congénères à se parler. J’aimerais simplement rappeler qu’il existe au moins trois raisons importantes de communiquer entre nous. Lesquelles se succèdent logiquement.

Parler pour créer de l’intimité

Lorsque j’ai envie d’être proche de quelqu’un je vais lui parler pour en savoir plus sur lui et le laisser me découvrir également. Habituellement je passe par les étapes décrites par Éric Berne, le fondateur de l’Analyse Transactionnelle. A savoir “le retrait”, avant le premier contact ; puis “les rituels”, phrases toutes faites sans engagements (“il fait un peu frais pour la saison” ; suit “les passe-temps” dans lesquels les discussions légères décrites par Dessalles peuvent être rangées. C’est le niveau où se situent toutes les formes de séductions (drague, entretien d’embauche, signes de reconnaissance divers…). Après quoi je peux m’engager dans une “activité” avec cette personne pour être encore plus proche (travail, sport, vie de couple…). C ‘est à partir de ce niveau que je m’autorise à essayer de jouer un “jeu psychologique”. C’est un niveau d’intimité plus élevé que le précédant mais qui contient des manipulations psychologiques. Enfin, si je réussis à passer à travers les jeux psychologiques, je peux accéder au niveau de “l’intimité” où le contact est sincère.

Un paradoxe : un inconnu est davantage respecté qu’un ami

Idéalement il faudrait pouvoir s’arrêter au niveau “passe-temps” ou “activité”, en dehors du cercle familial et amical. Peut-être avez-vous remarqué comme moi que je suis plus respectueux avec des inconnus ou une vague connaissance qu’avec mes proches. Avec une personne que je ne connais pas assez pour savoir où je mets les pieds, je m’abstiens d’émettre des remarques désobligeantes à son égard. Ne serait-ce que pour conserver une bonne image sociale. Alors qu’avec ma moitié, je me lâche. Je peux être critique, lourd et grossier sans aucune retenue. Pourquoi ? Ne devrais-je pas être plus attentionné et prévenant avec les personnes qui me sont chères ? Le paradoxe se résout comme suit : Intimité et confiance vont de pair. Plus j’ai confiance en l’autre plus je peux me laisser aller à me montrer tel que je suis. C’est à dire le meilleur et le pire. Surtout le pire puisque, au niveau social, je n’ai pas souvent l’occasion de l’exprimer. Cela me permet de lâcher un peu de pression. Hum ! Ne vaudrait-il pas mieux que j’évacue cette pression par un moyen plus doux ?

Parler pour réduire les tensions internes

Échanger avec d’autres permet aussi de réduire une tension émotionnelle (contrariété, frustration, déception…). Mais cela m’oblige à entrer dans un mode de communication plus intime. C’est pourquoi cette action n’est possible qu’après avoir tâté le terrain, auprès de quelques personnes sur les niveaux précédemment décrits, pour se confier à une personne en toute sécurité. Cela arrive facilement avec un collègue de travail qui partage les mêmes difficultés que moi et avec qui je peux parler du travail. Puis avec le temps je pourrai éventuellement élargir les discussions vers des sphères plus personnelles.

Parler pour mieux me comprendre

Mais parler de mes contrariétés quotidiennes à mon copain Robert ne va pas m’immuniser contre les frustrations futures. Si je souhaite échapper à la souffrance de la déception que m’infligent les autres, je dois m’isoler sur une île déserte. Mais je pourrais encore être déçu par moi-même ! Pauvre de moi ! Dernière solution : me comprendre pour comprendre les autres et être ainsi plus tolérant. Dans notre culture, nous préférons parler à un psy plutôt que de méditer dans un grotte des Himalaya, où il n’y à même pas canal +.

Pour résumer, parler peut servir à combler un besoin de reconnaissance immédiat et peut être sans fin. Lorsque ce besoin de reconnaissance n’est pas satisfait, je peux alléger cette frustration, et d’autres aussi, par la parole avec un proche. Mais cela reste superficiel car les causes profondes de ces multiples frustrations restent cachées. Du moins jusqu’à ce que je m’investisse dans cette exploration avec une personne compétente (un psy ou un coach le plus souvent). Et là, parler me permet de découvrir qui je suis.

(1) Article publié le 07/02/2011 sur “le cercle psy.com”

(2) Jean-Louis Dessalles est enseignant-chercheur en intelligence artificielle à l’École Nationale Supérieure des télécommunications Ses travaux portent sur la nature et la fonction de la communication humaine spontanée.

Crédit photos : Jérémie Wach-Chastel – clichés extraits de la nouvelle brochure de Coopaname

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