Osons la vulnérabilité
Hasard du calendrier, j’ai assisté récemment à deux conférences parlementaires où des représentants de professions, usagers, consommateurs, services publics et ministères concernés font le point sur des thèmes d’actualité sous l’égide de deux parlementaires.
Conférence sur l’Alimentation et la Nutrition
Le 13 novembre 2012, “Alimentation et Nutrition” réunissait des spécialistes de la santé (hôpital et ministères) des représentants de syndicats professionnels de la restauration collective et commerciale, de l’Association Nationale des Industries Alimentaires (ANIA) syndicat professionnel de l’agroalimentaire.
Au programme :
L’amélioration de la nutrition en France est-elle concrète ?
Les objectifs d’éducation de la population sont-ils atteints ?
Comment des professionnels de la restauration ont-ils contribué à cette amélioration ?
Cette question est particulièrement importante pour les salariés qui déjeunent hors foyer.
Et aussi :
Quelle perspective pour une meilleure alimentation ?
Une alimentation équilibrée et accessible est-elle possible ?
L’intérêt des Français pour l’art culinaire au quotidien phénomène de mode ou de société ?
Cette dernière question renvoyant aux succès des émissions culinaires à la télévision interpelle, quand on sait la mise en cause du temps d’écran dans la genèse du surpoids.
Les argumentaires déroulés n’ont pas laissé une grande place au débat, verrouillé par l’ANIA.
Si des progrès ont été accomplis en matière de promotion de santé alimentaire (campagnes du PNNS (1), amélioration des recettes de produits manufacturés moins salés) je retiens deux idées :
- le besoin de formation en nutrition dans les cursus des personnels de la restauration collective.
- la nécessité de créer de nouveaux métiers auprès des patients obèses pour les accompagner dans leur parcours de soin, et les assister dans le suivi nutritionnel et d’activité physique, idées exposées par le Pr Basdevant, chef de service du service Nutrition de La Pitié.
La distance entre ces deux justes préoccupations illustre le hiatus entre la Santé qui enregistre une aggravation de la fracture alimentaire (association de la précarité et de l’obésité) et l’Agroalimentaire, dont les préoccupations restent celles d’une industrie qui promeut pour vendre. Par exemple savez-vous que la semaine du goût évoquée ici comme un outil de promotion de santé a été créé par le Cedus (Centre d’Études et de Documentation du Sucre) toujours parrain de l’opération ?
Un parlementaire a glissé à mi-voix : “il ne faut pas parler de ce qui fâche”.
C’est le courage d’oser la vulnérabilité qui permettra d’aborder ces questions “qui fâchent” et d’éviter le dialogue de sourds entre intérêts divergents.
Conférence sur le Handicap
C’est de vrais sourds qu’il fut question le 15 novembre 2012, entre autres personnes handicapées, lors de la conférence intitulée “le handicap, levier de performance dans l’entreprise, comment bouleverser les idées reçues ?”. Là n’est pas mon cœur de métier, mais étant moi même femme et sénior “rien de ce qui est discriminé ne m’étant étranger”. C’est avec un peu d’appréhension que je m’y suis rendue.
Et pourtant !! Des idées, des relais en maillage sur le terrain, des initiatives dans les entreprises (pas assez, mais quand même), de la (bonne) volonté, de la considération et une énergie communicative. Comment ne pas être émue (et en même temps s’efforcer de ne pas l’être pour ne pas être différente) en entendant le discours et le combat de R Bouton mal entendant secrétaire national de la section des sourds et malentendants socialistes. Devant la pugnacité précise de JM Barbier président de l’association des paralysés de France qui dénonce la lenteur des avancées en matière d’intégration des personnes handicapées ; et devant la dignité extraordinaire de Ph Streiff, conseiller technique auprès du délégué interministériel à la sécurité et à la circulation routières, paraplégique qui se bat pour que des personnes handicapées accèdent à la mobilité, comme il s’est battu pour faire homologuer son propre véhicule.
Le sociologue J F Amadieu, créateur de l’Observatoire des discriminations a mis en garde contre une discrimination positive qui irait à l’encontre d’un égal traitement des personnes non handicapées et handicapées. Fut évoquée aussi la réticence des personnes en situation de handicap à remplir le formulaire de la RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé). Ou le délicat « sourcing » de travailleurs handicapés dans les entreprises, afin qu’elles puissent afficher 6% de personnes handicapées dans leurs effectifs, quitte à en faire d’abord un argument de communication.
Le courage de tous les participants, leurs réalisations qui commencent dès l’entrée des petits handicapés à l’école pour tous, m’ont donné l’exemple et la pêche. Comme la verdeur de leur langue : quelques bancs devant moi, deux jeunes femmes sourdes et muettes n’ont pas cessé leur ballet de gestes vifs et j’ai pensé qu’user des signes permettait un joli bavardage.
Pour Marie-Anne Montchamp présidente de l’Agence Entreprise et Handicap une discrimination parle de toutes les autres : elle clôture sur l’idée du handicap comme un marqueur de RSE, J’ajoute ici comme un marqueur de QVT.
Le 13 novembre 2012, je suis restée sur ma faim mais le 15 je suis sortie de l’amphi avec le cœur léger, gonflé d‘espoir. Alors qu’en lisant les programmes, j’aurais imaginé le contraire. Comme quoi …
(1) PNNS : Programme National Nutrition Santé. Voir Nutrinet
photo sous licence creative commons – auteur : wildxplorer