Jour 5 de la 11ème semaine de la QVT : le temps au centre
A l’occasion de la 11ème semaine pour la Qualité de Vie au Travail (QVT) organisée par l’ANACT (Agence Nationale d’Amélioration des Conditions de Travail) et les ARACT. Nous vous proposons 5 idées sur la QVT, un jour de cette semaine étant dédié à chaque idée. Ce vendredi 20 juin 2014 est dédié à la question centrale du temps
Quel est le sujet qui occupe nos conversations “passe-temps” (qui devrait être justement renommé en “passe-trop-vite-le-temps”), peut-être juste après la météo : le manque de temps avec des formulations du type “Je ne vois pas le temps passer, je n’arrive pas à faire tout que je voudrais faire ».
Nous pouvons toutes et tous constater que cette plainte touche non seulement les actifs mais aussi les retraités.
Comme pour beaucoup de sujets, il faut considérer l’objectivité et la subjectivité. Mais, il est sûr que beaucoup d’actifs se sentent oppressés et stressés par le manque de temps avec ses effets directs et indirects, réels ou supposés.
Je vous propose dans un premier temps d’envisager la double centralité du temps en terme de QVT.
Une double centralité du temps
Le temps vu comme facteur de RPS
Dans le numéro de janvier-février 2014 du magazine Cerveau & Psycho, Nicole Aubert, Professeur émérite en sciences humaines (ESCP Europe) évoque 3 métaphores utilisées dans nos conversations de tous les jours :
- l’accélération du temps (la plus fréquemment utilisée) : le temps passe de plus en plus vite; c’est le sentiment d’être sous pression et de devoir accélérer,
- la contraction du temps : les délais sont de plus en plus courts pour faire les choses; il faut alors envisager les impacts sur la qualité du travail et la fierté du travail,
- la compression du temps : de plus en plus de choses sont à faire dans le même laps de temps (le fameux multitâches).
On comprend bien à travers ses trois métaphores en quoi le manque de temps est un facteur de risque psychosocial.
Pour améliorer la QVT, il est évident que le sujet du temps est central car il participe à bon nombre de dimensions de la QVT :
- la charge de travail,
- la qualité du travail et la fierté du travail,
- la reconnaissance, et ceci à plusieurs niveaux : la reconnaissance se distribue entre autres sur les résultats du travail et si le temps manque pour atteindre les résultats attendus, la reconnaissance ne sera pas au rendez-vous. Par ailleurs, la distribution de la reconnaissance dans toutes ses dimensions nécessite d’y consacrer du temps, en particulier pour le manager de proximité (je vous renvoie à mon article de jeudi),
- la conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle,
- le niveau d’engagement qui peut se trouver en danger pas ses deux bouts : le sous-engagement et le surengagement,
- la qualité des relations sociales,
- …
En fait, il est peu de dimensions de la QVT qui ne soient pas affectées par une bonne régulation du temps.
Sans rentrer dans le détail, la généralisation de l’utilisation des équipements de l’internet mobile est elle-même à mettre au centre de la réflexion et de l’action sur le temps. A ce sujet, je rappelle notre initiative intitulée la déconnect attitude.
Le temps vu comme frein aux démarches et actions d’amélioration de la QVT
En tant que promoteurs et acteurs de l’amélioration de la QVT, une des réactions auxquelles nous sommes fréquemment confrontés chez nos interlocuteurs dans les organisations peut être formulée de la façon suivante “J’aimerais bien m’occuper de la question de la QVT, j’en comprends bien les bénéfices à attendre aussi bien au niveau du bien-être que de la performance … mais je ne trouverai jamais le temps de m’en occuper”.
Parce qu’on est bien d’accord, pour se saisir d’un sujet il faut pouvoir y consacrer du temps. En raccourci : pour agir sur le manque de temps, il faut trouver du temps.
Ce raccourci permet de bien comprendre la difficulté première à aborder la question du manque de temps, et de manière plus générale, la QVT.
Et quand bien même, voudrait-on se lancer dans des actions ou une démarche, arrive vite un deuxième frein : l’assimilation de la réunion à la réunionite. Un certain nombre de personnes ont vécu tellement souvent des réunions inefficaces, qu’ils en sont devenus allergiques. Ainsi tout nouveau projet qui les conduirait à se réunir sera perçu comme un risque certain de perdre leur temps, si précieux, puisqu’ils en manquent.
Et plus on manque de temps, plus on arrive les mains dans les poches en réunion, moins la réunion est efficace, et nous voici dans un cercle vicieux.
Ce qui me fait dire que le traitement du manque de temps nécessite un dispositif efficace et bien maîtrisé pour que le temps accordé par chacun puisse être ressenti comme utile et porteur d’amélioration.
Par ailleurs, il est important que la QVT ne soit pas considérée comme un dossier supplémentaire qui s’ajoute à d’autres. La QVT a pour vocation à être inscrite dans l’ADN de l’organisation. J’utilise souvent l’image que la QVT, ce n’est pas la cerise sur le gâteau du travail, c’est le gâteau lui-même.
Ne serions-nous pas schizophrènes ?
En tant que travailleur, nous nous plaignons du manque de temps et des amplitudes horaires. Mais tout à la fois, en tant que consommateur, on est avide et excité de pouvoir disposer de tout, en claquant des doigts à n’importe quel moment.
Ne s’agirait-il pas d’une position à la fois schizophrène et frénétique ?
Il nous faut chacune et chacun, bien entendu nous interroger et agir sur notre propre QVT. Mais ce n’est pas tout : pour éviter ce piège de la schizophrénie, il nous faut aussi nous interroger sur cette fuite en avant en tant que consommateur et sur les impacts en matière de QVT pour celles et ceux qui produisent, distribuent, acheminent, … ce qu’on achète. On pourrait avoir la tentation de penser qu’on n’a jamais demandé de telles facilités personnellement mais que ce serait bête de ne pas en profiter.
Il faut pouvoir de sortir du cercle vicieux, où sous prétexte de notre pouvoir de consommateur, voire même quelques fois de nos attentes en matière de conciliation vie personnelle et vie professionnelle, nous exigerions des solutions qui mettraient en difficulté la QVT d’autres actifs.
Ce qui amène à l’idée de consommacteur, consommateur et acteur de la QVT des autres.
L’articulation des responsabilités
Lundi 16 juin 2014, la première idée de cette semaine était celle de l’articulation entre responsabilité individuelle et collective.
Avec la question du temps, je trouve l’occasion de vous proposer une belle déclinaison de ce principe d’action.
J’ai rapidement évoqué précédemment notre initiative La déconnect attitude. Elle permet de mettre en conjugaison :
- le droit à la déconnexion qui se construit collectivement et dont le salarié est bénéficiaire
- le devoir de déconnexion qui est de la responsabilité individuelle et qui, je le précise fortement, n’est en rien facile, du fait du pouvoir hautement hypnotique des équipements de l’internet mobile (avec des risques d’addiction).
Nous avons lancé une autre initiative sur laqvt.fr pour appeler à une appropriation collective de la question du temps : le temps sur la table.
Cette initiative a pour but de sortir d’un mode très fréquent de sur-appropriation individuelle du sujet. Beaucoup d’entre-nous tentent individuellement de réguler, de faire face à des difficultés qui ne sauraient trouver de vraies solutions sans une réflexion et une action collective.
C’est donc tout le sens du temps sur la table : mettre sur la table toutes les difficultés communes à gérer le temps pour à la fois se déculpabiliser face à l’impuissance individuelle et faire appel à l’intelligence collective pour élaborer une stratégie optimale assurant le bien-être du plus grand nombre.
La réaction du Professeur Bossondur.
photo sous licence creative commons – auteur : jayRaz