Le temps de trajet fait-il partie du temps de travail ?
Nous sommes le lundi 23 janvier 2012 dans l’après-midi, au théâtre du Rond-Point, à la conférence organisée par Radio France; plus précisémment à la fin de la table ronde “Quel temps pour le travail ?”. La parole est donnée au public : “Le temps de trajet fait-il partie du temps de travail ?” questionne pertinemment une personne du public.
Yves Clot, psychologue du travail, invité de la table ronde animée par Denis Faroud, avec Pierre Larrouturou, économiste et Jérôme Nanty, DRH de la Caisse des Dépôts a peu de temps pour répondre et voici en très résumé sa réponse :
- ça dépend,
- le temps de trajet peut être considéré comme un temps tampon entre la vie privée et la vie professionnelle
J’ai eu envie de rebondir sur ce sujet qui me paraît tout à fait important en terme de qualité de vie au travail. Un sujet que j’ai très rapidement effleuré dans mon article “La bataille du stress».
Reconnaissons avant tout que nos sorts sont tout à fait divers et peu égalitaires en matière de trajet. Cette variété de conditions de trajet est à l’origine de polémiques sur qui serait le plus mal loti. Polémiques bien inutiles, puisque tout le monde sait bien que le plus mal loti … c’est moi, de mon point de vue, et vous du vôtre. Après cette petite pirouette, venons-en à des considérations plus sérieuses.
Le temps de trajet est aussi l’objet d’une équation difficile à résoudre pour beaucoup dans le choix de leur lieu de résidence : privilégier le temps de trajet pour un lieu de vie plus petit ou privilégier un lieu de vie plus grand pour un temps de trajet plus long. Certains même, naviguent entre les deux situations sans jamais trouver de satisfaction, en pensées, voire même dans les actes.
Que fait-on du temps de trajet ? Quelles sont les conditions de ce trajet ? Se sent-on en sécurité ? Se sent-on dans le confort ? Le fait-on seul, accompagné, bien accompagné, ou mal accompagné ? Une variété de questions dont certaines touchent à des considérations objectives et d’autres subjectives.
Une question importante de mon point de vue concerne l’état d’esprit. Quel est-il ? Pour certains, le temps de trajet est un temps d’attente, et donc que faire de cette attente ? Comment l’occuper ? Imaginons que je sorte de mon travail avec un souci professionnel en tête. Mon souci va-t-il m’occuper pendant le trajet ? Peut-être même vais-je en louper ma station d’arrivée ?
Je peux aussi prendre la décision que le métro est le sas qui me conduit vers ma vie privée et que je dois l’utiliser pour refermer la page de mon travail.
Depuis l’émergence des téléphones de type smartphone, les transports en commun sont devenus le deuxième bureau. Remarquez que ça pose moins de problèmes de sécurité que si le deuxième bureau est la voiture au pas dans les bouchons. Pour certains, c’est rentré dans les habitudes : pas le temps de traiter les emails au bureau, donc le deuxième bureau c’est pour le traitement des emails. Et puis comme on n’a pas tout à fait fini dans le deuxième bureau, on le finit dans le troisième bureau appelé canapé, voire le quatrième appelé lit. Bientôt seront disponibles les fonctions de messagerie dans la douche et nous aurons le cinquième bureau. Enfin plutôt le sixième, car j’avais oublié le cinquième situé à un endroit où généralement on a sa tranquillité seul, le verrou fermé … ou pas.
Bref. Pour répondre à la question donnée en titre de mon article : c’est avant tout à vous de répondre à cette question pour vous-même. Car telle est vraiment la réponse : c’est vous qui décidez. C’est vous qui devriez décider en tout état de cause en réfléchissant bien aux conséquences sur votre vie privée, sur votre vie professionnelle, sur votre santé, sur la santé des autres, ceux à qui vous envoyez vos emails.
Il est indéniable que les conditions de trajet sont prépondérantes. Mais l’état d’esprit l’est tout autant. Je vais vous donner ma propre expérience. J’ai souvent pris la ligne 13 le matin à Paris. Et chaque fois, je me faisais la réflexion suivante, passablement énervé “payer un pass navigo, je ne sais combien pour être transporté comme dans une bétaillère, c’est scandaleux. Et en plus faut se battre à la fois pour rentrer et pour sortir”.
Un jour, j’ai décidé d’occuper sainement mon temps sur la ligne 13. Depuis, je laisse cheminer mes pensées, j’observe mes contemporains, je m’enthousiasme du plus petit événement qui rendra mon trajet plus agréable. Parce que je l’ai décidé. Et croyez moi, les conditions objectives n’ont pas changé.
C’est un temps à moi qui depuis a été source d’aphorismes, d’idées et de plaisir du moment présent.
photo sous licence creative commons – auteur : feuilllu
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