3 malentendus sur le bonheur au travail

Novéquilibres : 3 malentendus sur le bonheur au travail
Sur laqvt.fr, nous ouvrons grands nos yeux et nos oreilles à propos des autres concepts et initiatives que la Qualité de Vie au Travail (QVT) visant à améliorer le bien-être de l’individu au sens de la définition de la santé par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), à savoir un état complet de bien-être physique, psychique et social.
Dès 2012, nous avons ouvert un dossier sur le bonheur au travail (BAT).
Depuis quelques mois, je perçois des réactions négatives assez fortes à propos du bonheur au travail de la part d’actrices et d’acteurs RH qu’ils soient en interne dans des organisations ou chez certaines personnes qui accompagnent les organisations sur cette vaste dimension.
Je constate que le bonheur au travail en France suscite des réactions de rejet chez certain·e·s et le présent article vise à éclairer ce que je considère comme des malentendus et à suggérer du sérieux, du dialogue, un climat de bienveillance sur ce sujet et également une forme de lâcher-prise et d’exigence.

3 malentendus en France

BAT=Entreprise libérée

De mon point de vue, le terme “bonheur au travail” a débarqué en force à l’occasion de la diffusion du documentaire “Le bonheur au travail” de Martin Meissonnier le 24 février 2015 sur Arte. Diffusion que nous avons relayée à l’époque par une brève.

Quelques jours après, je publiais sur laqvt.fr l’article QVT et Bonheur au Travail, même défi ?. Dans cet article, j’attirais l’attention sur le risque suivant Mais attention au risque d’assimilation entre Bonheur au Travail et Entreprise libérée ! »

Voici dont en quoi consiste le premier malentendu : réduire le bonheur au travail au concept d’Entreprise libérée. Ce concept étant pratiquement toujours illustré depuis lors par les mêmes quelques entreprises. Comme je l’indiquais dans mon article, la libération d’entreprise ne se fait pas sans heurts et j’ai repris des éléments contenus dans le documentaire pour lister quelques réserves et points de vigilance.
Par ailleurs, même si le documentaire se nomme “bonheur au travail”, il ne développe pas clairement le lien entre l’un et l’autre. Il ne présente pas par ailleurs d’acceptions du bonheur au travail.

BAT=CHO

Le documentaire de Martin Meisonnier donnait la parole à Laurence Vanhée qui avait troqué le titre de sa fonction de “Directeur des services d’encadrement du personnel et de l’organisation du service public fédéral de la santé en Belgique” en “Chief Happiness Officer”.
Le titre de CHO a visiblement donné des idées, en particulier dans quelques startups et organisations du numérique.
Si ce titre a été inspirant, ce n’est pas la même fonction que celle de Laurence Vanhée qui a été déployée. La plupart des articles et reportages consacrés aux CHO montrent des personnes en charge d’actions de convivialité et de facilitation de la vie au travail. En simplifiant, il s’agit d’actions à la périphérie du travail. Rarement sont présentées d’actions au cœur du travail. N’ayant pas réalisé d’analyse détaillée sur le déploiement de cette fonction dans les entreprises, je veux avoir la prudence de ne pas assimiler la fonction CHO et toutes les personnes qui portent cette fonction à ce qui est montré régulièrement dans la presse.
Quoi qu’il en soit, l’image donnée de la fonction CHO est bien focalisée sur la périphérie du travail. Comment ne pas comprendre que les actrices et acteurs de l’amélioration des conditions de travail puissent voir avec scepticisme, agacement, colère, … le phénomène des CHO, vu comme une mode qui pourrait éloigner des “vrais” sujets, d’autant plus dans les organisations où les RPS sont avérés.

A l’instar du premier malentendu, le deuxième malentendu tient aussi à une assimilation : réduire le bonheur au travail au phénomène de CHO.

Le bonheur vu comme une obligation

Mesdames, Messieurs les dirigeant·e·s, les DRH, personnes d’encadrement, actrices et acteurs du dialogue social … il est clair que si vous abordez le bonheur au travail comme une obligation supplémentaire qui s’ajouterait aux responsabilités existantes, avec des objectifs chiffrés, des mesures répressives en cas de non atteinte des objectifs, … je conçois bien que vous soyez réfractaires – voire plus – à emprunter un tel chemin.

Selon moi, le troisième malentendu est de considérer le bonheur au travail comme tous les autres sujets que vous avez l’habitude de traiter dans le cadre du dialogue social et au niveau de la réglementation du travail.

Côté salariés, le bonheur au travail est vu par certaines personnes comme une injonction au bonheur qui menacerait de leur être faite, une menace à leur liberté individuelle.

Pour les uns et pour les autres, il est bien compréhensible que le bonheur envisagé de ces façons-là ne soit pas un sujet acceptable et que cela puisse créer des réactions urticantes.

Je suis convaincu que ce sujet mérite de prendre de la hauteur et de dépasser les réactions épidermiques, les assimilations, les clichés, les généralisations.

Le bonheur au travail, avant d’être sûr de ne pas vouloir en entendre parler, parlons-en !

Même si chacun·e peut avoir sa propre conception du bonheur, même si la “quête du bonheur” relève à première vue d’une démarche éminemment personnelle, je suis convaincu que la société, y compris dans sa dimension “travail”, peut se saisir du sujet du bonheur de manière sérieuse, aussi sérieusement que l’on s’occupe de l’économie, de la croissance et de l’emploi.
Si le bonheur est un sujet individuel, c’est aussi un objet qui peut être investi au niveau des organisations de travail et de la société.
C’est ce qu’a fait le royaume du Bhoutan depuis 1972.
Même si, en son temps, un homme d’Etat français éminent a traité l’ONU de “Machin”, deux décisions de l’ONU relatives au bonheur ne devraient pas être traitées comme gadgets en France : l’adoption du Bonheur National Brut comme approche globale sur le développement en 2011 et l’organisation chaque 20 mars depuis 2013 d’une journée mondiale du bonheur.

Les sciences humaines et sociales s’intéressent au bonheur et depuis 1998 la psychologie positive (appelée aussi “science du bonheur”) analyse ce qui rend les humains résilients, heureux, optimistes avec trois niveaux d’étude de l’être humain : personnel, interpersonnel, social.

Le travail croisé avec les neurosciences fournit des enseignements riches pour chacun des niveaux cités précédemment.

Il serait dommage que les organisations ne se saisissent pas de cette richesse pour faire évoluer leurs pratiques dans une approche gagnant-gagnant. Il serait tout autant dommage qu’individuellement nous réagissions de manière épidermique au mot “bonheur” alors que notre quotidien au travail et dans les autres sphères pourrait être plus appréciable tant sur le plan subjectif qu’objectif en nous le rendant meilleur collectivement et chacun·e à sa mesure.

Selon moi, à l’instar de la QVT, le bonheur au travail ne doit pas être considéré comme une obligation, comme un objet de réglementation, comme un objet marketing, comme une menace, mais comme un sujet dont l’ensemble des parties prenantes, à toutes les strates de la société veulent se saisir, chacun·e selon ses moyens, ses ambitions, avec enthousiasme, humilité, bienveillance, confiance, ténacité. Le BAT pour recentrer le travail sur l’humain, pour avancer par petits pas en les appréciant chacun dans la joie et la gratitude pour celles et ceux qui y ont contribué directement et indirectement, pour mieux aligner nos aspirations profondes avec nos pratiques du quotidien, pour envisager nos responsabilités en pleine conscience des interdépendances, pour relier notre responsabilité de travailleur·euse et celle de consommateur·rice, dans l’Attention Réciproque.

Je clarifie mon propos de manière à ne pas surajouter un malentendu aux 3 malentendus évoqués : il ne s’agit pas de fixer un objectif de production de fruits ou légumes dans un jardin, avec des mesures punitives si l’objectif n’est pas atteint et un ou quelques jardiniers qui seraient en responsabilité de nourrir d’autres. Il s’agit de travailler ensemble à fertiliser de manière naturelle une terre, de favoriser le développement du vivant qui enrichira cette terre, de cultiver, de prendre soin pour que se développent plantes puis fleurs puis fruits, dont certains seront individuels, d’autres collectifs, comme dans la permaculture où chaque élément contribue à la vivacité de l’autre. Nous avons besoin tout simplement de cultiver le bonheur au travail, chacun·e mettant la main … à la terre.

La conception du bonheur au travail que je propose ici ne relève pas d’une obligation. Ni une obligation de moyens et encore moins de résultats (qui doit rester par ailleurs en matière de préservation de la santé). Pas de cadre réglementaire, pas de carottes ou d’incitations financières, pas de menaces, pas de bâton. Nous ne sommes tout simplement pas sur le même registre.
C’est une envie, un enthousiasme, une inspiration, une énergie de vie à partager, un besoin plus ou moins enfoui de reconnexion aux vraies aspirations individuelles et collectives, à autrui et au monde du vivant dont nous faisons partie intégrante et dont notre corps est également constitué.

Je signale pour celles et ceux qui ne le connaîtraient pas le think tank La Fabrique Spinoza qui a l’ambition de (re)placer le bonheur au cœur du débat public. Plusieurs productions de ce think tank concernent la vie au travail.

Souhaitons moins de frilosité et de crispations vis-à-vis du bonheur dans la société française et particulièrement dans le monde du travail dans les mois et années qui viennent. Je suis convaincu que d’autres pays sur la planète sauront nous stimuler et nous donner envie de leur emboîter le pas, en particulier les pays nordiques.

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Olivier Hoeffel

Responsable éditorial de laqvt.fr Auteur des blogs lesverbesdubonheur.fr et autourdelabienveillance.fr

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