Quelle place pour la QVT dans le projet de loi El Khomri ?
Qui n’a pas entendu parler du projet de loi El Khomri ? Chacune et chacun a son avis, éventuellement contrasté, reposant sur des éléments d’origine diverse (le texte de loi, l’exposé des motifs par le ministère du travail, son article “Vrai/Faux sur la Loi Travail”, des articles de presse, la pétition “Loi travail : non, merci !” (1) et les éléments associés, des blogs, …).
Sur laqvt.fr nous nous sommes posés la question suivante : quelle place pour la QVT dans ce projet de loi ?
Une double perplexité
Nous avons consacré un article et des brèves à propos du récent Plan Santé au Travail 2016-2020. L’article en question, à l’instar du PST3, s’ouvre sur le constat d’un processus exemplaire en terme de coopération pour son élaboration. Nous nous en sommes réjouis car nous promouvons la coopération comme vecteur à la fois d’une meilleure Qualité de Vie au Travail (QVT) pour les individus et de l’efficacité des processus d’amélioration de la QVT. Un bel exemple à donner pour le déploiement de la QVT dans toutes les organisations, qu’elles soient grandes ou petites (y compris unicellulaires), privées, publiques, associatives, …
Premier niveau de perplexité : force est de constater que la coopération ne semble pas avoir été exemplaire sur un sujet apparemment proche : celui du travail; en tous cas, au vue des réactions particulièrement vives de certains syndicats suivis de réactions non moins vives au niveau politique comme au niveau de nombreuses citoyennes et nombreux citoyens.
A la lecture du texte du projet de loi et de l’exposé des motifs, nous n’avons relevé aucune mention de la QVT dans le premier et qu’une seule mention dans le deuxième; mention relative au droit à la déconnexion qui a d’ailleurs fait l’objet de notre seule brève à ce jour à propos de ce projet de loi. Ceci constituant notre deuxième niveau de perplexité.
En faisant un raccourci volontairement provocateur, on pourrait croire que …
si la QVT est centrale en matière de santé au travail, en revanche, elle n’aurait pas grand chose à voir avec le travail lui-même.
Analyser le projet de loi à travers le prisme de la QVT
L’ANI du 19 juin 2013 vers une politique d’amélioration de la QVT et de l’Egalité Professionnelle met en exergue le lien entre QVT et performance. Il met en évidence que le bien-être des individus est un levier de la performance. Autrement dit, c’est une façon de reconnaître le mal fondé de la recherche de la performance à tout prix, de la rationalisation en leitmotiv, d’un management usant et abusant de la pression sur les individus, de la spirale infernale défiance/contrôle, de la flexibilité à toutes les sauces, de la course à l’excellence (associé à la chasse aux coupables en cas d’erreur), … autant de modes contre-productifs.
Au contraire, confiance, droit à l’erreur, droit à pouvoir s’exprimer et agir sur son travail, recherche d’un juste équilibre entre les différentes sphères de vie, recherche de meilleurs équilibres contribuent à motiver les individus avec un impact réel et substantiel sur la performance – bien plus grand, soit dit en passant, que ce qu’on peut gagner à travers les actions de rationalisation.
En quoi les différentes dispositions de ce projet de loi peuvent-elles impacter la QVT et indirectement la performance ? Voilà le prisme qu’il nous semble intéressant d’utiliser pour se positionner.
Mettre la QVT dans l’ADN
L’Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail (Anact) (2) et son réseau (Aract) indique sur sa page dédiée à la QVT sur son site que “la question du travail fait partie intégrante des objectifs stratégiques de l’entreprise et doit être prise en compte dans son fonctionnement quotidien afin, notamment, d’anticiper les conséquences des mutations économiques“.
Elle explique que les processus de transformation d’une organisation constituent une bonne opportunité pour se saisir du sujet de la QVT.
Ne serait-il pas naturel et exemplaire que le ministère du travail aborde la transformation du code du travail dans le même état d’esprit ? A savoir, concevoir et interroger de manière systématique et délibérée les mesures dans un esprit d’amélioration de la QVT des individus celle-ci ayant un impact positif sur l’efficacité économique.
Notre conviction
Il y a plusieurs façons de comprendre l’intitulé du projet de loi : “Projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs ».
Une lecture rapide de cet intitulé et un survol de ce projet de loi et des réactions suscitées pourrait amener à l’interprétation suivante : il s’agit d’instituer de nouvelles libertés pour les entreprises s’équilibrant par de nouvelles protections des actifs. Ceci conduit à la question : l’équilibre est-il trouvé ?
Nous sommes convaincus que l’introduction de plus de liberté d’action au dirigeant n’est pas le sujet prioritaire en matière de QVT et de performance. Les dirigeants ont eux-mêmes acté dans l’ANI sur la QVT de ce lien fondamental entre bien-être des individus et performance.
Un rapport récent au niveau international montre que la France fait partie du peloton de queue en terme de motivation au travail. Selon l’étude d’IPSOS pour Steelcase sur 17 pays, 37% des travailleurs sont démotivés. Pour la France, ce chiffre monte à 54%. Les personnes motivées représentent 5% en France alors que la moyenne (peu glorieuse) sur l’ensemble des 17 pays est de 13%. Or, un meilleur niveau de motivation au niveau d’un individu a un triple effet positif sur la performance individuelle et collective, la satisfaction des clients et usagers, et le bien-être de l’individu, avec un effet de contagion via les relations interpersonnelles.
Notre conviction est que la priorité en matière de travail et de Qualité de Vie au Travail est de (re)donner goût au travail, à la vie au travail, à la fierté du travail bien fait, à la fierté d’appartenir à une équipe, à la fierté d’appartenir à une organisation, à la fierté de participer à des projets qui ont du sens et servent la société. Donner sa vraie place à la valeur travail.
Il s’agit bien alors de libérer le travail et non de libérer le dirigeant et l’entreprise des contraintes qui constitueraient des freins à la performance et à la création d’emploi.
Nous sommes convaincus que vouloir donner plus de libertés aux dirigeants n’est pas la voie à privilégier. Que le dialogue social au niveau local soit à favoriser, et qu’on puisse donner place à l’expérimentation nous semblent positifs du moment que l’amélioration de la QVT et de la performance aillent de pair. Pour cela, des garde-fous seront nécessaires tant que le monde du travail ne reposera pas sur un partage équilibré des pouvoirs.
Soyons plus ambitieux à travers une innovation sociale disruptive : celle qui met la QVT en centralité du travail, et pas seulement en axe central de la santé au travail !
Auteur : Olivier Hoeffel au nom du comité éditorial de laqvt.fr
(1) La pétition a recueilli plus de 1 100 000 de signatures au 6 mars 2016
(2) L’Etat est partie prenante au sein du réseau Anact-Aract avec les partenaires sociaux