Juste conscience : être à sa juste place
S’investir est toujours de bon aloi. En tout cas, cela est bien souvent très encouragé et apprécié. Que ce soit dans le milieu associatif, coopératif, entrepreneurial, professionnel comme personnel, s’impliquer, s’engager, assumer des responsabilités, prendre des initiatives relève du bon goût comme du bon sens. Néanmoins un engagement trop important peut revêtir un caractère envahissant, pour l’individu comme pour son environnement. Rester à sa juste place, telle est la clé d’une bonne Qualité de Vie au Travail (QVT) comme dans sa sphère privée. C’est une question individuelle mais aussi collective de juste conscience.
Equilibre et harmonie
Pour conjuguer QVT avec performance durable, le nec plus ultra est de viser l’équilibre autant pour l’individu qui s’investit que pour la participation collective. S’investir, oui, …ma non troppo ! Pourquoi ?
Prenons tout d’abord le point de vue de la personne surengagée (1). Sous couvert d’une bonne volonté ou d’une motivation débordante, un couac peut couver : une personne impliquée d’une manière intense et continue peut à un moment
- déplorer un écart entre ses efforts et la reconnaissance qu’elle en attend ;
- épuiser ses ressources physiques ou psychiques (ne plus renouveler son point de vue, risquer le burnout) ;
- détenir un pouvoir trop important en apparaissant comme irremplaçable.
Simultanément, les autres membres peuvent
- déplorer de ne pouvoir participer à la tâche pour laquelle ils ont aussi de l’intérêt, jusqu’à parfois ressentir une mise à l’écart de fait ;
- manquer de confiance pour intervenir dans un sujet qu’ils maîtrisent moins a priori;
- se délester de la responsabilité puisque quelqu’un l’endosse si bien.
Un.e soliste ne tient pas la scène du début à la fin d’un concert. Les pauses et soupirs parsemés sur la partition lui permettent de reprendre son souffle. Les accords qu’il.elle peut plaquer lui.elle-même sont relayés par ceux de l’orchestre, sans pour autant qu’aucun.e des musicien.ne.s ne soit soupçonné.e de demi-mesures !
Que l’on soit musicien.ne, membre d’une association, associé.e actif.ve d’une coopérative, professionnel.le engagé.e, parent.e ou aidant.e familial.e, membre d’un couple, nous ne pouvons tenir la scène sans pause, sans accorder son action avec celle du reste du collectif, et réduire sa propre action à des demi-mesures salutaires, sans pour autant que l’objectif final soit abandonné. Il nous faut, déjà individuellement, prendre la mesure de notre juste place, avoir la juste conscience de son propre équilibre intérieur (éviter une fatigue excessive, physique comme psychique), puis celle de l’équilibre du collectif (à prendre trop de place, on induit un retrait des autres membres du collectif).
Une responsabilité individuelle : prendre sa juste place
- Réfléchissons à la finalité de notre engagement. Si nous aboutissons au fait qu’il faut que “les choses” soient faites coûte que coûte, et que personne d’autre ne “s’y colle”, prenons encore un peu de recul et réfléchissons encore. Si notre ego pointe le bout de son nez, continuons à creuser ! La finalité d’une action humaine est rarement individuelle. Pensons-y.
- Cultivons la juste conscience de nos besoins, de notre santé. Sachons être attentifs aux signaux que notre corps émet, aux émotions que nous ressentons. La méditation de pleine conscience est une excellente discipline pour s’entraîner à affiner cette perception et aussi celle de notre environnement, en toute bienveillance.
- Préparons le terrain. C’est agir en responsable que de ne jamais être irremplaçable. Un.e autre ne fera jamais le même travail que nous, mais grâce à nous, il.elle sera en mesure d’en faire un qui puisse garantir une continuité en cas de défaillance de notre part. La vulnérabilité est plus qu’un droit, c’est un fait. Admettons qu’elle puisse intervenir et parons à cette éventualité en ayant le souci constant d’être en bonne santé et le cas échéant remplaçable. Mettons un point d’honneur à documenter, communiquer, parler, transmettre, informer,… de façon à ce qu’un tiers puisse reprendre la tâche que ce soit pour nous soulager, nous libérer pour une urgence, ou nous remplacer en cas de besoin.
- Donnons envie aux autres de s’impliquer. Il n’est pas rare qu’une personne surimpliquée ressente une telle frustration qu’elle réclame d’être soulagée en soulignant le caractère épuisant de la tâche ou ses aspects devenus rebutants. Pour peu qu’elle n’ait pas soigné l’étape précédente, aucun.e candidat.e ne se présente de bon gré, et la vision proposée n’augure guère d’un travail épanouissant. Au contraire, sans dénier notre besoin de soulagement, attachons-nous à évoquer les avantages de s’engager à nos côtés ou à notre place le cas échéant, acceptons de donner notre concours et proposons-le pour la prise en main. Acceptons d’envisager nos missions de manière plus coopérative et collaborative.
En un mot, visons le flux, mais pensons au reflux avant de provoquer un tsunami (2).
Une responsabilité collective : garantir la juste place de chacun
L’entité collective a un rôle tout à fait capital dans l’élaboration d’un équilibre pour éviter la surimplication des uns, l’éventuelle frustration ou la déresponsabilisation des autres.
En effet, il est capital d’encourager la juste conscience de la place de chacun en impulsant clairement la coopération.
- sensibiliser à la finalité d’une tâche, que celle-ci soit claire, s’inscrive dans un tout partagé de façon à ce qu’elle ne se réduise pas à la satisfaction d’un ego ni à un esprit de sacrifice.
- favoriser l’attention de chacun à ses besoins et aux besoins des autres, par l’exemplarité au plus haut niveau, des espaces d’expression, des échanges de pratiques, la culture de la bienveillance…
- valoriser les actions individuelles visant à faciliter le passage de relais comme partager les tâches, faire tourner les rôles, fluidifier les échanges, multiplier les acteurs possibles, partager la connaissance à disposition du collectif.
- La prise en compte des critères de facilitation du travail collectif dans l’évaluation individuelle des personnes est un des leviers particulièrement utiles. Un autre levier non moins efficace et complémentaire est d’intégrer des critères d’évaluation collective, liés à la finalité de la tâche ou du projet.
L’équilibre est par définition instable, et donc pas toujours confortable… d’où la tentation d’agir seul ou d’attribuer une tâche à une seule personne qu’on instituera l’experte. À la longue cependant, les risques de baisse de performance et de QVT sont réels. L’individu comme le collectif ont le plus grand intérêt à acquérir une juste conscience des conditions favorables, et à la réinterroger en permanence. Inscrire cette habitude dans son comportement demande du temps mais tout le monde gagne à veiller à la juste conscience de la juste place de chacun.
(1) Voir notre article récent QVT et présentéismes
(2) Voir à ce propos notre article Flux et reflux
Photo sous licence creative commons – auteur : Ville de Clermont-Ferrand